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Syriza
Photo par Daniele Vico, flickr.

 

Syriza, dont le nom signifie en grec « Coalition de la gauche radicale », était donné vainqueur des élections législatives anticipées, dimanche soir d’après les sondages de sortie des urnes.

Syriza se forme, en 2004, comme une coalition rassemblant plusieurs courants de la gauche grecque : eurocommunistes, radicaux, écologistes, trotskistes… Son score est de 3,3 % des voix. Il décroche six sièges de députés au parlement.

Ce dimanche 25 janvier, le parti décuple son score : il a recueilli 36,34 % des suffrages, ce qui lui donne un total de 149 sièges sur 300 à l’assemblée, compte tenu de la prime de 50 députés accordée au parti vainqueur du scrutin. Il lui manque deux sièges pour la majorité absolue. Une coalition avec un parti s’avère nécessaire, ou des tractations pour convaincre quelques députés de se rallier à Syriza.

De fait, dès ce lundi matin, Tsipras a annoncé, à l’issue d’une rencontre avec le leader du petit parti Grec indépendant (4,75 %, 13 députés), qu’un accord avait été trouvé. Ce parti nationaliste et anti-austérité, issu d’une scission avec Nouvelle Démocratie en 2012, partage avec Syriza la volonté de sortir du régime des « mémorandums ». Les deux partis sont pourtant très éloigné en termes de politique d’immigration et de sécurité, mais cette coalition qui paraîtrait en d’autres circonstances contre nature est celle qui avait été avancée le plus sérieusement par les cadres de Syriza ces dernières semaines.

Un communiqué de Syriza évoquait déjà le « soutien » et la « collaboration probable dans un nouveau gouvernement » de ce parti. Cela signifie qu’il pourrait obtenir un ministère.

Alexis Tsipras qui a rencontré rapidement les chefs du parti centriste La Rivière (6,05 %, 17 députés) et du Parti communiste (5,47 %, 15 députés) sait que ces derniers refusent d’intégrer une coalition avec Syriza.

La formation du nouvel exécutif est attendue dès ce mardi ou mercredi au plus tard.

Aujourd’hui le peuple a écrit l’histoire !

Mais dimanche soir, pour la foule, l’heure n’était pas aux tractations politiques.

« Aujourd’hui le peuple a écrit l’histoire », a lancé Alexis Tsipras devant une foule compacte vers onze heures du soir devant l’ancienne université d’Athènes. « La Grèce laisse derrière elle l’austérité, la peur, l’autoritarisme. Elle laisse derrière elle cinq ans d’humiliation et de tristesse. » Le leader de Syriza, a affirmé que le peuple « nous a donné un mandat pour la renaissance nationale et la reconquête de la cohésion sociale de notre patrie (…) Notre victoire est en même temps la victoire de tous les peuples européens qui se battent contre l’austérité qui détruit notre avenir européen commun. (…) Je veux vous assurer que le nouveau gouvernement grec sera prêt à collaborer et à négocier pour la première fois avec nos partenaires pour une solution juste, profitable pour tous, et viable, afin que la Grèce sorte du cercle vicieux du surendettement, afin que l’Europe revienne vers la stabilité, la croissance, la cohésion sociale, les principes et les valeurs qui constituaient ses principes et valeurs fondateurs, tels que la démocratie et la solidarité ».

Une victoire en Grèce serait « un moment de libération pour l’Europe tout entière », estimait Susan George d’Attac au meeting de solidarité organisé à Paris juste avant les élections. Elle espère voir Alexis Tsipras « dénoncer la dette odieuse et illégitime ». Le secrétaire national du PCF, Pierre Laurent, souhaite quant à lui que Syriza puisse « gouverner à partir de son programme et non des injonctions des banques et des engagements passés avec la troïka ». Pierre Larrouturou, co-président de Nouvelle donne, rappelle que « si la Grèce avait le même taux d’emprunt que la France, elle serait en excédent budgétaire ! ».

Jean-Luc Mélenchon a quant à lui déclaré qu’une « page qui va se tourner, celle du martyre des peuples pris à la gorge », puisse se transformer en « grand élan qui va permettre de renverser la table à Athènes, à Madrid, à Paris ! ». Et à ceux qui feraient remarquer que le Front de gauche ne connaît pas la même dynamique que son cousin athénien, il rétorque : « J’ai connu Tsipras quand il n’était qu’à 3 %. Puis quand il a connu une scission avec ceux qui voulaient rejoindre le Pasok au gouvernement… ». Enfin, il a ciblé les sociaux-démocrates qui rallient la victoire de la gauche de gauche hellène : « Puisque Syriza serait une variable de la social-démocratie, faites le gel de la dette, faites la réforme fiscale, faites la gratuité de la santé et de l’électricité, comme dans leur programme ! Désormais, on va pouvoir parler brut en Europe ! »

A ce même meeting, l’ancienne ministre du logement Cécile Duflot (EELV) expliqua « nous en avons eu assez de prendre des leçons de responsabilité de la part d’irresponsables. » Dans le même temps, elle a insisté sur la nécessité d’une « réorientation nette et vigoureuse de la construction européenne, car l’Europe est l’espace réel pour réguler le marché ou lutter contre la fraude fiscale ». Duflot a aussi dit souhaiter la victoire de Podemos en Espagne, et a lancé : « Cela nous met nous-mêmes au défi de forger une voie pour l’espoir dans notre pays. Il y aura des débats entre nous, mais ce projet nouveau devra aboutir ».

Giorgos Katrougalos, député de Syriza, en clôture du meeting parisien, a confirmé l’intention de son parti d’« assainir le système politique grec corrompu et clientéliste, de restaurer le Smic, de rétablir une couverture santé digne de ce nom, de rétablir le courant pour tout le monde, d’abolir la dérégulation du droit du travail, de promouvoir de nouvelles institutions de démocratie directe ». Au plan européen, il a dit vouloir convaincre de « la nécessité de mutualiser la dette, car l’Europe ne peut pas vivre coupée en deux, entre créditeurs et débiteurs ».

149 députés, manque 2 députés pour la majorité absolue !

Pour décrocher la majorité absolue à l’assemblée, soit 151 sièges de députés sur 300, il faudrait que Syriza obtienne entre 35 et 39 % des voix. Ce score est variable car il résulte d’un calcul complexe : la Constitution grecque octroie en effet une prime de 50 députés au premier parti entrant, et les partis élus se répartissent ensuite le pourcentage cumulé de tous les partis n’ayant pas passé le seuil d’éligibilité des 3 %.

Pour les dirigeants de Syriza, il est exclu de collaborer avec les partis responsables de la politique d’austérité à l’œuvre depuis quatre ans – à savoir la droite de Nouvelle Démocratie, les socialistes du PASOK et la nouvelle formation de Georges Papandréou, le Mouvement des socialistes démocrates. Restent enfin l’orthodoxe et anti-européen KKE (parti communiste) qui, de lui-même, refuse tout dialogue avec Syriza.

Programme de Syriza

Le programme de Syriza comprend un ensemble de mesures sociales urgentes pour faire face à la « crise humanitaire » que connaît le pays, des mesures économiques pour favoriser la relance, et une position ferme sur la question de la dette – laquelle fera toutefois l’objet d’une négociation avec les partenaires européens.

Voici ce que prévoit le parti du côté des mesures sociales : possibilité pour les foyers surendettés auprès du fisc ou des caisses de sécurité sociale de re-échelonner leurs dettes suivant un nombre de versements illimités, sans que l’État puisse délivrer d’amende ni procéder à des prélèvements obligatoires ; rétablissement du courant pour tous les foyers qui vivent en dessous du seuil de pauvreté ; accès à un logement ou à un hébergement en foyer pour tous les sans-logis ; interdiction des saisies immobilières ; couverture santé gratuite pour les chômeurs, leurs ayants droit, et tous les anciens auto-entrepreneurs endettés qui ont perdu leurs droits sociaux ; restitution de la 13e mensualité pour les retraites inférieures à 700 euros par mois ; gratuité des transports en commun pour les chômeurs et les foyers sans ressources.

Du côté du marché du travail, le programme de Syriza prévoit le relèvement du salaire minimum à son niveau initial (751 euros brut par mois) et le rétablissement des conventions collectives.

Pour favoriser le retour de la croissance, Syriza propose en outre des aides aux PME – qui constituent une grande partie du tissu économique du pays. Les PME surendettées auprès du fisc ou des caisses d’assurance sociale pourront toucher des indemnités pour relancer leur activité. Le parti envisage également la création d’une banque publique de développement à destination des PME et des agriculteurs. Par ailleurs, Syriza souhaite interdire la vente des crédits bancaires immobiliers et des crédits à la consommation à des fonds étrangers.

Engagé du côté des immigrés dans un pays régi par le droit du sang et où ceux-ci ont souffert, avec la crise, d’une montée en flèche du racisme, le parti de Tsipras est favorable au droit de vote des immigrés aux élections locales et à la naturalisation de la deuxième génération. Syriza s’est par ailleurs clairement affiché pour la poursuite en justice des membres du parti d’extrême droite néonazi Aube dorée.

L’ensemble de ce programme est estimé à quelque 12 milliards d’euros. Syriza assure que tout cela peut être financé grâce à une utilisation plus performante des fonds européens et une meilleure collecte fiscale, en luttant davantage contre la fraude et l’évasion et en taxant plus lourdement les richesses : il entend supprimer l’impôt foncier mis en place par le gouvernement Samaras, qui touche tous les foyers propriétaires, pour mieux cibler la grande propriété.

Côté fiscal, le parti entend également relever le seuil d’imposition, actuellement à 5 000 euros, à 12 000 euros par an, et supprimer l’impôt sur le fioul domestique et l’essence.

Du côté de la dette, qui s’élève actuellement à quelque 320 milliards d’euros, soit environ 175 % du PIB, Syriza prône un effacement partiel. Tsipras insiste pour la diminuer des deux tiers pour arriver à un niveau équivalent à 60 % du PIB. Cette dette est aujourd’hui, contrairement à 2012, essentiellement dans les mains des États européens, et non plus des détenteurs privés. La question d’un effacement devient donc très politique, et les dirigeants européens – Angela Merkel en première ligne – y sont fermement opposés, dans la mesure où cela serait très mal perçu par leurs contribuables.

Le nœud couland de la dette !

Syriza a assuré pendant la campagne qu’il mènerait une « négociation ferme ». Mais le futur gouvernement risque d’être coincé par une des échéances importantes : au printemps, 3,5 milliards d’euros d’obligations grecques doivent être remboursés, puis 10 milliards en juillet, tandis que le pays ne peut toujours pas emprunter sur les marchés, tant les taux sont prohibitifs. C’est pourquoi le versement de la dernière tranche des prêts européens (1,8 milliard d’euros), initialement prévu pour décembre et repoussé de deux mois, est crucial. La dernière tranche des prêts du FMI, d’un montant de 7 milliards d’euros, est elle aussi attendue pour cette année. Ces deux éléments ne sont pas à négliger : la Troïka peut s’en servir pour exercer une pression importante sur le nouvel exécutif.

Si Syriza parvient à former un gouvernement, il sera le seul exécutif en Europe et dans le pourtour méditéranéen formé par un parti issu de la gauche radicale. La Grèce est en outre un petit pays de quelque 11 millions d’habitants, en marge du noyau dur européen : elle ne compte que 21 députés sur 751 au parlement européen et n’a jamais pesé d’un grand poids au niveau diplomatique. Pas sûr, donc, qu’Athènes puisse renverser la donne à Bruxelles.

Une victoire de Syriza en Grèce ouvre toutefois une dynamique et pourrait donner des ailes à d’autres gauches sur le continent : à la fin de l’année, le Portugal et l’Espagne, autres pays du sud européen touchés de plein fouet par la crise, vont également élire leurs députés. Le parti espagnol Podemos, né dans le sillon du mouvement des Indignés, a le vent en poupe et son leader, Pablo Iglesias, qui affiche depuis quelques mois son soutien à Tsipras, était présent à son meeting à Athènes, jeudi soir.

Cette victoire de la gauche radicale oblige à se poser une question de fond : la stratégie de Tsipras est-elle, pour reprendre l’alternative formulée par le Financial Times « radicale ou réaliste » ? Ou, pour le dire avec l’économiste Frédéric Lordon, s’agira-t-il de « caler le pied de table » ou de la « renverser » ?

L’alternative pour Syriza est des plus simples : plier ou tout envoyer paître. Mais il n’y aura pas de tiers terme. Et si Tsipras imagine qu’il pourra rester dans l’euro et obtenir davantage que des cacahuètes, il se raconte des histoires, écrit Frédéric Lordon.

En 2010, la Grèce, surendettée, se retrouve dans l’impossibilité d’emprunter davantage sur les marchés. Le gouvernement fait alors appel aux institutions européennes et au FMI afin qu’ils lui prêtent de l’argent. En échange, une sévère cure d’austérité est administrée, qui se poursuivra sous la forme d’un nouveau programme en 2012. Cinq ans plus tard, le PIB s’est effondré de 20 % et près de 26 % de la population active est au chômage.

La dette publique grecque s’établit à 174 % du PIB – un record en Europe (contre environ 95 % pour la France). Cela représente une masse de 317 milliards d’euros – à comparer aux plans de « sauvetage » conclus depuis 2010 avec Athènes pour permettre à la Grèce d’éviter le défaut, d’un montant cumulé de 240 milliards d’euros. Malgré des années d’austérité carabinée, le fardeau de la dette s’est encore alourdi, alors que l’économie grecque s’est contractée d’un cinquième. Selon les critères de Maastricht, la dette d’un État membre ne doit pas dépasser 60 % de son PIB.

Syriza gagne là où le Front Populaire perd !

Maintenant, une question à ce qui dans notre pays, la Tunisie, correspond à la dynamique Syriza, nous avons nommé le Front Populaire.

Là où Syriza, qui n’a pas varié d’un pouce quant à sa stratégie de conquête du pouvoir, nous avons une direction frontiste qui n’a cessé de naviguer à vue en trempant dans des alliances qui ont vidé la dynamique populaire qui a accueilli favorablement la naissance d’un pôle en défense de la révolution.

Là où il fallait rester indépendant pour s’affirmer comme le meilleur défenseur de la cause des exploités et des opprimés avec un programme clair en défence de ce camp, les dirigeants frontistes ont brouillé le message et ont multiplié les déclarations contradictoires.

Résultat, là où Syriza obtient une presque majorité, le Front Populaire se satisfait d’une troisième position avec quinze petits députés élus avec des scores misérables.

Là est la leçon à méditer par toutes celles et tous ceux qui n’ont pas lâcher la proie pour l’ombre et continuent à militer pour la reconstruction d’un vrai pôle en defense des opprimés dans cette séquence révolutionnaire qui n’a pas dit son dernier mot.