Avant la révolution, les dessinateurs et les tagueurs tunisiens ne s’exprimaient pas ou peu. Aujourd’hui, dans les rues et sur les réseaux sociaux, ils saisissent à travers leurs slogans ou leurs dessins l’amertume, les déceptions ou le ras-le-bol d’une population désillusionnée.
« A.C.A.B. » (All Cops Are Bastards), « Legalize it », « Liberté ». Depuis trois ans, les murs des villes tunisiennes, de Tunis à Sidi Bouzid, se colorent d’inscriptions jusque-là inconnues. Impossible de passer à côté des innombrables slogans qui fleurissent sur les panneaux, les ponts ou les immeubles.
Avant le 14-Janvier, ils étaient rares à oser sortir leurs bombes de peinture pour exprimer leur quotidien. Tagueurs et dessinateurs, sur les murs en parpaing ou ceux, plus virtuels, de Facebook, se sont lancés à la conquête de l’espace public. Leurs parcours ne sont pas les mêmes, leurs motivations non plus, et pourtant, des liens de solidarité indéniables se sont tissés entre les différents mouvements, jusqu’à former une communauté réactive, subversive et attentive à tout empiètement sur la liberté d’expression dont pourraient être victimes les uns ou les autres.
« Les murs véhiculent un message. C’est comme un tableau accessible pour tout le monde, gratuitement et directement dans la rue. Celui qui réussira à se les approprier gagnera une partie du débat politique. Même les salafistes taguent : l’année dernière, pendant le Printemps des Arts, ils avaient inscrit « vous êtes des mécréants » sur le palais Abdellia », observe Skander Beldi, plus connu sous le pseudonyme de « Flask » et dessinateur pour le site satirique « Yaka ». Créé en octobre 2011, ce dernier regroupe des auteurs venus de tous horizons, mais aussi et surtout des Tunisiens.
Avant de rejoindre les membres du Yaka, le dessinateur âgé de 38 ans n’avait publié qu’un dessin sur Facebook, en novembre 2010. Immédiatement repérée, sa page avait été supprimée temporairement, et son dessin effacé. « Je n’étais pas militant. Tout ce que je voyais me faisait mal au cœur, mais je ne pouvais rien faire ». Aujourd’hui, il tape surtout sur « le parti au pouvoir. Mes dessins sont essentiellement politiques et j’ai été traité plusieurs fois de mécréant. »
S’il reconnaît l’utilité des graffitis, Flask est peu coutumier des fresques murales. Lui publie ses dessins sur le net. Sans être censuré, cette fois : « C’est un moyen de lutter contre la censure et la bêtise des politiciens », assure-t-il.
« Ce n’est pas le moment de se taire. Ni de se terrer. »
Avec des supports différents, les artistes tunisiens forment la partie émergée d’un iceberg contestataire et irrévérencieux envers la scène politique. En première ligne, ils sont bien souvent à l’origine des comités de soutien ou de happenings visant à défendre, encore et toujours, la liberté d’expression qu’ils estiment « mise à mal » depuis quelque temps.
Alors que les rappeurs Weld El 15 et Klay BBJ ont été condamnés à un an et neuf mois de prison pour leurs chansons dénonçant les violences policières, que Jabeur Mejri, simple internaute, purge une peine de 7 ans et demi de prison pour un message partagé sur Facebook, et que les journalistes se mobilisent contre des nominations arbitraires, Flask souligne le rôle déterminant que les dessinateurs ont à jouer face à l’intolérance des dirigeants politiques :
C’est maintenant qu’il faut crier sur le papier. On ne doit pas céder face à l’obscurantisme. On doit stopper cela par la création. Il faut des réalisateurs, des écrivains, des dessinateurs, des tagueurs. Avant, on était sous une dictature claire. Maintenant, on est sous une dictature « flou artistique ». Ce n’est pas le moment de se taire. Ni de se terrer.
Oussema Bouagila, lui non plus, ne se terre pas. Fondateur du mouvement Zwewla (Les misérables), qui regroupe 35 jeunes graffeurs âgés de 17 à 27 ans, originaires de Kasserine, Sidi Bouzid, Sfax ou Tunis, il tague inlassablement le « Z » de son collectif aux quatre coins du pays. Du haut de ses 25 ans, étudiant en master de droit, il symbolise une génération diplômée et déçue de la révolution. Aujourd’hui juriste pour une association de lutte contre les maladies sexuellement transmissibles, il a cumulé les petits boulots pour payer ses études en étant — entre autres — pompiste dans une station-service, gardien ou agent d’accueil dans un publinet. Ses slogans mettent sous le feu des projecteurs les problématiques auxquelles lui et ses comparses sont quotidiennement confrontés.
On ne croit pas à la politique ! Les politiciens débattent d’Islam, de laïcité, alors que nos problèmes sont socio-économiques. Nos revendications sont celles de gens qui sont dans la même situation que nous.
Arrêté en novembre 2012 à Gabès pour avoir inscrit sur un mur « les pauvres sont des morts vivants », le jeune homme a été accusé de diffusion de fausses informations portant atteinte à l’ordre public, de violation de l’Etat d’urgence et d’écriture sans autorisation sur des bâtiments publics. Face au tollé suscité par de si lourdes charges, un non-lieu a finalement été établi pour les deux premiers chefs d’accusation, et une amende de 100 dinars a été retenue pour le dernier.
Les gens comprennent notre travail. Nos messages sont écoutés et, en général, les retours sont positifs, les gens sont fiers de ce que l’on fait. Notre problème c’est le ministre de la Justice ! L’autre jour, j’ai été invité à Thala par des familles de martyrs pour peindre sur les murs de la ville. C’est la meilleure preuve de l’efficacité de notre message.
Une communauté réactive et subversive
Regroupés en collectifs, mouvements, associations ou comités, les artistes se rejoignent sur un objectif : exercer leur art librement, trop longtemps enfoui par peur de la répression. Tandis qu’Oussema était jugé pour ses tags sur les murs de Gabès, les dessinateurs de Yaka ont rejoint, comme beaucoup d’autres artistes, une campagne de mobilisation intitulée « Free Zwewla », et de nombreuses créations ont protesté contre son arrestation arbitraire.
A cette occasion, de nouveaux liens se sont tissés : « Ca nous a fait de la pub et nous avons rencontré beaucoup d’autres artistes pendant cette affaire », s’amuse Oussema. Une solidarité face à l’adversité qui fait la force de cette « communauté », estime Dlog, l’une des dessinatrices du Yaka. « Lors de l’assassinat de Chokri Belaïd, j’étais complètement bloquée. La dynamique de groupe m’a permis de surmonter ma peur », souffle cette graphiste de formation, qui n’a commencé à manier le crayon qu’à la chute du dictateur. A l’époque, prendre la parole par ce biais fut une évidence, un moyen de se libérer politiquement et personnellement. « Je voulais échapper aux choses négatives, aux drames, au stress par l’humour. C’est mon moyen d’expression, parce que je ne suis pas forcément une grande gueule », sourit-elle.
Cette sensation, ils sont nombreux à l’avoir ressentie, et pas uniquement chez les dessinateurs ou les tagueurs : « Après le 14-Janvier, il y a un lien qui s’est tissé entre nous. Avant, c’était chacun pour soi », assure Flask. Aujourd’hui, il compare les artistes à des mammifères :
« Nous sommes plusieurs espèces, mais avec le même but. Nos adversaires, eux, ce sont des plantes vénéneuses ». Oussema, lui, martèle : « Nous militons tous pour une Tunisie nouvelle, où les gens peuvent vivre en toute dignité. »
[…] Zwewla is committed to representing Tunisia’s poor populations. In Bouaglia’s words, «We don’t believe in politics! Politicians debate Islam, secularism, while our problems are […]
[…] par exemple l’épisode des « Zwewlas » ces tagueurs de Gabès, arrêtés et « trainés » devant les tribunaux pour de « simples » inscriptions […]