La presse anglo-saxonne – contrairement à la presse française – a été particulièrement intéressée par les émeutes sociales en Tunisie. Le modèle économique et politique tunisien est décortiqué avec vigueur. Le pays modèle du FMI n’en sort pas indemne. Sa success story serait surfaite.

Les émeutes qui ont secoué la Tunisie ont suscité un grand intérêt dans la presse anglo-saxonne. Plusieurs articles ont été publiés pour essayer d’expliquer les causes de cette éruption de fièvre dans un pays réputé très policé. Les analyses convergent : dépendance excessive à l’égard de l’Europe, mauvaise gouvernance. Certains contestent même les statistiques qui font la success-story de l’économie tunisienne. Le Los Angeles Times souligne dans un article analytique que les difficultés rencontrées par les jeunes, en particulier les diplômés et qui se traduisent dramatiquement par la croissance des suicides sont le résultat de choix de politique économique. Le journal de référence de la cote ouest des Etats-Unis énumère les cinq plaies découlant du modèle tunisien si célébré par les institutions internationales. Un diagnostic clinique qui mérite d’être reproduit largement : «  Tout d’abord, le modèle de croissance de la Tunisie souffre d’une spécialisation excessive et de la dépendance excessive vis-à-vis d’un seul marché – l’Union européenne – dont la demande n’a pas suivie l’offre tunisienne. Deuxièmement, la Tunisie a fondé sa stratégie de croissance sur des secteurs fondés sur une main d’œuvre peu qualifiée, comme le textile et la confection de vêtements, ainsi que le tourisme qui ciblent les Européens ayant un revenu moyen à faible. Ces secteurs ne fournissent pas suffisamment de possibilités d’emploi pour les nouveaux arrivants hautement qualifiés sur le marché du travail. Troisièmement, la demande de main-d’œuvre hautement qualifiée n’a pas suivi l’augmentation du niveau de l’éducation en Tunisie. Au cours de la dernière décennie, la proportion de demandeurs d’emploi diplômés de l’enseignement supérieur est passée de 20% de la population active en 2000 à plus de 55% en 2009. Quatrièmement, l’environnement des affaires en Tunisie, offre peu de protection aux  investisseurs – en particulier les locaux – en raison de l’absence de transparence et d’indépendance de la justice. En outre, les petites et moyennes entreprises pâtissent des faibles possibilités de financement. Ces deux facteurs brident l’initiative et réduisent l’investissement du secteur privé et restreignent la création d’emplois. Cinquièmement, les critères d’admissibilité restrictifs sur le marché du travail en Tunisie limitent le nombre de bénéficiaires de la protection sociale… »

 


Statistiques trompeuses, gouvernance discutable

Le Guardian est beaucoup plus abrupt et met en cause en  cause des statistiques trompeuses et une gouvernance discutable. « Officiellement, le taux de chômage en Tunisie est d’environ 13% alors qu’en réalité il pourrait être plus élevé – en particulier chez les diplômés du supérieur. Selon une étude récente, 25% des diplômés de sexe masculin et 44% des diplômés de sexe féminin à Sidi Bouzid sont sans emploi. Ils sont en effet victimes d’un système éducatif qui a réussi à leur fournir des qualifications qui ne peuvent pas être utilisées et des attentes qui ne peuvent pas être satisfaites. Le régime semble aussi avoir exagéré ses déclarations triomphales sur les progrès économiques de la Tunisie. Si ces allégations sont vraies, les gens se demandent  ce qui est arrivé à l’argent? Une des réponses qu’ils donnent est qu’il est allé dans les poches de la famille Ben Ali et de ses associés. »

Le site d’information MediaLine constate lui aussi la trop grande dépendance vis-à-vis du marché européen « L’économie a progressé en moyenne de près de 5% au cours des dix dernières années, mais elle a ralenti en 2008 et 2009, la demande en provenance d’Europe ayant chuté. Le Fonds monétaire international prévoit une croissance économique pourrait atteindre 3,8% cette année, mais ce n’est pas assez rapide pour créer des emplois pour la population à croissance rapide du pays. Les gens ordinaires disent ne pas partager les bénéfices de la croissance de l’économie. Le taux de chômage de la Tunisie est à un niveau élevé de 13,3% et chez les jeunes ce taux est encore plus élevé. Dans tous les cas, de nombreux observateurs déclarent que les données officielles sous-estiment l’ampleur du chômage. »

 


La success story relativisée

Le Financial Times développe le même argumentaire « Les experts estiment que l’économie doit croître plus vite que les 3,8 pour cent prévu par le Fonds monétaire international cette année pour créer suffisamment d’emplois pour faire une brèche sérieuse dans un 14 pour cent le taux de chômage. » Citant un rapport du FMI le quotidien de la City souligne que « les exportations vers l’UE, le tourisme et les transferts de fonds des Tunisiens à l’étranger sont une source cruciale de revenus et, selon un rapport du FMI en septembre, la récession en Europe pourrait affecter négativement les perspectives de la Tunisie. ». Ainsi pour la presse anglo-saxonne, l’image de la Tunisie dynamique et attractive est sérieusement écornée. La « success story » maghrébine est relativisée et son modèle économique, tout autant que sa gouvernance, remise en question. Dans un article consacré à la situation en Tunisie, le site de Radio-Canada rappelle avec une certaine perfidie les jugements très sévères contenus dans une dépêche diplomatique américaine diffusée par le site Wikileaks. Les émeutes de Sidi-Bouzid sont le révélateur d’une situation économique bien moins favorable que celle célébrée par le FMI. Les limites du modèle tunisien tout entier tourné vers l’Europe seraient elles atteintes ? Les émeutes de Sidi-Bouzid sonnent comme un avertissement : la réévaluation des objectifs de politique économique et une redistribution moins inégalitaire sont des chantiers urgents.

1.      Article du Los Angeles Times du 27.12.2010 : co-rédigé avec le Carnegie Middle east Center :

TUNISIA: Dependence on Europe fuels unemployment crisis and protests

2.      Article du Financial Times du 27.12.2010

Anger over unemployment erupts in Tunisia

3.      Article du Guardian du 28.12.2010

How a man setting fire to himself sparked an uprising in Tunisia

4.      Article du Financial Times du 21.12.2010

High unemployment sparks Tunisian riot

Source : Maghreb Emergent