Famma blassa fil Réal ? Honneur aux médecins inconnus.
Famma blassa fil Réal ? Honneur aux médecins inconnus.

Par Dactour Dextro

Dans l’hôpital où je suis, le service de réanimation est un club VIP très fermé. Et pour cause, les places sont très limitées et la demande est énorme. De ce fait, les médecins de ce service se retrouvent obligés de sélectionner les malades selon leur espérance de survie.

Ce qui veut dire qu’on préfèrera un malade sans malformations ni pathologies non traitables. C’est triste et inhumain mais on fait avec ce qu’on a.

Notre histoire commence dans le service où je suis interne. Un nouveau né nous est transféré d’une ville lointaine qui ne dispose pas du matériel pour prendre en charge l’enfant. Je vais vous raconter aussi comment un interne en médecine peut avoir plusieurs usages à l’hôpital autres qu’être médecin.

Une “coiffeuse” pour le nouveau né !

Le père accompagne l’enfant.

-« Vous allez le mettre dans une « Coiffeuse » ! » crie-t-il
-« C’est notre affaire Monsieur. Ne vous inquiétez pas.»

La « coiffeuse », comme la nomme beaucoup de nos patients, est une boite en plexi glace censée offrir une atmosphère et une température idéale au nouveau né. Les couveuses que nous avons sont un peu spéciales. Elles sont partisanes de l’extrémisme. On en trouve qui ne savent pas faire autre chose que surchauffer pendant que les autres préfèrent les températures plus fraiches.

Des couveuses, nous en avons trois de –pseudo-fonctionnelles et une pour la déco. Or on a généralement plus de dix enfants nécessitant d’être placés dans une couveuse surtout que les chambres ne sont pas chauffées.

Les infirmières tunisiennes, expertes du système D, improvisent une couveuse.

Recette pour une couveuse artisanale en cinq étapes :

1- Préchauffez un bain d’huile
2- Habillez l’enfant avec tous les vêtements que vous trouverez disponibles
3- Enroulez l’enfant dans sa couverture en laissant que sa tête apparaitre.
4- Placez le tout dans un berceau
5- Placez maintenant le bain d’huile préchauffé sous le berceau

Comble de la pauvreté de notre service, nous n’avons qu’un seul bain d’huile opérationnel et qui est censé réchauffer la chambre de garde (là où les internes et résidents passent les rares heures de sommeil pendant la garde) glaciale qui ne dispose pas non plus de radiateur.

« On se sent comme une bouteille de mayonnaise dans la porte d’un frigo »

Ce bain d’huile on l’a cédé depuis bien longtemps aux infirmières pour qu’elles le placent sous les berceaux des malades le nécessitant.

Professionnels du Système D

L’état d’un des jeunes malades hospitalisés s’aggrave. La résidente Dr S (un médecin en cours de spécialisation), l’assistante Dr T (assistant hospitalo-universitaire est un médecin spécialiste qui travaille à l’hôpital et y enseigne) et les infirmières accourent prévenus par l’interne.

Dr S masse le malade pendant que l’interne ventile grâce à l’ambu et au masque fixées sur la bouche et le nez du malade. Pendant ce temps, les infirmières perfusent le malade.

Qu’est ce qu’un ambu ? Un ambu normal est une poche en plastique qui par la pression manuelle de l’opérateur insuffle de l’air au malade ventilé.

L’ambu dont nous disposons a la même forme mais généreux qu’il est, il fait sortir de l’air de tous les cotés. Il faut donc à l’opérateur deux fois de force et deux fois plus de patience pour ventiler correctement un malade.

Malgré tous les soins prodigués, l’enfant ne s’améliore pas. Dr S et Dr T décident de l’intuber. Ce qui veut dire de faire entrer un tube dans ces voies respiratoires et de le faire respirer manuellement par l’ambu.

Encore quinze minutes pour aller chercher la sonde appropriée d’un autre service. Entre temps, Dr T contacte la réanimation.

Le père l’entend parler au téléphone .Il se met alors à crier : « Mon fils doit être au « Réal ! » – Non il ne s’agit de l’équipe de foot de Madrid. Le père fait référence au service de réanimation.

Le malade intubé devient alors dépendant de la ventilation artificielle normalement assurée par un respirateur électrique. Mais pourquoi utiliser une technologie polluante comme un respirateur électrique quand on a un interne pour le faire ?

Tous les internes du service se mettent alors à se transformer à tour de rôle en respirateur humain auprès du malade.
Entre temps Dr T fait trembler tous les services de réanimation du pays et use de tous ses contacts pour trouver une place à cet enfant né après treize années de stérilité.

Dr T qui fait sa première tournée auprès de ces malades à 6h30 du matin et ne quitte pas le service avant de s’assurer que tout a été fait. L’interne en bas de l’échelle académique subit la pression de tous ses supérieurs.

Je ventile ce malade qui à peine une heure plus tôt était tranquille dans le ventre de sa mère. Je le regarde la rage aux tripes entrain de se battre pour survivre. Sa survie dépend de toute cette équipe qui bouge dans tous les sens pour que ses parents le voient un jour sourire et jouer.

Dans toute cette agitation, la mère d’un autre malade entre dans la salle, affolée :

-« Docteur ! Docteur ! Je n’ai plus de lait dans mon sein ! »
“لحليب مقطوع من صدري”
A quoi je on lui réponds
-«لحليب مقطوع في البلاد الكل»
« Ne vous inquiétez pas, il n’y a pas de lait dans tout le pays pas seulement dans vos seins.»

Grace à Dr T et à tous les médecins qu’elle a contactés, le malade a été transféré à un service de réanimation dans un autre hôpital. Ave à ces médecins inconnus qui chaque jour sauvent des vies malgré le système de santé et le manque de moyens.

Moralité : Vous n’avez pas besoin de prendre l’avion pour aller en Ethiopie.

حلو و مر حتى يتعدى لعمر”
(Douceurs et amertume, jusqu’à ce que s’achève la vie)

Dr D.