Je te réponds sur TNZ et NW puisque tu as posté comme on sème à tout vent

La puce excitée (qui a un coeur d'or, soit dit en passant) m'a proposé de faire un test : demander au(x) premier(s) venu(s) s'ils connaissaient untel ou tel autre des figures auxquelles nous sommes habitués sur le net. Inutile. C’était une belle provocation de sa part : essai transformé !
De par mon travail, je suis amené à rencontrer des centaines de jeunes et d’autres qui le sont moins et à discuter avec. Au risque d'être accusé de vouloir décourager les bonnes volontés, voici ce q'il en est de notre jeunesse.

1- Une jeunesse telle que vous pouvez la voir dans l'émission de dimanche de Hela Rokbi : ne vous en privez pas, ça vaut le détour…

2- Une jeunesse universitaire déconnectée du monde réel, championne de Final Fantasy IX ou de Age of Empire, qui ne sait pas ce que les lettres AG veulent dire ni n'a jamais senti l'odeur âcre et piquante des bombes lacrymogènes.

Récemment, j’étais dans mon ancienne fac ; je discutais du bon vieux temps avec le Secrétaire Général (que ma génération d’il y a quinze ans avait fait baver par les grèves, les AG, les manifs) quand un étudiant est venu nous interrompre en pleurant presque : »Monsieur, untel m’a piqué ma montre ! » Le SG s’est retourné vers moi et m’a dit : »Vois-tu ce que j’endure ? » La jeunesse non universitaire n’est pas en reste mais elle est championne de Belote et de Promosport et détient le record mondial de la station assise dans les cafés.

3- Une jeunesse qui revient à la religion par un phénomène de mode, de recherche identitaire, de suivisme, d'influence satellitaire (une sorte de nouvelle révélation venue d’en haut ?) et bien rarement de conviction faisant suite à une étude approfondie et à des lectures diversifiées. Je voudrais juste ouvrir une parenthèse au sujet des lectures islamiques disponibles au pays : vous trouverez certainement le Coran dans toutes les langues, toutes les exégèses anciennes et modernes (sauf celle de Sayyed Qotb, bien entendu), tous les livres de Hadith (sauf ceux des chiites). Mais aussi les livres « jaunes » que nous connaissons tous et qui sont imprimés désormais sur du beau papier et dans lesquels l’on apprend que la terre est en équilibre passager sur une corne d’un taureau. Mais aussi des livres sur la sorcellerie. Mais pas un seul Soroush, pas un seul Ramadan, pas (plus) un seul Shariaati… J’ai été agréablement surpris d’y retrouver un Talbi imprimé en Tunisie ! Bref, presque rien qui puisse titiller la matière grise, tout pour l’emprisonner dans la glu de la béatitude de l’autosuffisance : nous sommes le peuple élu de Dieu, nous irons au paradis, les autres iront en enfer.

4- Une jeunesse perdue, en chômage ou ayant un travail ridiculement rémunéré et qui veut vivre. S’il y a du travail, c’est un contrat résiliable et renouvelable selon le bon vouloir du patron (généralement un étranger de la loi 72) : la titularisation est très rare et la législation est facilement contournée pour priver l’employé de ses droits. Les chanceux qui ont un travail dans « l’étatique » n’arrivent pas à joindre les deux bouts… Cette jeunesse exploitée à fond est essentiellement représentée par les jeunes filles qui laissent mère et père dans le « rif » des gouvernorats de « l’intérieur », par contraste avec ceux « des côtes », plus riches, pour venir travailler dans les entreprises de prêt-à-porter de la loi 72 implantées à plus de 200 Km de chez elles, moyennant, dans le meilleur des cas, le SMIC. Et elles doivent se débrouiller pour, avec cette somme, payer le loyer, manger, s’habiller, se soigner et en laisser un peu pour aider leurs parents restés au bled.

5- Une jeunesse désabusée, qui se demande comment il se fait qu’il y ait autant de voitures de luxe en Tunisie et comment faire pour accéder au plus vite à ces signes extérieurs de richesse…

6- Une jeunesse désespérée, souvent diplôme supérieur en main, qui ne voit aucune lueur d’espoir de changement dans sa situation en Tunisie et qui préfère risquer sa peau en « brûlant » avec une chance infime de réussite plutôt que de rester à attendre « la grâce de Dieu » avec une chance nulle qu’elle arrive à court terme…

7- Une jeunesse impatiente, qui veut profiter immédiatement de tous les plaisirs de la vie, exactement comme un malade condamné à mourir à court terme, qui n’a pas d’espoir en une vie après la mort et qui veut profiter à fond de ce qui lui reste à vivre…

Allez ! Je m’arrête à 7 pour la baraka et parce que ça me fait mal au cœur (que j’ai, d’ailleurs, sur la main) de poursuivre.

Comment voulez-vous que cette jeunesse ait le temps ou l’envie de s’occuper d’autre chose que survivre ou profiter de la vie et y croquer à pleines dents ?

Je n’ai pas besoin de poser les questions proposées par AJ. La jeunesse est non informée de ce qui se passe dans son propre pays. Non informée et pas mal informée. Elle ne recherche même pas l’information. Un exemple : dans une ville de plusieurs dizaines de milliers d’habitants, trois ou quatre librairies exposent chaque semaine et bien en vue environ une trentaine de numéros d’Al Mawqif (à elles trois). Une semaine plus tard, il y en a encore une bonne dizaine d’invendus !!! Qui regardait Al Hiwar et qui s’est aperçu de son « éclipse » ? Ce n’est pas une négation absolue que j’entends, c’est plutôt une recherche sélective de l’information que la jeunesse fait, une information non dérangeante… Tout ce qui se rapporte à la famille royale est connu et on se le raconte dans les cafés. Mais parlez de prisonniers politiques ou de ce qu’on appelle véritables partis de l’opposition (je n’en connais pas un seul, désolé) : vous serez priés de changer de sujet parce que … vous n’intéressez pas.

Bref, un changement radical est en train de s’opérer sous nos yeux et nous ne pouvons rien y faire : le processus a été lancé depuis plusieurs années et ne peut plus être enrayé. Je ne fais que constater le triomphe de l’ère de la médiocrité. J’ai fait une croix sur un espoir pouvant émerger de la génération actuelle de jeunes. Je regarde mes enfants grandir et je me dis : »p… ! Dans quel état vont-ils trouver leur pays ? Que puis-je faire pour les convaincre de ne pas le quitter ? Qu’aurais-je pu faire pour limiter les dégâts ? »

Aujourd’hui, je suis désabusé et l’horizon de mes espérance s ‘est terriblement rétréci : ainsi, je ne risque plus d’être déçu. La libération des prisonniers politiques en fait toujours partie. Le sourire, le battement de cœur ivre de joie d’un enfant qui n’a pas connu son père, d’une épouse qui a supporté toutes les brimades durant d’interminables années, d’une mère qui ne vit plus depuis l’arrestation de son fils … Ces grands moments de bonheur, même destinés à rester ponctuels et éphémères, suffiraient à mon bonheur.

Rien n’est plus urgent que de libérer les prisonniers de l’injustice, de déterrer ces morts-vivants coupables d’avoir dit « NON ! » Le reste viendra après …