Extraits de L’art des récits anecdotiques dans le Coran.
par Muhammad Khalafallah,
Traduction de M. Mohsen Ismaïl.

Tout comme l’avaient déjà fait les théologiens pour la législation, nous devons étudier les sources des récits coraniques. Bien plus notre tâche, (concernant les récits coraniques), semble plus impérieuse. Car les théologiens se sont permis de discuter les sources des éléments d’ordre religieux dont la connaissance ne parvient que par les prophètes et les messagers vu leurs caractères mystérieux. Pour nous, nous ne faisons que rechercher les sources de récits dont les éléments font partie des épisodes humains et que nous pouvons les connaître même sans l’intermédiaire des messagers et des prophètes. Il suffit donc de mettre, les réactionnaires, les inertes et tous ceux qui sont de ce genre, face à ce verset qui dit clairement que le Coran renvoie certaines de ses comparaisons et de ses paraboles à leurs sources premières ou à la bible et à l’évangile : “Mohammed le messager de Dieu et ceux qui sont avec lui, sont durs envers les mécréants et miséricordieux entre eux. Tu les vois inclinés, prosternés, recherchant de Dieu grâce et agrément. Leurs visages sont marqués par la trace laissée par la prosternation. Telle est leur image dans la Thora et dans l’Evangile : celle d’une semence qui sort sa pousse, puis se raffermit, s’épaissit, et ensuite se dresse sur sa tige, à l’émerveillement des semeurs. (Dieu) par eux ( les croyants) remplit de dépit les mécréants. Dieu promet à ceux d’entre eux qui croient et font de bonnes œuvres un pardon et une énorme récompense.” ( al-fath 48,29 ).

Il convient donc que nous partions à la recherche de la vérité pour proposer aux gens une théorie valide qui se base sur l’examen des différents phénomènes existants dans les récits coraniques ( p. 256 ) afin de les bien analyser. C’est ainsi que nous pourrons résoudre tous les problèmes rencontrés par les exégètes et c’est en ce moment là que nous pourrons libérer les récits coraniques de toute équivoque ( p. 257 )…

…La première question, dans ce chapitre, ( consiste à rappeler ) que le Coran n’a pas adopté la même démarche que celle qui est suivie par la Bible. Le Coran n’a pas parlé des messagers et des prophètes de la même manière. Il a choisi certains parmi eux plutôt que d’autres “Et il y a des messagers dont Nous t’avons raconté l’histoire précédemment, et des messagers dont Nous ne t’avons point raconté l’histoire et Dieu a parlé à Moïse de vive voix” (4,164). S’ajoute à ceci que, dans son choix de certains prophètes, le Coran n’a pas cité toutes les informations qui concernent ceux-ci, mais il a choisi ce qui pourra correspondre à l’état de “l’appel islamique” (dans ses débuts) et à la position du prophète Mohammed par rapport aux siens. Nous ne trouvons donc pas dans le Coran tous les détails qu’on peut rencontrer dans la Bible. En plus, le Coran n’a pas respecté un ordre chronologique en tant que facteur essentiel dans la présentation des récits comme c’est le cas pour la Bible. Ceci ne peut que démonter la différence majeure entre les récits coraniques et les récits bibliques. Si la Bible avait tendance, par les récits, à écrire l’histoire ( juive ), le Coran, par l’évocation de certains récits, ne visait que la prédication, l’enseignement, l’Annonciation, l’avertissement, la direction morale, le conseil, l’explication des préceptes du message islamique et la réfutation des adversaires. Le récit coranique vise enfin à affermir le prophète Mohammed et ceux qui l’ont suivi. Il cherche aussi à intimider des associateurs et des infidèles. Le récit coranique avait bien d’autres intentions mais dans tous les cas, faire de l’Histoire n’est aucunement son objectif.

La deuxième question, dans ce chapitre, ( consiste à savoir ) que ceux dont le Coran a choisi de parler n’étaient pas issus, en leur totalité, du milieu arabe (l’Arabie), mais ils étaient en majorité égyptiens, hébreux, sabéens, grecs ou romains. Ils ont vécu dans leurs propres régions et ils étaient envoyés pour leurs habitants. C’est dans ces pays mêmes que les événements, ( liés aux récits rapportés ), se sont déroulés. C’est là que les prophètes se sont adressé à leurs adeptes dans les langues pratiquées dans ces régions. Le dialogue s’est parfois déroulé dans des langues que nous n’avons aucune idée. Sinon dans quelle langue Dieu a-t-Il parlé aux anges et au diable ( ce dialogue que l’on connaît ) dans le récit qui parle de la création d’Adam ? ( p. 258 ) Dans quelle langue le diable s’est-il exprimé en parlant à Adam dans le récit où l’on évoque l’expulsion du paradis ? Nous ne pouvons faire à ce propos que des suppositions qui restent imaginaires.

Ce grand nombre de prophètes et de messagers ( cités dans les récits ), tels qu’Adam, Abraham, Isaac, Jacob, Salomon, David, Joseph, Moïse, Job, Jonas, Ilias (Elie), et bien d’autres, n’étaient pas des inconnus pour les premiers auditeurs. Bien au contraire, ils étaient connus et leurs histoires ont bien circulé dans leurs milieux et les informations les concernant se sont transmises de père en fils puis sont passées dans les régions voisines. Nous croyons fermement qu’il n’y a personne qui peut nier ce fait et soutenir que ce genre de récits (des prophètes) relève d’une connaissance mystérieuse et exclusivement divine que Dieu a déployée au bénéfice de ceux qu’il a choisis d’informer. Une telle assertion serait contraire à la nature des choses. Il s’agissait d’informations connues dans les entourages des prophètes – que la paix soit pour eux – ainsi que dans les régions où ces histoires ont circulé. Ce que nous voulons savoir ici, c’est le rapport qui aurait existé entre ces récits et le milieu arabe en général et surtout le milieu mekkois avant la carrière prophétique de Mohammed et avant la révélation du Coran. A cet endroit, connaissait-on quelques informations sur ces prophètes ou ceux-ci étaient-ils complètement ignorés ? La réponse est tellement importante qu’elle va nous donner la clé des questions suivantes :

-  Le récit tel que le Coran l’a présenté, comportait-il des emprunts à la mentalité courante en Arabie ou bien était-il marqué par les traits des milieux dans lesquels avaient vécu les prophètes en question ? La réponse à cette question nous clarifiera la méthode ( p. 259 ) suivie par le Coran dans la formulation du récit quant au rapport de ses éléments avec le contexte. Avait-il procédé à la présentation d’éléments connus et habituels ou plutôt à des éléments étranges et rares ?

-  L’art persuasif du Coran et son apport technique qui a influencé la littérature arabe à travers l’histoire sont des éléments qui nous permettront de nous rendre compte du caractère inimitable du Coran qui a représenté un défi pour les arabes (alors qu’il s’exprime dans leur propre langue).

-  (Par l’étude des récits, nous souhaitons) aboutir à une théorie ou une règle qui nous permettra de résoudre certains problèmes et répondre à certaines questions relatives aux récits coraniques afin d’en dissiper toute équivoque.

En effet, le rapport existant entre les récits coraniques et le contexte arabe (pendant la révélation) se répartit comme suit :

Un premier type de récit dont nous pouvons admettre dès le départ qu’il n’est point connu dans le milieu mekkois. Il s’agit des récits qui visaient à consoler le prophète et à répondre aux questions que les associateurs de la Mecque n’hésitaient pas à lui poser pour vérifier la véracité de son message et de sa prophétie. Dans ce sens, l’exemple du récit de la caverne (Al-kahf) représente l’une de ces réponses.

Un deuxième type dont nous pouvons dire aussi, dès le premier abord, qu’il est connu en Arabie. Nous pouvons citer, dans ce cadre, l’exemple des récits connus déjà dans la poésie de la période préislamique comme l’histoire de Âd et de Thamûd..

Un troisième type – c’est le plus abondant – laisse le lecteur incapable de bien le classer soit dans le premier type soit dans le deuxième. Nous renvoyons aux exemples de l’histoire d’Adam avec le diable, aux passages qui parlent de la création de l’Homme, aux récits qui parlent de prophètes tels que Loth, Noé, Abraham, Isaac, Jacob, Joseph, David, Job et autres. Le rapport de ce type de récits avec le milieu mekkois présente deux caractéristiques : la méthode de la citation et la répétition de la même histoire plusieurs fois.

Concernant la méthode, l’abrègement de certains récits nous laisse sentir que le Coran renvoie à des informations déjà connues.( p. 261 )… Le but d’une telle brièveté peut être que l’avertissement et l’appel à tirer les leçons.

Quant à la répétition, il y a là une manière d’insister sur certains prophètes plutôt que sur d’autres… Moïse est cité beaucoup plus que Job, par exemple. Ceci avait bien ses raisons car Moïse est le prophète des juifs dont la pensée religieuse prédominait en Arabie à cette époque là. C’est ce qui incitait les arabes à s’informer constamment auprès les juifs au sujet de la mission prophétique de Mohammed. ( p. 262 )…

En conclusion, nous pouvons dire :

1) Le récit n’a pour but que de mettre en valeur la vérité religieuse…( p. 290 ) Cette vérité religieuse nécessite une certaine compréhension qui se base sur l’analyse littéraire des récits…
2) Les événements et les personnages contenus dans les récits coraniques sont des éléments qui peuvent être historiques comme ils peuvent être de simples évocations de ce qui est déjà connu…
3) Cette matière existait généralement en Arabie et le Coran l’a utilisée à des fins religieuses et non pas dans un but historique. Le but en est l’exhortation au bien et l’appel à tirer des leçons de ces récits…( p. 291 ).

… Il ne s’agit pas ici des seuls êtres humains. Nous désignons tout personnage ayant joué un rôle dans le récit coranique. Parmi les personnages on peut rencontrer les anges, les djinns, les oiseaux, les insectes et les êtres humains, hommes et femmes.

Les oiseaux et les insectes.

Pour ce qui est des oiseaux et des insectes, on les rencontre dans le même récit. C’est le récit de Salomon dans la Sourate des fourmis (Al-naml – 27). Nous trouvons la huppe et la fourmi qui jouent leurs rôles comme s’il s’agissait d’un personnage ordinaire dans le récit ( p. 296 ). Nous voyons la fourmi qui avertit ses consœurs d’un mal éventuel qui risque de leur arriver. Elle leur demande de rentrer dans leurs demeures de peur que Salomon et ses armées ne les écrasent sous leurs pieds sans s’en rendre compte. La réaction de Salomon qui parlait aux animaux et comprenaient leur langue fut, selon le Coran : “Il sourit, amusé par ses propos et dit : permets-moi, Seigneur, de rendre grâce pour le bienfait dont Tu m’as comblé ainsi que mes père et mère, et que je fasse une bonne œuvre que Tu agrées et fais-moi entrer, par Ta miséricorde, parmi Tes serviteurs vertueux”.(Coran, 27,19).
Quant à la huppe, Salomon va se servir d’elle comme d’une informatrice qui lui parlera des autres royaumes qui lui étaient inconnus. “Puis il passa en revue les oiseaux et dit : pourquoi ne vois-je pas la huppe ? est-elle parmi les absents ? Je la châtierai sévèrement ! ou je l’égorgerai ! ou bien elle m’apportera un argument explicite. Mais elle n’était absente que peu de temps et dit : j’ai appris ce que tu n’as point appris ; et je te rapporte de Saba’ une nouvelle sûre. J’ai trouvé qu’une femme est leur reine, que de toute chose elle a été comblée et qu’elle a un trône magnifique. Je l’ai trouvée, elle et son peuple, se prosternant devant le soleil au lieu de Dieu. Le diable leur a embelli leurs actions, et les a détournés du droit chemin, et ils ne sont pas bien guidés. Que ne se prosternent-ils pas devant Dieu qui fait sortir ce qui est caché dans les cieux et la terre, et qui sait ce que vous cachez et aussi ce que vous divulguez ? Dieu ! Point de divinité à part Lui, le Seigneur du Trône Immense. Alors Salomon dit : Nous allons voir si tu as dit la vérité ou si tu as menti. Pars avec ma lettre que voici ; puis lance-la sur eux ; ensuite tiens-toi à l’écart d’eux pour voir ce que sera leur réponse.” ( Coran, 27,20-28 ).

Nous pouvons remarquer, d’après ce passage, la vigilance de la huppe. Elle était au courant de tout ce que la reine et son peuple faisaient. Le coté religieux est mis en exergue : la reine et son peuple se prosternent devant le soleil au lieu de Dieu, la huppe témoigne aussi que c’est le diable qui leur a embelli leurs actions et les a détournés du droit chemin. La huppe va plus loin et attire l’attention sur les causes essentielles qui doivent inviter à l’adoration de Dieu ( p. 297 ). N’est-ce pas Lui qui révèle ce qui est caché dans les cieux et sur la terre, Lui qui sait ce que les gens cachent et aussi ce qu’ils divulguent ?

C’est cette position de la huppe qui a provoqué l’étonnement de Râzî puis celui d’autres exégètes. Ils étaient surpris par le geste de la huppe qui, dans sa vision des choses, a fait preuve d’une sagesse, d’une clairvoyance et d’une intelligence dépassant même les compétences de Salomon…

Cependant, si ces exégètes avaient étudié cette question dans la logique de la nécessité artistique du récit, ils auraient pu constater que ce type de personnage n’a pas existé en dehors du rôle qu’il joue dans le récit. C’est ainsi que les exégètes n’auront plus à s’étonner davantage…

D’ailleurs, nous rencontrons dans la littérature classique plusieurs exemples de genre de récit. Il suffit de donner ici l’exemple du livre “Kalîla wa Dimna” ( traduit par Ibn al-Muqaffa). On y trouve les oiseaux et les animaux qui parlent et qui font preuve de sagesse. Mais je crois que l’origine de cet étonnement des exégètes ne vient que de leur incapacité à reconnaître ici ce qu’ils ont l’habitude de voir et de toucher, ce qui en force certains à recourir à l’explication du miracle…( p. 299 ).

Les Hommes

Dans les récits coraniques on trouve fréquemment la mention des hommes. Il s’agit dans la plupart du temps des prophètes…Parfois on trouve la mention des rois ou des ministres…, les frères de Joseph et ses compagnons de prison. Souvent le récit ne donne pas d’importance à la description physique de ceux-ci…(p. 305) Il n’y a pas non plus grande insistance sur leurs noms (hormis le cas des prophètes)…( p. 306 )

(D’une façon générale), la mention des hommes est liée à des événements importants de l’histoire… Si nous essayons de comprendre leurs réactions et leurs états psychologiques tels que les récits les présentent, nous pouvons comprendre les conditions dans lesquelles vivait le prophète Mohammed dans son milieu mekkois… C’est d’ailleurs ce qui explique le but de ce type de récits qui vise la consolation du prophète et la diminution de la pression qu’il subit…( p. 313 ).

Les femmes

En évoquant les femmes dans les récits, le Coran n’a pas transcendé la tradition courante qui est marquée par deux caractéristiques : la femme est considérée comme l’auxiliaire de l’homme, et son prénom ne doit pas se prononcer publiquement tout seul…
En parlant d’Ève, par exemple, le Coran ne cite jamais son prénom. Ce qui nous parait étrange surtout qu’il s’agit de la mère de l’humanité, de la première femme venue dans ce monde, et puis c’est bien elle – selon la Bible – qui a poussé Adam à manger de l’arbre dont Dieu leur a interdit de manger le fruit ce qui leur a coûté d’être expulsés du paradis…
Si nous passons en revue toutes les femmes citées dans les récits coraniques, nous constatons qu’elles obéissent à la même règle…S’il s’agit d’une femme mariée, on rencontre souvent l’expression “la femme d’untel” (Imra’atu fulân ). On trouve, par exemple, “la femme de Noé, la femme de Loth, la femme d’Abraham, la femme de ’Imrân, la femme du Pharaon”.
Pour les femmes non mariées on ne cite que le mot “Imra’atun”( femme), c’est d’ailleurs le cas pour la reine de Saba… ( p. 317 ).
Une seule femme échappe à cette règle, quand le Coran parle de Maryam ( Marie ). Ceci est dû, aussi une autre fois, à un contexte où les gens croyaient que Jésus est le fils de Dieu alors que le Coran cherchait à abolir cette croyance. Il a donc insisté sur le fait que Ïsâ (Jésus) est le fils de Marie, que sa naissance prodigieuse se produisait sans père et que cette naissance est semblable à celle d’Adam que la paix soit sur eux. C’est donc la raison pour laquelle le Coran a cité explicitement le prénom de Marie et même l’a répété plusieurs fois en disant qu’il est le fils de Marie et non pas le fils de Dieu. ( p. 318 )