Zulaikha Gharbi et son avocat à la cours d\'assises du Bas-Rhin, à Strasbourg, à l\'ouverture du procès de l\'ancien diplomate tunisien Khaled Ben Said. AFP/FREDERICK FLORINUn ancien diplomate tunisien a été condamné lundi en son absence à huit ans de prison par la cour d’assises du Bas-Rhin, pour actes de torture et de barbarie. La plaignante, une ressortissante tunisienne, assure avoir été torturée en 1996 par Khaled ben Saïd, alors commissaire de police. C’est la première fois qu’un diplomate qui a commis de tels actes dans son pays est jugé en France.

Le tabou de la torture en Tunisie en passe d’être levé? Un premier pas vient en tout cas d’être franchi avec la condamnation lundi à huit ans de prison d’un ancien vice-consul tunisien pour actes de tortures et de barbarie dans son pays, prononcée par la cour d’assises du Bas-Rhin (Alsace). Un jugement inédit, mais tout à fait valide: ce verdict a en effet été rendu en vertu du principe de compétence universelle, un principe fondé sur la Convention de New-York de 1984. Ratifiée par la France, ce point prévoit que toute personne soupçonnée de torture ou de barbarie à travers le monde peut être jugée si elle se trouve sur le territoire français. L’ancien diplomate risquait vint ans de prison pour “actes de torture et de barbarie par personne dépositaire de l’autorité publique”. Il était en effet commissaire de police à l’époque des faits. Mais les juges l’ont seulement reconnu coupable d’avoir donné l’ordre à ses hommes de torturer une femme. Le ministère public avait pour sa part requis l’acquittement, faute de preuves, un résultat notamment lié à l’absence de coopération dans cette instruction de la part de la Tunisie.

L’accusé, Khaled ben Saïd, 46 ans, était poursuivi par une tunisienne de 44 ans. Zoulaikha Gharbi, mère de cinq ans, affirme avoir été torturée pendant deux jours par l’accusé en octobre 1996 dans un commissariat de Jendouba, situé dans le nord-ouest du pays. A l’époque des faits, Zoulaikha est entendue par la police tunisienne qui est à la recherche de son mari, Mouldi Gharbi, un “terroriste notoire” selon Tunis qui est soupçonné d’appartenir à un courant religieux islamique prohibé. Pour la faire parler, les policiers lui retirent de force son foulard et la suspendent à une barre métallique. Elle aurait alors été frappée, insultée, et aurait subi des attouchements. Une expérience éprouvante qu’elle dit n’avoir jamais pu chasser de sa mémoire. Pendant l’audience, Vincent Geisser, chercheur du CNRS, a fermement rappelé que “la torture est une pratique d’Etat” en Tunisie.

La torture, un “mode de contrôle de la société”

En 2001, Zoulaikha, réfugiée en France depuis 1997, apprend par hasard que Khaled ben Saïd vient d’être nommé vice-consul de Tunisie à Strasbourg. D’abord sous le choc, elle se décide rapidement à porter plainte contre lui. Khaled ben Saïd prend aussitôt la fuite. Un mandat d’arrêt international est lancé en 2002, sans succès. Khaled ben Saïd n’a jamais répondu à aucune convocation du juge d’instruction. Silence également du côté des autorités tunisiennes: la justice du pays n’a jamais répondu à une seule commission rogatoire internationale lancée par un magistrat français. Les parties civiles décident alors de mettre en demeure le juge d’instruction afin de passer outre l’absence de réquisitions du procureur et de renvoyer Khaled ben Saïd devant la cour d’assises.

Depuis le début de l’affaire, l’accusé, qui ne s’est jamais présenté, nie farouchement les faits par l’intermédiaire de son avocat. Ce dernier assure d’ailleurs que toute cette procédure judiciaire est en réalité “un procès politique”. “Mon client est un pion utilisé pour atteindre l’Etat tunisien”, a ainsi affirmé Me Olivier Salichon devant la presse. Pour la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) et la Ligue des droits de l’homme (LDH), qui s’étaient constituées parties civiles, la portée de ce procès est toute autre: “Ce procès devrait permettre de briser le tabou du recours habituel de la torture en Tunisie”, expliquent conjointement les deux organisations. “C’est l’ultime recours pour la plaignante d’espérer obtenir justice au terme d’une procédure équitable”. Car ce procès a aussi été celui de tout un système mis en place depuis plus de vingt ans par le président Zine el Abidine Ben Ali. “En Tunisie, sous Ben Ali, on torture au nom des droits de l’homme et on viole les femmes en invoquant le droit des femmes”, a également expliqué devant la cour Vincent Geissier. Cette pratique “est destinée à humilier et à diffuser la peur”. Avant d’ajouter : le recours à la torture, “c’est un mode de contrôle de la société”.

Flore GALAUD
Mardi 16 Décembre 2008

Source : leJDD.fr