Les articles publiés dans cette rubrique ne reflètent pas nécessairement les opinions de Nawaat.

Dans la seconde partie de cette étude, nous traitons des résultats scolaires en sciences des élèves de l’école primaire située en milieu rural dans l’Ouest du pays, dont nous avons déjà analysé les résultats en langues, et tirons les conclusions relatives à l’ensemble des parties traitées.

4. Les sciences

4.1. Les mathématiques

A l’école primaire, l’enseignement des sciences commence dès la première année d’études. Deux matières sont enseignées : les mathématiques et l’éveil scientifique. Il y a lieu de remarquer que ces études sont dispensées en langue arabe. Elles sont, par contre, enseignées en français à partir de la première année secondaire et à l’université.

Concernant les mathématiques, la première remarque qui s’impose est le fait que les moyennes des non-redoublants vont en décroissant de la première (14,51) à la sixième année (10,16 ; figure 16). Au cours des trois dernières années, ces moyennes sont tout juste supérieures à 10. Les moyennes des redoublants sont comparables à celles qui sont enregistrées en production écrite en français, analysées dans la partie précédente. Les écarts entre les moyennes des redoublants et des non-redoublants sont très marqués (supérieurs à 8) au cours des trois premières années, par rapport aux trois dernières (4,29 au maximum).

4.2. L’éveil scientifique

Pour ce qui est de l’éveil scientifique, les moyennes des non-redoublants sont supérieures à 15 au cours des trois premières années d’études, contrairement aux trois dernières années (figure 17). C’est dans cette matière que les élèves obtiennent les notes les plus élevées. Ces moyennes sont également supérieures à celles qui sont obtenues en mathématiques, pour limiter la comparaison avec cette matière. Comme souligné plus haut, les écarts entre les moyennes des redoublants et non-redoublants sont plus prononcés au cours des trois premières années (entre 6 et 8) qu’au cours des trois dernières (entre 1 et 3), et l’écart le plus faible (1,17) est enregistré à la fin du cycle des études primaires.

5. Redoublements multiples

Les données concernant l’historique des redoublements concernent 181 élèves. Dans ce contexte, on constate plusieurs cas de figure :

  • Les élèves qui n’ont redoublé qu’une seule fois. Ils sont au nombre de 95 et représentent 52,49 % de l’ensemble des redoublants ;
  • Les élèves qui ont redoublé deux fois sont au nombre de 47, soit 25,97 % de l’ensemble des redoublants ;
  • Les élèves qui ont triplé représentent 8,84 % de l’ensemble des redoublants (n = 16). Les niveaux concernés par le triplement sont les deuxième, quatrième et cinquième années ;
  • Les élèves ayant redoublé plus de trois fois au cours de leurs études primaires sont au nombre de 23 et représentent 12,71 % de l’ensemble des redoublants.

Conclusions

De ce qui précède, les conclusions suivantes se dégagent :

  1. Selon de nombreux témoignages, la proximité de l’école avec le lieu de résidence des parents fait que pratiquement aucun enfant à l’âge d’être scolarisé ne l’est pas. Les écarts constatés plus haut sont un effet du hasard ;
  2. Il y a une différence entre les résultats des écoliers dans les trois premières années d’études et pendant les trois dernières. En effet, à partir de la quatrième année, l’évaluation des résultats est plus stricte que lors des années précédentes ;
  3. Les redoublements élevés en quatrième année en 2009-2010 ont eu pour origine la formation l’année précédente par un enseignant remplaçant, d’où les échecs constatés ;
  4. Les résultats obtenus en langue arabe sont meilleurs que ceux obtenus en langue française, étant donné que le français est une seconde langue (bien entendu, si le dialecte n’est pas considéré !) ;
  5. Les notes obtenues en sciences sont relativement bonnes. Ceci pourrait être lié au contenu des programmes, facilement compréhensible par les élèves, surtout que ces matières sont enseignées en arabe, ou aussi aux techniques d’évaluation adoptées pour tester les niveaux des écoliers.

Il reste cependant paradoxal de voir que le niveau des écoliers performants dans notre système éducatif ne l’est pas si leurs résultats sont comparés à ceux du classement PISA[1] par exemple. Ceci est également valable pour le reste des matières enseignées.

Le dernier rapport de l’OCDE montre que les résultats des enfants tunisiens en sciences, mathématiques et lecture sont stables depuis 2006, qu’ils sont largement inférieurs aux résultats obtenus dans les pays de l’OCDE, mais comparables à la situation en Algérie par exemple.

Ces faits interpellent à plus d’un titre et appellent à l’urgence d’une réforme de notre système de formation des écoliers pour que ses produits soient de meilleure qualité. Il est inutile de rappeler que tant de sacrifices consentis par les enfants et les familles ne méritent pas de si piètres résultats[2] !

  • 6. Le taux de redoublement dans cette école demeure relativement important. En effet, près du cinquième (21,46 %) des écoliers redoublent au cours de leurs études primaires.
  • Les redoublements sont plus élevés au cours des trois dernières années d’études primaires qu’au cours des trois premières. L’enseignement du français, qui commence en troisième année, ne semble pas être à l’origine de ce constat, puisque le taux de redoublement dans ce niveau est comparable à celui enregistré au cours des deux années précédentes. Les efforts consentis par les apprenants améliorent leurs performances linguistiques, notamment pour ce qui est de la langue française.

    Ces résultats sont trois fois supérieurs aux taux de redoublements à l’échelle nationale où, pour la même période, on enregistre entre 6,1 et 7,1 % de redoublements dans l’ensemble du pays[3] !

    D’autres facteurs interviennent pour expliquer ce fait. Parmi ces derniers, on cite :

    • Le niveau de performance des enseignants, peu expérimentés en milieu rural, considéré comme un lieu de passage. En effet, dans cette école, les enseignants « de passage » sont multiples, et les enseignants disposant d’un minimum d’ancienneté se limitent à ceux qui habitent la région ;
    • Les parents ne s’occupent pas suffisamment de leurs enfants, pour des raisons sociales (travail harassant et conditions sociales modestes) ;
    • Les enfants ne disposent pas d’espace pour la lecture à l’école, ou pour des activités extrascolaires en dehors de l’école.
  • 7.L’absence d’accompagnement personnalisé des élèves en difficulté rend difficile l’amélioration des résultats de ces derniers ;
  • 8. Concernant les enseignants, les points suivants sont à soulever :
    • L’absence d’enseignants spécialisés en musique, théâtre, arts…
    • Le manque – voire l’absence – de formation spécialisée pour les enseignant qui dispensent des cours en sciences, notamment pour la réussite des « expériences » menées en salle ;
    • Le caractère figé des programmes laisse peu d’espace aux enseignants – notamment expérimentés – pour diversifier les supports et les techniques utilisées lors de la formation des enfants ;
    • L’absence de sélection des enseignants ne garantit pas une meilleure performance des écoliers.

    Dans tous les cas de figure, la formation des enseignants peut venir à bout des difficultés qu’ils rencontrent dans leur travail.

  • 9. Les enfants qui passent par les classes préparatoires échouent moins que leurs camarades qui n’y sont pas passés (constat, mais données non disponibles) ;
  • 10. Pour la maîtrise de la langue française, des enseignants pointent le manque de temps réservé à cette langue.
  • On déplore aussi l’absence de revues destinées aux enfants ou aux enseignants, ce qui inciterait les premiers à s’améliorer et aux seconds de voir d’autres expériences enrichissantes ;

  • 11. Le temps d’apprentissage des sciences pose problème car les enseignants ne connaissent pas la meilleure période de temps pour mieux assurer l’apprentissage des enfants. Ce temps n’est pas fixé et peut être à l’origine de certaines difficultés rencontrées par les élèves ;
  • 12. Selon des témoignages d’enseignants, certaines activités extrascolaires (cours de perfectionnement), qui sont dispensés par des personnes non qualifiées et n’exerçant pas dans l’enseignement, créent des difficultés d’apprentissage pour les écoliers qui les suivent ;
  • 13. Il serait intéressant, pour mieux positionner les résultats analysés ci-dessus, de les comparer avec des écoles situées en milieu urbain, afin de mieux visualiser les disparités pouvant exister entre écoliers vivant dans ces deux types de milieux ;
  • 14. L’éducation des enfants a une position centrale non seulement pour les écoliers, mais également pour leurs familles. Comprendre les échecs constatés, c’est aller de l’avant afin d’atténuer leurs causes et intervenir pour y remédier.
  • Selon le dernier recensement des populations, les garçons sont plus nombreux à ne pas être scolarisés entre 6 et 14 ans (53,23 %). Ce n’est pas le cas dans le gouvernorat de Kairouan, où ils représentent 49,96% des enfants non scolarisés. 91,10% des enfants non scolarisés dans le gouvernorat sont issus du milieu rural (non communal), contre 63,82 % à l’échelle nationale.
    Dans le gouvernorat de Kairouan, 8,34% des enfants de 6 à 14 ans ne sont pas scolarisés. C’est deux fois plus que la proportion d’enfants déscolarisés à l’échelle nationale, qui est de 4,28 %, soit 62 253 enfants au total. Il est inadmissible que des enfants en âge d’être à l’école ne la fréquentent pas. Nous ne traitons pas les raisons à l’origine de ce phénomène, et nous contentons de le signaler.

    Une des conséquences de la faible performance des élèves en milieu rural est l’augmentation du taux d’analphabètes, l’utilisation restreinte d’internet, la faiblesse de l’accès à l’enseignement supérieur[4]

    Il y a encore lieu d’ajouter que l’absence de possibilités d’activités extrascolaires pour des enfants vivant en milieu rural les handicape et les défavorise par rapport à ceux des zones urbaines qui ont plus de chances d’accéder à des activités motivantes (théâtre, musique, sports, activités parascolaires…).

    Enfin, nous pensons que le redoublement non seulement constitue une sanction pour les apprenants, mais également ce n’est pas une solution à leurs faiblesses dans certaines matières. Détecter de façon précoce les faiblesses des élèves et veiller à y remédier avec des solutions appropriées (accompagnement personnalisé) permettrait de faire gagner au pays temps et moyens et donner des chances à des élèves qui – parfois – ne sont pas responsables des échecs vécus !

    La formation des enseignants et le perfectionnement des moyens disponibles pour assurer une meilleure efficience du système sont d’autres pistes à suivre, notamment la spécialisation d’une partie des instituteurs dans certaines formations (langues, sciences, activités culturelles et artistiques…) sont autant de solutions qu’il serait pertinent d’expérimenter afin de garantir un meilleur avenir à des enfants, pour qui l’école constitue l’unique chance d’accéder à de meilleurs choix dans la vie…

    Notes

      [1] Le questionnaire PISA s’adresse à des écoliers âgés de 15 ans, ce qui ne correspond pas aux classes d’âge étudiées ici, mais révèle les faiblesses de formation à l’école primaire. Voir Pisa 2015. OCDE, 2016. Résultats à la loupe, 15 p.

      [2] Sans parler des coûts de formation des élèves. Voir à ce propos Ministère de l’Education, Education en chiffres, année scolaire 2015-2016, 30 p.

      [3] Ministère de l’Education, Statistiques scolaires au 15 octobre 2015, 241 p. (document en langue arabe).

      [4] Voir à ce propos, et concernant cette région, Kairouan à travers le Recensement Général de la Population et de l’Habitat 2014, INS Tunis, 128 p.