Dans un communiqué rendu public, ce jeudi, le Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT) annonce la tenue de son prochain congrès, les 28, 29 et 30 mars 2014, ainsi que l’ouverture du dépôt des candidatures pour l’élection du prochain bureau exécutif.
Il s’agit du « 3éme congrès du syndicat et du 25éme congrès de la profession », une précision qui n’est pas anodine, car elle rappelle l’histoire chargée de cette organisation, recréée le 13 janvier 2008 et venue remplacer l’Association des Journalistes Tunisiens (AJT), fondée en 1962. En l’occurrence, le rapport élaboré par l’Instance Nationale pour la Réforme de l’Information et de la Communication (INRIC), en 2012, retrace l’historique de cette organisation, de ses rapports tourmentés avec le pouvoir politique, de son dépérissement au tournant des années 90, lorsque l’AJT « a été noyautée par le pouvoir » et « a dévié de sa mission » ; jusqu’au putsch mené, en 2009, par des membres du bureau exécutif élargi contre le bureau légitime du SNJT, qui sera rétabli dans sa légitimité, au lendemain du 14 janvier 2011.
Or, il semble que le lourd héritage répressif de la profession n’a pas fini de nourrir les dénis et les dissensions opposant, encore aujourd’hui, les journalistes, y compris à l’intérieur des structures syndicales, alors que la bataille de la liberté vient à peine de commencer.
D’abord surgies au sein du bureau exécutif élu en 2011, ces dissensions ont fini par détourner les débats essentiels sur la nécessaire justice transitionnelle au sein du secteur journalistique. Ainsi en a-t-il été de l’établissement d’une « liste noire des journalistes impliqués avec l’ancien régime et qui ont violé les principes du code déontologique », qui est l’une des recommandations émanant du 2éme congrès du SNJT en juin 2011. Cependant, la « Commission Vérité et Équité » mise en place, en 2012, par le SNJT, suite à la création de la Coordination indépendante pour la justice transitionnelle, n’a pas pu mener à bien cette tâche. En cause, plusieurs entraves dont le refus de la profession de faire sa propre autocritique, la récupération des journalistes “collabos” par le pouvoir, ainsi que l’impasse sur l’accès aux archives officielles. Cette initiative a valu à la présidente du syndicat, Nejiba Hamrouni, des campagnes de diffamation et de dénigrement sur les réseaux sociaux et sur les colonnes de journaux de caniveau, dont l’essor est l’une des nouvelles anciennes formes d’atteinte à la déontologie.
En se positionnant comme l’organisation syndicale la plus représentative des journalistes, et dont témoigne l’impact de la grève générale du 17 octobre 2012, le SNJT n’a pas manqué non plus d’entrer en collision avec l’Association Nationale des Jeunes Journalistes, qui, à travers ses positions et ses déclarations, s’est placée, dès le départ, en porte à faux vis-à-vis du SNJT. Le fait qu’un membre de l’actuel bureau exécutif soit issu de cette association n’y a rien changé. Créée par la commission des jeunes journalistes, mise en place au lendemain du congrès extraordinaire controversé du SNJT, le 15 août 2009, cette association a été constituée le 7 avril 2011, dans le but « d’unifier les rangs des jeunes journalistes et de débattre de leurs préoccupations et aspirations ».
De même que des divergences ont opposé le SNJT et le Syndicat général de la culture et de l’information (SGCI) concernant le leadership des négociations syndicales et sociales avec l’Etat. Relevant de l’UGTT, le SGCI « regroupe les syndicats de base des journalistes et des agents, toutes catégories confondues, exerçant dans les entreprises de presse et de la culture. Il est ainsi la seule partie habilitée, légalement, à négocier la convention collective de la presse écrite et les statuts juridiques des entreprises de presse ».
Ce syndicat, qui a inclut récemment “l’information” dans son appellation, avait pour vocation initiale de défendre l’art et la culture. Or, au lendemain du 14 janvier, un pacte de partenariat stratégique a été conclu entre le SGCI et le SNJT pour « la coordination des activités et la constitution d’une délégation commune pour représenter le secteur dans les négociations sociales ». Par la suite, ce pacte s’est élargi à la Coalition Civile pour la défense de la Liberté d’Expression, ( incluant la Ligue Tunisienne des Droits de l’Homme, le Syndicat Tunisien de la presse indépendante et de la presse des partis, le Syndicat Tunisien des radios libres, l’Association Vigilance pour la Démocratie et l’Etat civil et le Centre de Tunis de la Liberté de la presse), dans le but de rapprocher les positions de la profession au moment du vote de la nouvelle Constitution.
Mais, en mars 2012, des représentants des syndicats de base ont conclu unilatéralement, avec la direction générale de la télévision tunisienne et des représentants du gouvernement, un accord sur la nouvelle composition du conseil d’administration de la télévision tunisienne. D’ailleurs, dans son communiqué annonçant la grève observée, à la télévision tunisienne, le 26 février dernier, le SGCI évoquait « le conseil d’administration et la nomination de nouveaux PDG », à la tête de l’audiovisuel public, comme des questions restées en suspens dans les négociations avec le Premier ministre, alors même que la Haica avait entamé la nouvelle procédure de nomination des futurs patrons de la radio et de la télévision publiques, en attendant que les Cahiers de charge viennent réglementer le secteur.
Reste maintenant à redéfinir le statut des prochains conseils d’administration de manière a acquérir une mission de service public, avec la responsabilité d’assurer l’indépendance de la rédaction, et non plus d’un système de gouvernance autoritaire, tel que prévu par le décret n° 2007-1867 du 23 juillet 2007. Mais pour cela, il faut aussi revoir les statuts de l’audiovisuel public dont la révision est restée au stade de projet.
En réalité, passées les tonitruantes campagnes de solidarité de l’après 14 janvier 2011, les intérêts des journalistes et des autres catégories de travailleurs, au sein même des médias, semblent diverger à nouveau, surtout s’agissant d’indépendance et de liberté d’information, compliquant ainsi la restauration de la confiance entre les uns et les autres syndiqués. Cela n’est pas sans rappeler que l’ancien régime avait instrumentalisé les syndicats de base pour diviser les professionnels des médias. D’un autre côté, d’aucuns n’ont pas manqué de relever que l’existence des décrets-lois 115 et 116 a eu pour effet de déresponsabiliser les journalistes, dont beaucoup restent à distance d’enjeux qui les impliquent en premier lieu. D’autres, plus optimistes, pensent que le chemin de l’adaptation sera plus long que prévu.
Il est clair, en tous cas, que le prochain congrès du SNJT met à l’ordre du jour un bilan mitigé, dans une première période transitoire, où les ombres l’ont parfois emporté sur les lumières et où les fondements éthiques et juridiques du nouveau paysage médiatique rêvé sont demeurés inachevés. A commencer par l’article 8 du décret-loi 115, concernant la Commission indépendante d’octroi de la carte nationale de journaliste professionnel, ainsi que l’article 11 des statuts du SNJT, relatif au non-cumul des adhésions syndicales, ou encore la Convention collective et le Conseil de presse. Enfin, tout aussi urgente sera la restructuration du Syndicat National des Journalistes Tunisiens et la redéfinition de son rôle vis-à-vis des autres acteurs de la profession, mais aussi à l’endroit de la scène politique, sociale, voire éducative et culturelle.
[…] est actionnaire à raison de 69%, depuis sa confiscation. Egalement signataire de ce communiqué, le syndicat général de l’information et de la culture (SGCI) qui semble avoir changé de camp, en désertant les rangs de la Coalition Civile pour la défense de la Liberté d’Expression. […]