Karim Mejri, ex-conseiller auprès du ministre de l’emploi Saïd Aïdi, apporte sa contribution au débat national autour de l’emploi dans une série de 9 articles publiés par Nawaat.org. Dans ce quatrième article, il démontre la nécessité de l’émergence d’une nouvelle génération d’entrepreneurs.
Pour une nouvelle génération d’entrepreneurs
Face à un secteur public à faible capacité de création d’emploi, et face à un secteur privé en perte de vitesse, une autre solution pour combattre le chômage consiste dans la promotion de l’entreprenariat. Mais l’Etat ne fait-il pas déjà beaucoup de choses dans ce sens ? Des formations prodiguées par les bureaux d’emploi et autres « espaces initiatives », à la Banque Tunisienne de Solidarité (BTS), l’Etat favorise les entrepreneurs et garantit leur encadrement. Déjà, en 2011, année de crise, la BTS avait financé plus de 11.500 entrepreneurs permettant de créer près de 20.000 postes d’emploi[1]. Le Fonds National de Promotion de l’Artisanat et des Petits Métiers a financé quant à lui des projets qui ont permis de créer près de 74.000[2] postes d’emploi pendant le 11ème plan, donc avec une moyenne annuelle qui avoisine les 18.500 postes d’emploi.
Mais en vérité cela n’est guère suffisant. Aujourd’hui, notre pays a besoin d’une nouvelle génération d’entrepreneurs, qui donne une nouvelle impulsion à l’économie nationale et qui change les règles du jeu dans le secteur privé. Nous vivons aujourd’hui avec une génération de chefs d’entreprises qui étaient entrepreneurs dans les années 60 ou 70. Les créateurs d’entreprises ont beaucoup de mal à se renouveler, et surtout, un entrepreneur appartenant aux classes les plus pauvres ou même à la classe moyenne a toutes les chances d’échouer dans sa tentative de lancer sa propre affaire. Le parcours de l’entrepreneur est un parcours du combattant et nombreux sont ceux qui abandonnent en milieu de chemin.
Il ne s’agit pas seulement d’augmenter quantitativement le nombre d’entrepreneurs dans le pays. Même si l’entreprenariat peut générer 40.000 emplois par an, il faut étudier la pérennité de ces emplois et en plus, les secteurs dans lesquels ils sont créés. Nous devrions chercher aujourd’hui à promouvoir un entrepreneur nouveau qui investit dans les secteurs à haute valeur ajoutée, qu’ils soient exportateurs ou pas ; qui mise sur l’intelligence de ses employés et opte pour un développement équilibré de l’entreprise, basé sur le développement des ressources humaines et l’épanouissement de chaque individu. L’entrepreneur nouveau ne doit pas faire appel à l’Etat que pour les tâches qui sont du ressort de l’Etat : formation initiale et continue des ressources humaines, infrastructures, télécommunications.
Il est nécessaire de revenir aux fondamentaux de la droite comme à ceux de la gauche : la juste rétribution du travail fourni, la promotion de l’initiative et de l’innovation, la garantie des droits des travailleurs selon la loi et dans le respect de la dignité humaine. Ceux qui ont des idées novatrices pourront bénéficier par exemple des études gratuites prodiguées par des centres d’étude financés par l’Etat et des bailleurs de fonds étrangers. Les porteurs d’idées devront être accompagnés pour structurer leurs projets et mener à bien des études techniques et économiques. Les professeurs universitaires devront se porter volontaires afin de coacher cette nouvelle génération qui se plaint d’être délaissée et qui sombre déjà dans un désespoir sans fond. Pourquoi ne pas généraliser un module d’entreprenariat à toutes les filières universitaires, permettant à chaque étudiant de comprendre a minima ce que veut dire un Business Plan ?
Pendant 8 mois passés au ministère de l’emploi j’ai vu défiler des dizaines d’entrepreneurs ratés. Les contentieux avec la BTS ou avec telle ou telle administration n’en finissent pas. Les prêts deviennent un fardeau et les mauvais exemples sont légions. Je n’ai pas entendu de « success story » capable de remotiver les entrepreneurs potentiels. Aucun nouvel entrepreneur ne pourra émerger dans un environnement aussi peu propice à la création et à l’entreprenariat dans lequel nous vivons actuellement. La question du financement des projets devra se poser au plus haut niveau de l’Etat, et bien que le problème puisse se poser en termes « techniques », il n’en reste pas moins un problème qui touche l’économie nationale, donc le pays dans son ensemble. Ainsi, comment peut-on attendre que de nouveaux projets fleurissent alors que nos SICAR acceptent rarement de prendre une part du risque inhérent à tout projet et se contentent de contracter des prêts déguisés, à taux d’intérêt garanti ? Comment comprendre que ces mêmes SICAR, qui devront financer l’innovation là où elle se manifeste, se contentent généralement de financer de grands groupes, déjà bien installés, pour des projets à faible portée technologique ?
La promotion de l’entreprenariat doit se transformer en une priorité nationale. Il est désolant à quel point cette question est absente des déclarations de nos gouvernants. Il n’y a qu’à voir les pays développés, ou encore les pays émergents, pour comprendre que c’est une condition nécessaire pour soutenir l’économie et créer de l’emploi. Mais malheureusement, aujourd’hui, plusieurs maillons manquent dans la chaîne qui va de l’idée émergeant dans la tête d’un jeune jusqu’à la PME solide qui emploie des dizaines de personnes. La construction d’un chemin solide menant de l’idée à la PME devra devenir une priorité. Certaines lois obsolètes devront être révisées de toute urgence afin de faciliter le financement des projets et surtout, de ne pas punir à vie ceux qui ne réussissent pas.
Parallèlement, l’Etat, avec éventuellement l’aide de la société civile, doit se pencher sur le lourd héritage légué par les anciennes pratiques. Des milliers de jeunes ont contracté des prêts qu’ils ne peuvent rembourser. Plusieurs se sont lancés dans des projets mal étudiés, ont obtenu des financements bon gré mal gré et se retrouvent aujourd’hui toujours sans emploi, avec des dettes à rembourser. Que l’Etat n’ait pas de mécanismes permettant d’aider ces promoteurs ne fait qu’accentuer leur sentiment d’être des promoteurs ratés, d’être délaissés par l’Etat, et cela contribue en définitive à la mauvaise image dont jouit l’entreprenariat parmi les jeunes et ne les incite pas à la prise de risque. Un circuit de « recyclage » doit être envisagé et mis en place en prévision des inévitables échecs.
Article 5 : Les autres pistes pour promouvoir l’emploi : société civile, PPP, émigration…
Lire dans le même dossier :
[Part1]: Qu’est-ce qu’un chômeur ?
[Part2] : Le secteur public, objet de toutes les convoitises
[Part3] : Le rôle déterminant du secteur privé
[1] http://www.emploi.gov.tn/fileadmin/user_upload/PDF/statistique/publication/l27.pdf
[2] http://www.emploi.gov.tn/fileadmin/user_upload/PDF/statistique/publication/l28.pdf
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