Les articles publiés dans cette rubrique ne reflètent pas nécessairement les opinions de Nawaat.
Captation d’image du court-métrage “Pousses de printemps” d’Intissar Belaid

A peu près tout le monde convient qu’il s’agit d’un vote sanction. Mais une sanction, -à vrai dire- qui va bien au-delà de la sphère immédiate du gouvernement et de ses soutiens. Cette défiance affecte la quasi-totalité de ce que l’on nomme couramment classe politique, qu’elle soit issue de l’ancien régime comme de l’essentiel des figures et des formations issues de la Révolution. Peu en réchappent… ce qui fait dire à certains chroniqueurs qu’il s’agit bien d’une nouvelle vague de dégagisme qui balaie à peu près tout, mais il est vrai sur fond d’absentéisme record.

Pour dire les choses autrement, ces élections dévoilent avec force et éclat une « crise de légitimité et d’autorité » qui était latente depuis les tous premiers gouvernements de ladite transition. Le Président défunt, fin connaisseur de la chose politique, avait perçu cette crise sourde et larvée. Il ne cessait de répéter, possiblement sans conviction, qu’il fallait restaurer l’autorité et le prestige de l’Etat… en vain ! De nombreux observateurs font observer que les signes avant-coureurs de ce tsunami étaient perceptibles depuis de longs mois. Les prédictions des organismes de sondage ne semblent pas et à aucun moment avoir été prises au sérieux. L’effet de surprise est donc total !

« L’intensité du sentiment de nouveauté est proportionnelle à la perte de mémoire », dit Daniel Bensaid. Nos compatriotes paraissent en effet avoir oublié la succession pourtant ininterrompue de manquements graves, de défaillances inconcevables dans la gestion des affaires publiques. Le divorce entre les élites dirigeantes et le peuple dans ses diverses sensibilités est quasi-total ! Beaucoup de nos concitoyens, trop sans doute, n’ont pas vu venir cette lame de fond qui prend sa source dans les toutes premières heures de cette révolution autour du triptyque « travail, liberté, dignité nationale ». Une clameur puissante que cet establishment politique s’est ingénié et s’est évertué à dénier ou à refouler quand ce n’est pas à désavouer. Les huit gouvernements successifs ont cherché, chacun à sa manière, à éluder, à se détourner, à se dérober, voire aussi à déconsidérer et à discréditer ce grondement des profondeurs de notre société. Le petit peuple, des profanes, des frustes, pour ne pas dire des gueux, devait prendre son mal en patience. Tous les gouvernements ont usé et abusé d’artifices et d’échappatoires. Si le régime politique a changé, l’essentiel des mécanismes qui régissaient son fonctionnement sont demeurés quasi inchangés. Combinaisons arrangements, accommodements, compromis instables suivi de volte-face, de reniements et de rétractations entre les différentes forces politiques et leurs leaders, ont profondément marqué ladite « transition ».

Pas étonnant qu’à côté du désenchantement croissant mais passif des couches moyennes, resurgissent tel un élastique trop étiré, toutes les frustrations des petites gens et de cette jeunesse désemparée. Rien de véritablement surprenant au fond à voir l’électorat des « déclassés » oser, cette fois-ci, se porter sur des candidatures dites « indépendantes », ou plus sérieusement hors du jeu institutionnalisé des partis. Deux candidats hétérodoxes, schismatiques, qui cherchent à se démarquer du prétendu « pragmatisme » pusillanime des gestionnaires de l’Etat comme de leurs contradicteurs, souffrant eux aussi, de cette totale absence de vision globale d’avenir pour le pays. Vote de protestation face à l’incurie, tant des élites dirigeantes que de leurs affidées intellectuelles. Car si surprise il y a, elle vient de ces prescripteurs d’opinion censés sonder à longueur de temps le corps social mais sans jamais y déceler le mouvement de fond qui s’annonçait. Des prescripteurs adossés à la sphère médiatique qui ne voyaient que des aléas d’un processus de transition, une sorte de business as usual.

De quoi pourrait être fait demain ? Une législature sous des auspices incertains ! Car, à l’évidence, les deux candidats qui n’ont de fait que des prérogatives limitées, vont avoir besoin d’un soutien parlementaire suffisant pour tenter de faire aboutir leur dessein, ou plus prosaïquement quelques unes de leurs aspirations. Leur respective logique volontariste et « populiste » au sens premier du terme, (peuple dans sa diversité contre l’élite dominante et dirigeante) a toutes les chances, malgré tout de venir s’effilocher et se dissoudre dans une assemblée nationale encore plus « liquide » (Voir Zygmant Bauman) qu’à l’ordinaire. Une assemblée « liquide » toujours aussi velléitaire et fluctuante au gré des circonstances, renforcée si besoin était, par l’arrivée de prétendus indépendants et d’apolitiques tout aussi irrésolus et indécis comme ondoyants et versatiles.

Tout cela augure d’une nouvelle législature particulièrement mouvementée et de nouveau indécise. A moins que le mouvement social ne vienne à son tour, et sans doute sous des formes inédites, récuser ce jeu de dupes et imposer un nouvel agenda !