Condamnation de maître Mohammed Abou

World Organization Against Torture (Geneva)

29 Avril 2005
Publié sur le web le 2 Mai 2005

Le Secrétariat international de l’Organisation Mondiale Contre la Torture (OMCT) exprime sa plus vive inquiétude devant la condamnation à une peine de prison de 3 ans et demi et les irrégularités dans la procédure judiciaire visant maître Mohammed Abou, membre de l’Association internationale de soutien aux prisonniers politiques (AISSP), ancien dirigeant de l’Association des jeunes avocats et membre du Conseil national pour les libertés en Tunisie (CNLT).

Le 28 avril 2005 Me Abou a été convoqué devant le juge d’instruction au Palais de justice à Tunis concernant deux affaires, l’une d’agression et l’autre de délit de la presse. Le plaidoyer a été interrompu vers 22h30 et la décision a été rendue à huis clos, sans la présence des avocats de la défense et sans que l’accusé n’ait été interrogé sur l’affaire d’agression, vers 1h du matin le 29 avril. Me Abou a été condamné à une peine de deux ans d’emprisonnement pour agression à une consÅ”ur et à un an et demi pour diffusion de fausses nouvelles de nature à troubler l’ordre public, diffamation de l’appareil judiciaire et incitation à la rébellion. Tout au long de la séance, qui s’est tenue dans une petite salle avec une présence massive d’agents de la police, les avocats de la défense ont été intimidés par le juge, qui indiquait que tous leurs propos étaient enregistrés et que leurs auteurs pourraient être inculpés pour diffamation.

Me Abou avait été arrêté à Tunis le 1er mars 2005, sans qu’aucune convocation ou mandat ne lui soit adressé, dans le cadre d’une affaire enregistrée en septembre 2004. Les charges contre lui portent sur la diffusion sur Internet d’une tribune rédigée en août 2004, où il compare les conditions de détention en Tunisie à celles dans la prison d’Abou Ghraib, en Irak. Cette interpellation est survenue au lendemain de la diffusion sur Internet d’un nouvel article de maître Abou dans lequel il critique l’invitation faite par le président tunisien Ben Ali au Premier ministre israélien, Ariel Sharon, au Sommet mondial sur la société de l’information (SMSI), qui se tiendra en novembre 2005. Cette invitation a provoqué de nombreuses manifestations dans le pays, durement réprimées.

Me Abou a initialement été détenu dans la prison du 9 avril à Tunis. Ses avocats et sa famille ont rencontré de nombreuses difficultés pour faire valoir leur droit de visite et n’ont pu le rencontrer que dans des conditions très restreintes. Le 11 mars 2005, il a été transféré à la prison du Kef (à 170 km de Tunis).

Le 21 avril 2005, Me Abou a été convoqué par le juge pour lui remettre un rapport d’instruction concernant une deuxième affaire, où il se trouve inculpé pour agression physique contre une de ses consÅ”urs lors d’un malentendu en salle d’audience qui s’était produit 2 ans et 10 mois plus tôt.

Selon Me Radhia Nasraoui, présidente de l’Association de lutte contre la torture en Tunisie et membre de l’Assemblée des déléguées de l’OMCT, la condamnation et le déroulement du procès de Me Abou consiste en « un pas en avant pour plus de violations au droit à la défense » et constitue un précédent inquiétant.

L’OMCT demande aux autorités tunisiennes de libérer dans les plus brefs délais Me Abou, en raison du fait que sa détention est arbitraire, et appelle au respect de la liberté d’expression et au droit à un procès équitable en Tunisie, conformément aux dispositions des instruments internationaux applicables en la matière.

Eric Sottas, directeur de l’OMCT, estime que ce nouveau cas constitue une escalade inquiétante dans la répression des critiques du régime : « A quelques mois de l’ouverture du Sommet mondial sur la société de l’information, les autorités tunisiennes adoptent une attitude des plus contradictoires. Si, pour des raisons diplomatiques, elles font montre d’une plus grande tolérance à l’égard de gouvernements avec lesquels elles nourrissent d’importants contentieux, elles recourent aux pires méthodes pour faire taire toute expression dissidente au sein de la société tunisienne. Préparent-elles un sommet de l’information ou un sommet de la propagande ? »