Auteur : Un journaliste [*] tunisien électrochoqué !!!?

La couverture, par les médias officiels tunisiens, Agence TAP (Tunisie Afrique Presse) et ERTT (Etablissement de la Radio et de la Télévision Tunisiennes) en tête, de l’accident malheureux de l’avion de TUNINTER est tout simplement scandaleuse, abjecte et affligeante. [**]

Venant après de multiples autres affaires, dont certaines très graves, telles que l’affaire Riadh Ben
Fadhl, cette couverture est symptomatique de la situation de désarroi et de confusion que vit le
régime politique en Tunisie. Un régime aux abois, dos au mur, qui est persuadé que la moindre concession de sa part, sur le plan des libertés, en particulier celle de la presse et de l’information, est une bêche qui risque de lui être fatale.

Mais cette couverture médiatique dont les auteurs sont des journalistes tunisiens, pour la plupart honnêtes, compétents et patriotes, est surtout caractéristique de l’état de déchéance morale dans laquelle sont tombés, malgré eux, ces hommes et ces femmes de la plume.

Des hommes et des femmes qui ne croient plus à un traître mot de ce qu’ils écrivent. Des hommes et des femmes forcés et contraints de mentir à leurs concitoyens à longueur de journée.

Des hommes et des femmes discrédités aux yeux de l’opinion, dépréciés, méprisés, transformés en mercenaires, en propagandistes à la soviétique, en délateurs, en rapporteurs.

Des hommes et des femmes qui sont, en grande majorité, obligés, quotidiennement, de fouler au pied les règles les plus élémentaires de la déontologie de leur métier.

Des hommes et des femmes qui se trouvent aujourd’hui dans un état de schizophrénie très avancé et quasi désespéré, qui n’attendent que l’électrochoc.

Bien informés sur les réalités de leur pays et ayant accès à la plupart des dossiers, leurs souffrances et leur problème de conscience s’en trouvent encore plus amplifiées. Ils savent pertinemment qu’ils sont en train de mentir à leur peuple et sont, dans le même temps, tout à fait persuadés que ce peuple, n’étant pas débile, et souvent mieux informé, sait, lui aussi, qu’ils sont en train de mentir. Une situation aussi cocasse que pathologique !

La responsabilité est, certes, partagée et certains journalistes assument une part non négligeable dans le pourrissement du secteur de la presse en Tunisie.

Mais les principaux responsables de cette situation catastrophique ce sont ces « conseillers de l’ombre » et ces dinosaures qui sont déterminés et résolus, pour préserver leurs propres intérêts, à casser tous les ressorts d’une société pourtant réputée, tout au long de son histoire, pour son dynamisme, sa vivacité, son ingéniosité, son ouverture, sa modération et sa tolérance.

Les méthodes et les pratiques utilisées par ces nouveaux Raspoutine et autres Goebbels, sont aussi archaïques qu’infaillibles.

A travers un maillage extrêmement serré des différents organes de presse, y compris les journaux dits indépendants, mais surtout l’Agence TAP, l’ERTT et l’ATCE (l’Agence tunisienne de Communication extérieure), ces apprentis sorciers ont fait main basse sur un secteur hautement stratégique, en nommant à la tête des établissements d’information des responsables aussi ternes qu’incompétents, des hommes liges complètement dociles, soumis et bassement dévoués, et en
exerçant un contrôle et un filtrage rigoureux et systématiques sur les nouvelles recrues, dans les grandes boîtes telles que la TAP et l’ERTT. La grande majorité des nouveaux arrivants sont, d’ailleurs, des femmes. En particulier à l’Agence TAP. Ce choix est loin d’être fortuit. Il est révélateur de « la grande considération et de l’estime » que voue ce régime machiste à la femme tunisienne, une fe ! mme alibi qui doit travailler, obéir et se taire !!!

De plus, par la faute de certains félons de la profession, avides de notoriété et rongés par une
ambition politicienne malsaine, l’Association des Journalistes Tunisiens (AJT), qui fût, jusqu’à la
moitié des années 80, un cadre consensuel et un espace de confluence entre les différents courants de pensée, est aujourd’hui une coquille vide, un terrain désaffecté, un champ de ruines.

Le jeune Syndicat des Journalistes Tunisiens, créé en mai 2004, dans le strict respect de la législation du travail, et qui se préparer à organiser son premier congrès en septembre prochain, est encore, aux yeux des autorités tunisiennes, « une organisation non reconnue » bien qu’il soit déjà membre associé de la Fédération Internationale des Journalistes (FIJ).

Toutefois, et contrairement à une idée faussement répandue, les journalistes tunisiens, qui travaillent, pour leur écrasante majorité, dans des organes qui relèvent du gouvernement et du parti-Etat, le RCD, n’ont pas baissé les bras. Ils continuent de se battre, comme ils le peuvent, et avec les moyens du bord, pour préserver, à la fois, leur gamelle et leur dignité, en s’adonnant, entre autres, à l’arme de la dérision.

Les quolibets qu’ils lancent et les blagues qu’ils s’échangent chaque jour au sujet de leur métier, dans les salles de rédaction et dans les Desks, au vu et au su de tout le monde, sont la meilleure preuve que cette corporation est encore saine et vivante et qu’elle n’a besoin que d’une petite étincelle pour rebondir.

Les journalistes tunisiens ont certes encore, devant eux, un long chemin à parcourir sur la voie du
recouvrement de leur dignité et de leur honneur.

L’essentiel est de persévérer, de ne pas se résigner, de déjouer intelligemment et sereinement les pièges et les stratagèmes d’un régime qui les méprise tout en les instrumentalisant, de rester à l’écart des querelles partisanes et de se fixer des objectifs clairs et précis : réhabiliter cette noble
profession, aujourd’hui à la dérive, jouer pleinement leur rôle de contre-pouvoir, en dénonçant les abus de tous les autres pouvoirs, et rétablir la Tunisie dans son statut historique de pays pionnier dans le domaine de la liberté de la presse.

[*] L’auteur vit et travaille en Tunisie, il s’exprime à haut risque sous couvert de l’anonymat. Il déclinera son identité le moment venu. Texte reçu par courrier électronique, depuis Tunis, le mercredi 10 août 2005.

[**] Voir l’analyse de Abdelwahab El Hani, in Tunisnews du 8 août 2005.