On peut classer les remarques critiques émises suite à l’appel relatif à la nécessité d’un mouvement libéral tunisien [1], en quatre catégories distinctes selon des critères plus au moins objectifs. La première catégorie des critiques est liée à la source du libéralisme et à des questions sémantiques autour de l’usage des mots « libre », « liberté » et « libéralisme ». La deuxième catégorie des critiques traduit la réduction minimaliste, erronée, du libéralisme au capitalisme sauvage. Le troisième niveau de critiques porte sur le décalage entre d’un côté l’idéologie et la pensée politique libérales et d’un autre côté son vécu et ses pratiques au pouvoir. Enfin, le dernier niveau des critiques consiste en un reproche d’appropriation de l’héritage du mouvement national tunisien dans le but d’une légitimation d’un projet sociétal libéral tunisien.

Liberté et libéralisme

Il est essentiel avant de se hasarder dans des infirmations catégoriques du lien, qui est réel et indéfectible, entre liberté et libéralisme d’effectuer un retour aux sources du libéralisme lui-même pour pouvoir donner un avis objectif pouvant faire autorité. Aussi, on ne peut vraiment comprendre de quelle interprétation de la liberté le libéralisme puise son essence si on ne connaît pas les différentes interprétations de la liberté et leurs soubassements tout en sachant que la liberté a été toujours un objet de réflexion pour les philosophes et les moralistes de tout temps.

Il est à rappeler que les bases théoriques du libéralisme ont été jetées en premier lieu en Angleterre puis en France, ce qui explique que les premiers auteurs libéraux étaient tous des Britanniques. Dans la langue anglaise, il existe deux mots, « freedom » et « liberty », que lorsqu’ils sont traduit en français ; ou dans n’importe quelle autre langue ; se confondent avec le mot liberté alors qu’ils renferment en eux deux sens différents. La traduction par liberté des mots « freedom » et « liberty » ; l’emploi de mot « freedom » était plus général que celui du mot « liberty », qui était utilisé dans des situations spécifiques ; alors que leurs utilisations par les auteurs britanniques ont été distinctes, a donné l’impression qu’ils avaient une portée identique alors que ce n’est pas le cas.

Les libéraux, surtout ceux parmi eux qui incarnaient la source du libéralisme, étaient conscients que la liberté peut prendre plusieurs formes et qu’elle ne peut-être l’affirmation de toutes ses manifestations. Comme, ils étaient conscients que ces libertés, « liberty », ne sont pas la liberté, « freedom ». Le libéralisme ne nie pas ces libertés ni leurs contradictions possibles, mais il les dépasse en posant le principe que la liberté, « freedom », est dans l’homme et qu’elle inhérente à sa nature. Cette liberté, « freedom », inhérente à la nature de l’homme fait de ce dernier l’unique responsable de son destin. La liberté, « freedom », est une propriété personnelle de l’homme, comme le corps, la vie, l’âme, etc.. Elle lui est innée comme respirer, boire, sentir, etc… La liberté, « freedom », contient son essence en elle-même en tant qu’une propriété de l’homme. Elle est un fait et un postulat, qui ne se discutent pas.

L’homme est le meilleur juge de ce qui lui est bon. La liberté libérale, « freedom », se définit comme « la faculté que tout homme porte en lui d’agir selon sa propre détermination, sans avoir à subir d’autres contraintes que celles qui sont nécessaires à la liberté des autres » (Georges Burdeau, « Le libéralisme », 1979 ).

Ainsi, C’est parce que chacun s’estime être le meilleur juge de ce qui lui est bon que le libéralisme soit né comme une critique de l’ordre absolu du roi et de l’église, qui ordonnaient et commandaient à chacun ce qu’ils jugeaient bon pour lui. Aussi, C’est parce que chacun s’estime être le meilleur juge de ce qui lui est bon que le libéralisme soit né en opposition totale avec le pouvoir politique de la religion, le despotisme, le totalitarisme, l’absolutisme, etc.… C’est en exigeant l’établissement des institutions garantissant la liberté libérale, « freedom » que le libéralisme s’est érigé en tant que théorie, idéologie, doctrine, pratique à l’assaut de la bastille de l’ancien monde.

Aussi, la liberté libérale, « freedom », décrit une situation dans laquelle l’homme n’est pas soumis à la volonté arbitraire d’un autre, quel que soit l’autre, une personne, une institution, l’Etat ou Dieu. Tandis que la liberté au sens libertés, « liberty », n’existe vraiment que « par rapport à » ou « de » (Hayek, « La constitution de la liberté », 1960). On se rend compte que la liberté au sens « freedom » est une, unique, parce que si on n’est pas libre on est non libre ou esclave, alors que la liberté, au sens « liberty », est plusieurs et elle peut prendre différentes formes selon les aléas et les possibilités. Le Tunisien est libre de prier dans une mosquée, le Tunisien est libre de boire de l’alcool, le tunisien est libre de voter, le tunisien est libre par rapport au libyen, puisqu’il a des libertés que le Libyen n’a pas, toutefois le tunisien n’est pas libre, il n’est pas un homme libre, au sens « freedom », puisqu’il est soumis à la volonté arbitraire d’un despote.

Toutefois, et pour ajouter de la confusion à la confusion, le morbide a était atteint quand on a commencé à associer la liberté au « pouvoir de faire ce qu’on veut ». Cette confusion de sens à été délibérément adoptée pour son intégration dans les thèses socialistes afin de confondre la liberté, « pouvoir », avec la liberté, « freedom » (Hayek, « La constitution de la liberté », 1960). Or, comme la liberté est pouvoir, l’homme libre est celui qui à le pouvoir de faire ce qu’il veut. Cette liberté, « pouvoir », conduit in fine à identifier la liberté à la richesse en faisant de la distribution de la richesse une exigence à la liberté. Il est certain aujourd’hui que cette ambiguïté a été adoptée pour servir les visées idéologiques socialistes dans le but de justifier le pouvoir collectif au détriment de la liberté individuelle.

Mais encore, cette confusion de la liberté avec le pouvoir ne s’arrête pas seulement à l’assimilation de la liberté à la richesse, mais aussi à l’intérêt général, à la souveraineté du peuple, à la volonté populaire et à la majorité. C’est au nom de cette confusion généralisée de la liberté, « pouvoir », avec la liberté, « freedom », que dans les Etats totalitaires la liberté a été supprimée au nom de la liberté.

Il apparaît clairement à travers cette rapide distinction entre les différentes interprétations de la liberté qu’il y en a au minimum trois : la liberté « freedom », la liberté « liberty » et la liberté « pouvoir ». Il y’en a seulement une qui est d’interprétation libérale et qui constitue le fondement du libéralisme, à savoir la liberté « freedom ». La liberté, « freedom », est utilisée pour distinguer entre un homme libre et un homme non libre (esclave), alors que la liberté au sens « liberty » ou « pouvoir » sont utilisées soit pour désigner la liberté « de » ou la liberté « par rapport à » ou soit pour exprimer le pouvoir de faire ce qu’on veut ou la libération des désirs, la jouissance de licence ou de permissivité.

On s’aperçoit clairement que contrairement aux idées propagées par la propagande gauchisante (francophone et tiers-mondiste), depuis de très longues années, il n’y a vraiment aucune apparenté sémantique à la source même du libéralisme britannique entre le terme « freedom » (liberté) et « liberalism » (libéralisme) pour que le libéralisme s’approprie la notion de liberté à travers une culbute sémantique. Que dès ses origines le libéralisme s’est érigé en opposition avec l’absolutisme du trône et de l’église pour que l’homme ne soit plus soumis à une quelconque volonté arbitraire, parce qu’il porte la liberté en lui et qu’il est le meilleur juge de ce qui lui est bon (liberté, « freedom »).

Il devient évident que les confusions de sens et les malentendus sémantiques, créées et entretenues de mauvaise foi n’ont pour unique but que le discrédit du libéralisme en usant et en abusant de subterfuge. En effet, la gauche, les alter-mondialistes et les islamistes d’aujourd’hui se sont appropriés la confusion autour de la notion de liberté des socialistes d’hier, faisant une présentation qui leur est propre du libéralisme pour critiquer leur propre présentation de celui-ci.

Faisons la démonstration de ceci à partir des dires de ce même intellectuel, néerlandais, Jelle Van Buuren, sur qui on s’est basé pour apporter des critiques discutables à mon appel. Jelle Van Buuren dit que « le vocabulaire néolibéral fait grand usage des mots ‘libre’ et ‘liberté’. Si l’on y regarde de plus près, cette liberté ne vaut pas pour tout le monde. Plus précisément, elle dépend de la nationalité et de la situation de ceux qui la revendiquent. Elle est subordonnée aux relations économiques et aux intérêts ». Premièrement, on remarque que l’auteur de cette citation ne parle pas du tout d’appropriation de la notion de liberté par les libéraux mais plutôt du grand usage qu’ils font d’elle. A la lecture de cette phrase on ne se rend pas compte très bien de quelle notion de liberté il s’agit, toutefois le sens que donne l’auteur à la notion de liberté, devient plus claire à la lecture des phrases suivantes de la citation. Pour Jelle Van Buuren, cette liberté dépend de la situation des uns et des autres (une liberté par rapport à) et elle est sujette au pouvoir économique (une liberté-pouvoir). Or, la liberté ne signifie pas abondance de bonnes choses, on peut-être libre et pauvre. Le smicard ou le rmiste français est libre, il est le meilleur juge de ce qui lui est bon et il n’est soumis à aucune volonté arbitraire alors que le Tunisien riche n’est pas libre puisqu’il est soumis à la volonté arbitraire d’un despote.

On s’aperçoit ainsi de la supercherie gauchiste qui crée la confusion entre les différentes interprétations de la liberté pour réduire cette dernière à la liberté, « pouvoir », afin de justifier la suppression de la liberté individuelle, « freedom », au nom de la liberté (la liberté-pouvoir) ou précisément au nom de l’égalitarisme, la source du marxisme. D’un point de vue purement chronologique, on saisit la tentative d’appropriation par les socialistes de la notion de la liberté qui est au centre du libéralisme, pour la retourner contre ce même libéralisme. A travers une manipulation « savante » de la notion de la liberté, l’intelligentsia de gauche a crée et répandu cette confusion dans les interprétations afin de s’approprier la liberté en l’asservissant à l’égalitarisme pour supprimer la liberté individuelle au nom de la liberté-pouvoir.

Il est certain maintenant, après cet éclairage, que l’édifice des critiques construit autour de cette confusion entre les différentes interprétations de la liberté, incarnée ici par la citation de Jelle Van Buuren, mais qui est une résultante de la règle générale d’inclusion de la liberté-pouvoir dans les thèses gauchisantes, s’effondre de lui-même, tel un château de carte.

La liberté libérale est une et unique, elle correspond à la liberté « freedom ». Cette liberté décrit une situation dans laquelle l’homme n’est pas soumis à la volonté arbitraire d’un autre et qu’il est le meilleur juge de ce qui lui est bon. C’est en se basant sur cette interprétation de la liberté que le libéralisme s’est érigé en tant que théorie, idéologie et doctrine afin d’établir des institutions libérales garantissant et préservant à tous les hommes cette liberté libérale « freedom ».

Libéralisme économique versus capitalisme sauvage

On vient de voir précédemment que le libéralisme puise sa source et ses fondements dans cette interprétation libérale de la liberté, qui s’exprime concrètement dans tous les domaines de l’activité individuelle pour prendre la forme du libéralisme politique, du libéralisme religieux, du libéralisme des mœurs, etc… Afin d’éviter les manipulations et les malentendus inutiles je tiens à préciser que le terme mœurs est utilisé ici dans son sens le plus général correspondant aux us et coutumes, aux usages, aux règles, aux habitudes, etc… Et que le libéralisme des mœurs n’a rien à voir avec le libertinage, la libération sexuelle, la débauche athée, la libération des désirs, la libération des jouissances et de permissivité à tout bout de champs.

Concernant le libéralisme économique qui nous intéresse dans cette section, il puise lui aussi ses fondements dans la notion de la liberté libérale. Chacun de nous est le meilleur juge de ce qui lui est bon, ce qui veut dire qu’aucune volonté ne doit intervenir ou s’immiscer d’une manière arbitraire dans toutes les activités de l’homme y compris ses activités économiques. Toutefois, l’établissement de l’économie politique en tant qu’autorité distincte du politique, suite à l’ouvrage d’Adam Smith « Recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations », a fait de l’homme citoyen l’individu-citoyen. Chaque personne va être à la fois l’individu qui fait prévaloir son droit et son talent dans un marché compétitif et le citoyen qui fait primer sa volonté dans l’Etat qui le représente, dans un cas comme dans l’autre l’homme est libre dans chacun de ces deux mondes. Cependant, l’intervention du citoyen, à travers l’Etat, ne peut qu’entraver le bon fonctionnement du marché alors que les lois du marché de leur côté constituent une limite à la souveraineté du citoyen.

Cette apparente contradiction entre le rôle du citoyen et de l’individu a alimenté toutes les critiques et les rébellions à l’encontre de la société libérale. En effet, afin de dépasser cette apparente contradiction les uns ont œuvré pour l’établissement de la suprématie définitive du citoyen conduisant à la disparition de l’individu et les autres ont appelé à l’établissement de la suprématie de l’individu menant à la disparition du citoyen. En effet, que ce soit du côté des adaptes de la souveraineté du peuple, de la planification, du dirigisme ou du côté les libertariens c’est dans leur volonté du dépassement de cette apparente contradiction qu’ils existent. Toutefois, pour les libéraux le dépassement de cette contradiction apparente passe par la considération des activités humaines dans leurs diversités comme la division de travail entre des entités, groupes, familles, institutions, distinctes. Dans ce cas, l’état est une composante comme une autre du « Marché » (dans un sens très large), qui lui n’a pas besoin d’institutions politiques pour exister.

Ainsi, comme l’Etat est une composante du marché, qui existe indépendamment des institutions politiques, alors le marché ne peut être protégé par l’Etat mais doit être protégé de ce même Etat. Tout le libéralisme économique s’articule autour de cette évidence permettant le dépassement de l’apparente contradiction dans les rôles de l’individu et du citoyen. Toutefois, comme le marché doit être protégé de l’Etat, l’Etat, le libéralisme politique, la démocratie libérale doivent aussi être protégés du libéralisme économique dont les impératifs ne peuvent êtres respectés strictement. L’observation des impératifs du libéralisme, la libre concurrence et le libre échange, est la seule assurance d’égalité, qui est le fondement de la liberté libérale, entre les individus. Les inégalités ; les différences de rémunérations ne sont pas des inégalités lorsque l’emploi du travail et du capital est le résultat d’un Etat naturel ; entre les individus apparaissent seulement lorsque la concurrence est faussée de maintes manières et lorsque le libre échange est entravé par l’interventionnisme et le protectionnisme.

Depuis Adam Smith jusqu’aujourd’hui, pour des auteurs farouchement libéraux tel que Fréderich van Hayek, Milton Friedman, Pascal Salin, etc.. les impératifs du libéralisme économique sont les mêmes, la protection du marché de l’interventionnisme étatique, la libre concurrence et le libre échange. Toutefois, contrairement à ce que le laissent entendre les ennemis du libéralisme, le libéralisme économique n’est pas hostile à l’Etat puisqu’il reconnaît que l’Etat est nécessaire à la défense extérieure et au maintien de l’ordre intérieur et qu’il contribue aussi à assurer des fonctions sociales que les individus ne peuvent pas souvent assurer. Pour le Philosophe libéral Karl Popper, la priorité d’un Etat ou d’un gouvernement est de venir en aide aux gens qui ont besoin d’être aidés, tels que les « underdogs » (les défavorisés), les handicapés, les malades mentaux, les enfants, etc.. (Karl Popper, « La leçon de ce siècle », 1992). L’économiste libéral Fréderich van Hayek, quant à lui, n’est pas opposé à l’existence d’un revenu minimal ou de services « gouvernementaux », toutes ses objections trouvent leurs essences dans la situation de monopole étatique qui caractérise ces marchés de services « gouvernementaux » (Fréderich van Hayek, « Hayek on Hayek », 1994).

A propos de la question du libre échange, la position libérale n’a guerre changée depuis Adam Smith. Toutefois, si on est, tous, conscient aujourd’hui de l’absurdité du protectionnisme une fois que, les individus, les citoyens et les pays avaient payé ses aberrations au prix des guerres des plus meurtrières. Il ne faut pas que le libre échange aboutisse aussi à des conséquences désastreuses pour les individus, les citoyens et les pays. C’est pour cette raison que d’Adam Smith avait proposé d’atténuer les principes du libre échange dans deux cas précis. Le premier cas est celui d’encourager une industrie nationale particulière, tel que l’industrie de la défense du pays. Le deuxième cas est celui d’encourager une industrie naissante dans le pays en imposant pour une certaine période les produits des industries étrangères concurrentes. Dans tous les cas, et pour éviter les conséquences néfastes du libre échange, il faut toujours éviter une ouverture brusque du marché intérieur à la concurrence étrangère. Une ouverture du marché intérieur à la concurrence étrangère, le libre échange, s’étudie, se prépare et s’annonce à l’avance afin d’éviter ce qui se passe aujourd’hui avec l’industrie mondiale du textile. Je fais ici juste une petite digression pour signaler qu’il ne faut pas confondre libre échange et mondialisation, que les libéraux ne rejettent pas la mondialisation mais rejettent seulement la mondialisation lorsqu’elle devient asservissante, dépersonnalisante, « uniformisante », indifférente, absolue, etc.… dépassant le simple cadre du libre échange.

Sur le plan de l’interventionnisme économique étatique, les libéraux admettent des fois l’interventionnisme étatique dans des cas bien précis tels que ceux des grands travaux, les infrastructures, les recherches et les développements militaires qui sont très coûteux en investissements et qui ne peuvent être supportés par des individus ou par des entreprises privées ou aussi dans le cas d’activités qui par leur nature ne peuvent être très vite rentables pour intéresser des entreprises privées. Toutefois, quelles que soient les raisons de l’interventionnisme économique étatique, l’état ne doit garder le monopole des ces marchés et doit in fine récupérer sa mise de départ, qui n’est rien d’autre que l’argent du contribuable, en cédant à terme les entreprises d’états ou plutôt les parts de l’état dans certaines entreprises. Si l’interventionnisme économique étatique peut être tolérer dans des circonstances précises ou exceptionnelles, l’art de la gestion libérale réside dans ce dosage, l’état doit in fine tendre vers ses fonctions régaliennes, tout en consentant une certaine flexibilité à la définition, selon les circonstances, de ce qui pourrait être considéré comme étant une fonction régalienne.

Pour ma part, le dépassement du dilemme libéral du citoyen-individu trouve toute sa portée dans la généralisation de la formule kantienne, « ce dont nous avons besoin, c’est d’une société dans laquelle la liberté de chacun doit être compatible avec la liberté des autres », à l’ensemble des activités humaines dans leurs diversités puisqu’ils représentent la division de travail entre des entités, groupes, familles, institutions, distinctes dans un « Marché » très large. Ainsi, ce dont nous avons besoin, c’est une société dans laquelle la liberté de chaque entité (dont le marché ou l’état) doit être compatible avec la liberté des autres entités (dont l’état ou le marché). La liberté absolue est une absurdité, la liberté du marché est fondamentale mais elle non plus ne peut être absolue, dans le sens où tout est un marché y compris les relations humaines les plus basiques. Cette liberté du marché ne peut se faire au dépend de la liberté des groupes, de l’état, de la famille, des institutions, etc..

Il est évident que les principes du libéralisme économique n’ont rien à voir avec ceux du Far West et que cette confusion entre le libéralisme économique et le capitalisme sauvage est entretenue et alimentée par la gauche et son allié naturel l’alter mondialisme afin de mettre le libéralisme au pilori en jouant sur la corde sensible d’une classe prolétaire inexistante.

Les expériences libérales

Il aurait été insensé de ma part de revenir sur l’histoire libérale dans le cadre d’un appel politique, comme il serait aujourd’hui insensé de ma part de voiler les expériences libérales ou l’histoire libérale alors que le libéralisme puise sa force et sa légitimité de cette même histoire libérale. Toutefois, avant d’évoquer l’histoire libérale ; à vrai dire, je ne ferais pas ici l’histoire libérale qui a débuté depuis le 16ème siècle mais juste évoquer le processus de formation de cette histoire ; et afin de saisir les raisons de la longévité du libéralisme je donne une définition rapide de ce qui est un système dissipatif dans les sciences physiques. Un système dissipatif est un système irréversible, ouvert et en interaction continue avec son environnement avec qui il échange de l’énergie pour maintenir les structures qui se développent (Grégoire Nicolis et Ilya Prigogine, « à la rencontre du complexe », 1992). Un système dissipatif est telle qu’une ville qui n’existe que tant qu’elle fonctionne et qu’elle maintient des échanges avec l’extérieur, la structure dissipative disparaît quand elle n’est pas « nourrie ».

C’est n’est qu’à travers la compréhension des systèmes dissipatifs ou des structures dissipatives, comme les appelle Ilya Prigogine, qu’on peut saisir les raisons de la longévité du libéralisme en tant que pratique du pouvoir ou en tant que système politique par rapport à toutes les autres pratiques idéologiques, alors que l’idéologie libérale est des plus anciennes. Le libéralisme à survécu, survit et survivra à toutes les autres idéologies parce qu’elle est la seule idéologie vivante, en interaction avec son environnement et dans une situation d’adaptation permanente. Ceci n’a rien à voir avec une quelconque divinité mais il est dû au simple fait qu’on affaire à un système idéologique dissipatif capable de passer par différentes phases, équilibre, transition, non équilibre afin de s’auto-organiser et évoluer spontanément vers un état hautement structuré ou vers une structure complexe, comme le sont aujourd’hui les sociétés libérales.

Enfin, pour se référer à une notion qui m’est très chère, je dirais que la pratique libérale du pouvoir en tant que système dissipatif se trouve à la frontière du chaos. Pour qu’un système soit vivant il doit être à la frontière du chaos et c’est parce qu’ils sont à la frontière du chaos que les systèmes dissipatifs sont vivants ! Ce n’est qu’à la frontière du chaos qu’un système peut s’adapter à son environnement et ce n’est qu’à la frontière du chaos que les êtres vivants sont vivants parce qu’ils ont pu s’adapter à leurs environnements.

Ainsi, on ne peut comprendre l’histoire, le présent ou le futur du libéralisme en omettant que l’Etat libéral, le système libéral, qui est à l’essence de l’expérience libérale, est en interaction permanente avec son environnement et qu’il est un processus de formation continue faisant du système libéral ou du libéralisme un processus ouvert et nullement un processus achevé et figé. Il est évident, et aucun libéral ne nie ceci, que le système libéral actuel, dans ses différentes formes selon les pays et leurs histoires respectives, est un processus d’adaptation permanent aux luttes sociales, aux revendications économiques, aux crises politiques, aux crises économiques, aux idéologies totalisantes, etc… Mais ceci n’est-il pas le propre des systèmes dissipatifs ? La robustesse et le dynamisme du système libéral, ceci échappe encore à ses détracteurs, résident dans sa capacité d’adaptation à son environnement et dans sa diffusion dans ce même environnement. Le système libéral est le seul système idéologique capable de se réformer tout en se conservant. L’histoire nous a montré que tous les autres systèmes idéologiques ou tous les systèmes totalitaires ont fini par disparaître, lorsqu’ils étaient confronter à se réformer. C’est par la glasnost et la perestroïka que le communisme en tant que système s’est effondré. C’est grâce à l’ouverture politique et le réformisme, qui sont encore en cours en Iran, que l’islamisme en tant que système s’effondrera. Ce sont par les réformes que la majorité des systèmes totalitaires se sont effondrés, d’où l’aversion des dictatures à se reformer. Il est connu que la meilleure façon de procéder, si on veut vraiment faire tomber une dictature, est de l’appeler à se réformer vu qu’elle finira par tomber d’elle-même.

Depuis sa naissance, le système libéral n’a pas cessé de s’adapter aux revendications de classes ou de groupes en leur consentant la représentation politique de leurs « intérêts ». La première concession libérale aux revendications des groupes fut celle faite à la classe prolétaire en leur accordant la représentation politique, admettant de la sorte que le marché ne suffisait pas à lui-même dans la composition et l’harmonisation des intérêts individuels. Toutefois, cette concession libérale fut en même temps une défaite socialiste parce que la classe ouvrière vient de s’intégrer à la société civile et politique « bourgeoise » avec laquelle elle prétendait rompre (Pierre Manent, « Les libéraux I », 1986). C’est toujours dans cette même logique d’adaptation du système libéral à son environnement qu’on a assisté à l’émergence de l’état providence, de la social-démocratie, de la démocratie chrétienne, etc.…comme des composantes du système libéral. C’est en concédant aux intérêts de groupe et en s’adaptant aux luttes sociales par la réforme, que le système libéral s’est défait de toute forme de contestation en l’intégrant dans sa majorité et en réduisant les récalcitrants à l’état groupusculaire.

Ce qui s’est passé hier aussi avec la classe ouvrière, « la classe » chrétienne, les communistes, les trotskistes en les intégrant au jeu politique libéral et entrain de se passeraujourd’huiavec« la classe » islamiste pour que l’expérience turque constitue un exemple à généraliser, selon des modalités propres à chaque pays. L’intégration future des islamistes dans le système libéral et l’émergence de la démocratie musulmane ou de l’islam-démocratie, constitue l’enjeu des prochaines décennies. Parce qu’en s’intégrant au système libéral, même au prix de certaines concessions libérales, les islamistes signeront leur défaite et avec elle la fin de la chimérique Umma comme avant elle la chimérique dictature prolétaire. Il est évident aussi que l’intégration des islamistes au système libéral ne peut devenir une possibilité que si ces mêmes islamistes souscrivent aux institutions de la démocratie libérale dont la raison d’être est de garantir à chacun le droit à la sécurité, le droit à la propriété et le droit à la liberté de chaque citoyen. Ceci a été possible, dans un contexte particulier comme celui de la Turquie, maintenant c’est à chaque pays arabe et musulman de créer son propre contexte pour rendre ceci aussi possible à une échelle plus large.

Il est évident que l’expérience libérale n’était pas un long fleuve tranquille, que cette expérience libérale n’est pas une, mais qu’elle est plutôt un processus continu, multiple et varié selon les pays. Il n’y a rien à voir aujourd’hui entre le libéralisme américain, le libéralisme anglais, le libéralisme français, le libéralisme hollandais, le libéralisme des pays nordiques, le libéralisme japonais ou sud-coréen, etc.… Toutefois, ce que le système libéral a en commun, c’est son caractère dissipatif qui fait que ses principes ; la liberté d’expression, les droits de l’homme, la représentativité, le marché, etc.… ; se sont diffusés et se diffusent dans toute la société afin de devenir des évidences pour la majorité, qui oublie souvent leur source libérale. Ceci au prix de certaines concessions libérales nécessaires à son adaptation pour qu’enfin de compte le socialisme, hier, et l’islamisme, demain, ne prétendent plus à une forme de vie sociale autre remettant en cause le système libéral mais se contentant pour les uns de gérer la société plus « charitablement » et pour les autres plus « pieusement ».

Le libéralisme possède ses principes mais il est loin d’être figé dans ses différentes pratiques puisqu’il est en interaction continue avec l’environnement, l’histoire et les luttes de chaque pays. Le système libéral ne sera jamais un projet achevé mais plutôt une quête continue et inachevée faisant de lui un système ouvert à toutes les réformes nécessaires à son adaptation.

Du libéralisme arabe au libéralisme tunisien

Si d’un point de vue sémantique le terme « freedom » (liberté) n’est pas à la source du mot libéralisme ni que le libéralisme est une dérivée du mot « freedom », dans la langue arabe ceci n’est pas du tout le cas. En effet, et jusqu’à 1798, il n’existait aucun terme dans la langue arabe pour exprimer le concept de liberté dans son sens politique. Ce n’est qu’en 1798, suite à l’expédition de Bonaparte en Egypte au nom de la république française fondée sur la liberté et l’égalité, que le mot « hurria » a pris un sens politique alors qu’il n’avait dans le passé qu’un sens juridique par rapport à la relation maître esclave (Mohamed Talbi, « Plaidoyer pour un islam moderne », 1998). Ainsi, Dans le cas de la langue arabe il est évident que la source du mot « hurria » est la liberté au sens « freedom » du libéralisme. C’est pour cette raison aussi que la traduction exacte du terme libéral est « taharrouri » et non pas « libirali ».

Toutefois, au-delà de la question purement sémantique l’expédition de Bonaparte en Egypte a montré au monde arabe la supériorité de l’occident des lumières et a constitué le premier contact de celui-ci avec le libéralisme. C’est afin de percer le mystère de la supériorité technique de l’occident que le monde arabe s’est ouvert au libéralisme sous le règne du Pacha Mohamed Ali en Egypte. On peut affirmer que le premier libéral arabe est sans conteste l’égyptien, le cheikh Rifaa El Tahtawi ou comme le désigne Guy Sorman, le Tocqueville oriental (Guy Sorman, « Les enfants de Rifaa », 2003). Pour Rifaa El Tahtawi la « renaissance » du monde arabe n’est possible que dans une quête contenue de la modernité par l’écriture et l’action publique. Ainsi, en tant qu’un serviteur de l’état, il a inventé la presse et la lecture autre que le coran, il a crée le premier journal égyptien, donc arabe, il a œuvré pour la généralisation de l’enseignement pour tous, pour l’égalité des sexes entre garçons et filles face à l’éducation et le mariage, il a introduit dans l’enseignement des cours d’histoires et de géographies afin de rendre à chaque pays la singularité nécessaire à son avenir national et enfin il a proposé la modification des institutions politiques et l’adoption d’une constitution. Toutefois, si le Pacha Mohamed Ali a toujours suivi les recommandations de Rifaa lorsqu’il s’agissait de bâtir l’administration et l’école, il a rejeté l’idée de la constitution pour rester un souverain absolu ou plutôt le despote éclairé, qu’il l’était, à vie.

Depuis Rifaa, l’Égypte, à l’instar du monde arabe, a progressé vers la modernité et la démocratie par à-coup, ceci selon que le pays a affaire ou non à un despote éclairé. Aussi, l’Égypte a connu des penseurs éclairés, dans la même lignée que Rifaa, qui ont toujours interprété l’islam dans l’intérêt de l’homme et de sa liberté, tel que Gamal Eddine al-afghani ou Mohammed Abdou. D’un point vu purement politique, l’Égypte a connu le premier parti politique libéral du monde arabe, le Wafd, un parti encore présent aujourd’hui sur la scène politique, fondé par Saâd Zaghlûl, une figure emblématique, nationaliste, moderniste et libéral qui a beaucoup marqué l’histoire égyptienne. Le Wafd s’est bien illustré politiquement, sous la monarchie et le colonialisme anglais, en remportant la majorité au parlement à plusieurs reprises, à une époque où l’Égypte connaissait un parlementarisme contrôlé, mais néanmoins réel. Aujourd’hui, le nouveau Wafd et le parti libéral égyptien, Al Ghad, de Ayman Nour, sont les deux partis libéraux que compte l’Égypte.

Auparavant, le nationalisme libéral du Wafd de Saâd Zaghlûl a fait des émules dans plusieurs pays arabes dont la Tunisie pour donner naissance en 1920, au « Parti Libre Tunisien » du cheikh Abdelaziz Thaâlbi dans le prolongement du mouvement réformiste tunisien qui est né autour de Khair-eddine Pacha au milieu du 19ème siècle et presque en complémentarité parallèle avec le modernisme de Ali Bach Hamba dont le programme politique est d’inspiration libérale.

Le but du « Parti Libre Tunisien » était de délivrer la Tunisie du joug de l’esclavage, afin que le peuple tunisien puisse jouir des droits et libertés dont jouissent tous les peuples libres. Et de s’efforcer de créer une constitution garantissant à la nation tunisienne l’autonomie, conformément aux principes d’équité approuvés et suivis par toutes les nations civilisées. A la lecture des fondements de cette constitution, « La Constitution impliquait séparation des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire, garantissant le respect des libertés individuelles, du domicile, de réunion, de la propriété, de la parole, des écrits, des publications, et en faisant des droits sacrés pour tous les habitants du royaume tunisien, nous estimons qu’elle soit indispensable au succès et à la prospérité de la Tunisie », on ne peut s’empêcher de percevoir tous les fondements qui sont à la base du libéralisme. A partir de 1933, le mouvement nationaliste libéral fut dominé par le Néo-Destour à partir de sa création sous la direction de Habib Bourguiba qui prônait l’indépendance et la laïcité de la Tunisie.

Cette période libérale qu’a connue le monde arabe, même si elle ne l’était pas vraiment au sens strict du mot libéral, s’est achevée avec la grande rupture du début des années 1950, qui a vu les militaires s’emparer du pouvoir pour instaurer le nationalisme et adopter le socialisme comme idéologie, mettant ainsi fin à une libéralisation progressive et au développement économique où même la Tunisie a succombé aux sirènes du socialisme.

Aujourd’hui, après l’embrigadement des masses arabes par des idéologies totalitaires successives, le nationalisme, le socialisme, l’islamisme, convaincre de l’universalité des valeurs libérales, liberté individuelle, liberté d’expression, droit de l’homme, etc… n’est pas une tache aisée surtout lorsqu’on est confronté à une certaine mauvaise foi idéologique qui voit dans l’individu et la liberté, qui sont au centre du libéralisme des notions « blanches », c’est-à-dire occidentales, et non pas des notions universelles. L’édifice de ces critiques, à l’encontre de l’universalité de l’individu et de la liberté, s’effondre de lui-même lorsqu’on sait que l’homme à l’état naturel est avant tout un animal propriétaire avant d’être un animal politique.

Dans le « Deuxième traité du gouvernement civil » (1690), Locke a établi magistralement que l’homme est un animal propriétaire, où la propriété dans le langage lockéen sous-entend les biens, la vie et la liberté, et que le seul but des institutions politiques est de garantir et de protéger la propriété (on comprend mieux ici les fondements du libéralisme qui sont le droit à la sécurité, le droit à la propriété et le droit à la liberté). Ainsi, on se rend compte que la liberté est dans l’homme, qu’elle est une composante naturelle de l’homme. Pour Jean-Jacques Rousseau, il existe un constat radical, « l’homme est né libre ». Pour Kant, aussi, « la liberté est l’unique droit originel revenant à chaque homme en vertu de son humanité » alors que pour De La chapelle « la valeur propre de l’homme qui le distingue du cosmos et de l’ensemble géométrique où il se meut, c’est la liberté ». Pour tous, l’homme est naturellement libre, comme tout homme est naturellement libre alors aucun homme n’a d’autorité naturelle sur son semblable.

On découvre, ainsi, le caractère fallacieux de ces opinions, qui veulent nous faire croire que l’individu et la liberté sont des notions « blanches », alors qu’à la source même du libéralisme on parle de tout homme et non pas de l’homme « blanc ». Cependant, si les partisans de telles idées pensent vraiment que l’individu et la liberté sont des notions d’homme « blanc » alors il faut qu’ils nous disent clairement que l’homme arabe, qui n’est pas l’homme « blanc » mais plutôt l’homme « basané », doit être soumis à la volonté arbitraire, parce qu’il ne porte pas la liberté en lui, et qu’il n’est pas le meilleur juge de ce qui lui est bon donc il faut le commander. Ce qui revient à dire que l’homme arabe porte en lui la servitude et qu’il doit vivre la servitude, ce qui est un non-sens total porteur de la négation de l’humanité de l’homme, en premier celle de l’homme arabe.

Il est quand même étonnant de voir que généralement ces types d’opinions émanent plutôt des partisans « islamistes » alors que la majorité de ceux qui ont embrassé les premiers les valeurs libérales dans le monde arabe sont des cheikhs et des vrais connaisseurs de l’islam, Rifaa Tahtawi, Gamal Eddine al-afghani, Mohammed Abdou, Abdelaziz Thaâlbi, etc.., qui ont fréquenté les plus prestigieuses universités religieuses du monde musulman, El-Azhar et la Zitouna. Comme il est aussi étonnant de voir ce type de discours devenir aujourd’hui une exclusion exclusive arabo-musulmane, de l’homme « basané » alors que les notions d’individu et de liberté, qui sont au centre du libéralisme, depuis leur source anglaise, l’homme « rosbif », sont devenues des notions universelles et reconnues comme telles par les hommes « blancs », les hommes « jaunes », les hommes « rouges », les hommes « bleus », les hommes « noirs », etc..

En fait, cette négation de l’universalité de l’individu et de la liberté est une nécessité existentialiste idéologique islamiste sans laquelle l’islamisme ne pourrait pas exister. En effet, depuis Hassan El-banna l’islamisme vise à transformer la société humaine pour la ramener à l’islam « originel » du temps du Prophète. Pour qu’elle puisse exister, cette chimère islamiste a besoin de renier le caractère universel de l’individu et de la liberté, de la même manière avec laquelle ont procédé les marxistes, en confondant entre les notions de liberté, avant eux pour leur chimérique dictature prolétaire. Cette nécessité idéologique de la négation de l’universalité de l’individu et de la liberté est essentielle au mouvement islamiste afin de remettre en question l’action des réformateurs modernistes et libéraux, Rifaa, El-Afghani, Abdou, etc. , qui entendaient réformer les sociétés musulmanes (et l’islam aussi) en l’ouvrant à son environnement, aux sciences, aux valeurs universelles et à la liberté citoyenne.

Supposons maintenant que le libéralisme est une idéologie importée, ce qui n’est pas vraiment le cas puisque la liberté est dans la nature humaine. Les pays arabes ne se sont pas privés tout au long du 20ème siècle d’importer les idéologies fallacieuses, comme le nationalisme et le socialisme, qu’ils payent encore au prix fort. Il suffit, afin de se rendre compte de ceci, de comparer aujourd’hui les acquis des citoyens, de la masse du peuple ou des ouvriers des pays libéraux avec ceux de nos pays arabes ou des pays socialistes. N’est-il pas alors le temps d’importer une idéologie qui a fait au moins ses preuves partout dans le monde ? Toutefois, le libéralisme n’a pas besoin d’une quelconque légitimation, il est l’essence même des seules actions et reformes émancipatrices et libératrices entreprises dans le monde arabe, que ce soit en Tunisie ou ailleurs, depuis Rifaa El Tahtawi jusqu’à nos jours allant de l’éducation, la presse, la femme au « peu » de développement économique atteint.

L’homme est né libre, l’homme arabe aussi. C’est en comprenant le caractère naturel de la liberté de l’homme arabe que le libéralisme arabe a vu le jour en Égypte sous l’impulsion du cheikh Rifaa El Tahtawi. Ce vent de libéralisme et de réformisme qui a soufflé sur l’Égypte s’est répandu à tous les pays arabes pour donner naissance en Tunisie au premier parti libéral tunisien, le « Parti Libre Tunisien » crée par le cheikh Abdelaziz Thaâlbi.

La nécessité libérale

Le libéralisme est né d’une interprétation de la liberté, la liberté « freedom », inspirant un programme libéral qui consiste à construire des institutions politiques et à apporter une solution libérale afin de garantir les droits à la liberté, à la propriété et à la sécurité de tout individu. Ensuite le libéralisme est devenu un système socio-politique réalisable incarné dans l’état libéral, qui reste un processus de formation continue. Mais, enfin il demeure aujourd’hui une exigence inébranlable qui devrait devenir une réalité incontestable dans le monde arabe et la Tunisie.

De toutes les idéologies, il n’y a que l’idéologie libérale qui ne devient pas totalitaire lorsqu’elle existe dans une société organisée autour de ses propres soubassements idéologiques. De tous les systèmes socio-politiques, il n’y a que le système libéral qui puisse s’ouvre à son environnement, s’adapter et se réformer sans qu’il ne s’effondre comme s’était passé avec le communisme hier en URSS et comme il se passera bientôt avec l’islamisme en Iran une fois que le « réformisme » abouti. Ceux-ci, l’immunisation idéologique et la capacité d’adaptation, expliquent la supériorité et la longévité du libéralisme et de l’état libéral par rapport à toutes les autres idéologies et tous les systèmes socio-politiques.

Rifaa El Tahtawi, et suivi par beaucoup d’autres après lui, a initié la « renaissance » du monde arabe une fois que l’expédition de Bonaparte en Égypte a illustré la suprématie occidentale sur l’orient. En s’inspirant de l’état libéral et des principes du libéralisme, Rifaa El Tahtawi a initié sous le règne du Pacha Mohamed Ali des actions et des reformes émancipatrices et libératrices entreprises au début en Égypte et qui se sont répandus par la suite un peu partout, et dans des degrés différents, aux autres pays du monde arabe. Ces réformes ont concerné l’édification d’une administration publique, la généralisation de l’éducation, la création de la presse, l’égalité entre l’homme et la femme devant l’éducation et le mariage, l’industrialisation de l’économie locale, etc.… Toutefois, de toutes les réformes, seules les réformes politiques sont venues s’échouer face au mur du despotisme depuis le jour où le Pacha Mohamed Ali a décidé de repousser l’idée d’une constitution et de rester un souverain absolu.

Actuellement, ce dont a besoin le monde arabe, afin de renaître de ses cendres, est une deuxième phase libérale complémentaire, dans son essence avec celle initiée par Rifaa El Tahtawi il y a plus d’un siècle maintenant, dans le but essentiel est de reprendre du souverain absolu cette liberté qu’il a enlevée à l’homme arabe. En effet, les principes du libéralisme et la mobilisation émancipatrice, qui ont été à l’origine et au cœur de la lutte pour la liberté nationale, forment aujourd’hui les mêmes exigences libératrices dans la lutte pour l’émancipation sociale de l’homme arabe et tunisien faisant du combat national libéral une expérience instructive pour la suite du combat pour la liberté de l’homme arabe et tunisien.

L’homme arabe est né lui aussi libre, il est temps qu’une politique libérale, au vrai sens du terme, rende à l’homme arabe sa liberté naturelle, que tous les pouvoirs antérieurs aient injustement spolié. C’est de cette nécessité arabe que la nécessité d’un mouvement libéral tunisien trouve toute sa plénitude, ceci afin de rendre au tunisien sa liberté naturelle qui ne peut être limité dans son exercice que par la liberté d’autrui et non pas arbitrairement par le despotisme.

Le mouvement libéral tunisien ne peut avoir aujourd’hui comme finalité autre que celle de créer les conditions et les institutions pour que la liberté inscrite en l’homme tunisien soit vécue par tous les Tunisiens. Il ne doit répondre à aucun intérêt de classe, comme ça pourrait être le cas de certains partis, mais il doit seulement être porteur de la conscience et des aspirations du peuple tunisien et de tous ses enfants sans aucune distinction. Enfin, en égard des principes et des valeurs du libéralisme, le mouvement libéral doit s’inscrire en rupture totale avec la dictature et avec tous les pseudos partis « libéraux » qui lui serve d’alibi.

Pour conclure, je dirais que nous devons être, tous, conscients que nous sommes face à un des choix les plus cruciaux pour notre pays pouvoir intégrer oui ou non le monde des hommes libres. Il est clair qu’aujourd’hui le libéralisme est notre seul moyen pour intégrer le monde libre afin d’échapper à la médiocrité d’un monde sans lendemain qui est actuellement le nôtre. Seul le libéralisme est capable de faire passer l’homme arabe de la marginalité à l’action afin qu’il devienne, par son propre engagement, une partie prenante du système. Ceci n’est possible que parce que, dans le système libéral, le projet de chaque personne est une partie du système d’intégration d’un projet général national qui est le support des toutes les initiatives personnelles.

Mourad Dridi

21 juin 2005

http://anti-conformismes.blogspot.com

[1] De la nécessité d’un mouvement libéral tunisien.
Mourad Dridi – mardi 5 avril 2005.