Action de contestation dans un lycée de la ville de Médenine

C’était la semaine dernière, alors que le bras de fer entre le syndicat des enseignants et le gouvernement était à son comble. Nous avons rendez-vous dans un café. Mais nous aurions pu faire l’interview sur un des nombreux réseaux sociaux qu’utilise Radhwen Hajlaoui, un des fers de lance du mouvement des lycéens qui se sont mobilisés ces dernières semaines. C’est ainsi que les 150 représentants des différents lycées du pays s’organisent entre eux. Pas de réunions interminables dans des cafés ou des conversations téléphoniques sans fin. « Tout se fait sur Messenger. On échange, on discute, et au final, pour prendre une décision, on fait un sondage », explique Radhwen, fier d’un mouvement qui soit à l’image de la nouvelle génération : « on fonctionne de façon démocratique et avec les outils de communication de notre époque ».

Affichette de mobilisation sur Facebook pour la grève des élèves du 21 janvier 2019

Naissance d’un mouvement

Tout a commencé début décembre lorsque la menace d’une année blanche s’est faite de plus de plus pressante, suite aux grèves successives des enseignants et l’échec des négociations avec le ministère de l’Education. Ils étaient cinq au départ. Puis un groupe Facebook a été créé et très vite l’idée d’une mobilisation des élèves s’est répandue comme une traînée de poudre sur les réseaux sociaux. De nombreux groupes ou pages Facebook ont été créés par des élèves. « Nous avons d’un côté un gouvernement sourd aux revendications des professeurs, et d’un autre côté des professeurs qui nous prennent en otage », regrette Radhwen. « Les élèves se sont retrouvés pris entre deux feux : chacun nous utilise pour faire pression, sans se soucier de notre avenir. Il était temps de faire entendre notre voix ». Ils ont deux objectifs : à court terme, cesser la grève des notes et à long terme, proposer une refondation du système éducatif tunisien (renouvellement du contenu des manuels, réorganisation de l’emploi du temps, etc.). Rien que ça. « Ce qui nous a réuni au départ, c’est la situation dramatique dans laquelle nous sommes. Mais une fois que le conflit entre le gouvernement et les professeurs sera réglé, il y a de nombreux chantiers qui nous attendent », poursuit Radhwen, convaincu du rôle que doivent jouer les élèves pour améliorer l’enseignement en général.

“Dites leur que nous sommes l’avenir. Sans nous, il n’y a pas de patrie”, est-il écrit sur cette banderole au lycée de Ras Djebel, Bizerte

Vers une mobilisation durable ?

Pour le moment, toute leur énergie est consacrée à une chose : « ni passage automatique, ni année blanche, nous demandons au gouvernement, ainsi qu’aux professeurs de trouver une solution ». En cas de persistance du blocage, l’ultime recours des élèves sera la poursuite de la grève à la rentrée. « Nous avons commencé par porter des bandeaux rouges. Dans un deuxième temps, nous avons fait une grève de deux heures, puis nous avons organisé à la mi-décembre une manifestation, et enfin, quand nous sommes arrivés à la conclusion qu’aucun n’effort n’était fait de part et d’autres, nous avons appelé à une grève ouverte début janvier », rappelle Radhwen. Sous la pression de l’administration des établissements scolaires, mais aussi des parents, beaucoup d’élèves ont finalement repris le chemin de l’école. « A Tunis », estime Radhwen. « Dans les autres régions, et surtout à Sfax, les grèves se poursuivent, car il y a un esprit de groupe très fort ». Lors du grand rassemblement du 21 janvier, ils étaient des milliers à manifester dans tout le pays. Tous les élèves étaient invités à protester devant les commissariats régionaux de l’Education dont ils dépendent.

Au lycée de Feriana, Kasserine

Mettre l’Etat face à ses responsabilités

Rappelons que les enseignants réclament, entre autre, une hausse de leur salaire face à une inflation record, l’abaissement de l’âge de la retraite ainsi qu’une amélioration des conditions de travail. Quand on demande à Radhwen s’il comprend les revendications de ses professeurs, le jeune homme sourit : « mon père est enseignant ». Et d’ajouter : « leurs demandes sont légitimes, mais c’est injuste d’utiliser les élèves comme moyen de pression, il y a forcément d’autres solutions ». Lesquelles ? « C’est au gouvernement et aux enseignants de trouver ! Tout ce que nous demandons c’est d’être évalué… il suffit qu’un seul professeur décide de ne pas nous noter pour que le trimestre ne serve à rien », s’inquiète le jeune lycéen.

Ainsi, plusieurs représentants des lycées ont déjà rencontré des délégués régionaux et pris rendez-vous pour rencontrer le ministre de l’Education, Hatem Ben Salem. Qu’attendent-ils de ses réunions avec des officiels ? « Nous voulons que le gouvernement s’engage à sortir de cette impasse et qu’il comprenne la gravité de la situation pour nous, élèves ». Ces rencontres seront aussi l’occasion pour ces jeunes lycéens de faire leurs premiers pas dans la vie publique et de mettre l’Etat face à ses responsabilités.