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La Tunisie est jeunesse, qu’on ne l’oublie pas ! Et c’est la jeunesse qui a été le fer de lance du Coup du peuple, la révolution tunisienne. Elle est la part la plus conscience de ce peuple, sa conscience vive.

Aussi dit-elle aujourd’hui non à la comédie qu’on veut imposer au peuple, une mascarade d’élections où tout est arrangé à l’avance.

La jeunesse refuse une fausse démocratie

Déjà, le scrutin électoral a été taillé sur mesure pour les intérêts des deux plus grands partis qui représentent l’un l’ancien régime et l’autre la dictature morale qu’on veut imposer au pays.

De plus, les conditions de déroulement des inscriptions démontrent à quel point le système de l’ISIE est loin d’être transparent, les soutiens des deux partis précités et de leurs satellites étant en activité.

Il est même jusqu’au gouvernement supposé de compétences qui se laisse aller à la comédie burlesque de cette fausse démocratie puisqu’il ne fait rien pour neutraliser l’Administration, pourtant une des conditions de sa mise en place.

Tout concourt donc à ce que les élections, dont on a tenu à précipiter l’occurrence, aboutissent au maintien de la majorité actuelle dominée par les islamistes auxquels viendront s’ajouter les nostalgiques de l’ancienne dictature. Cette alliance inédite se fait au nom de l’autorité de l’État et de son prestige, ce qui était déjà le slogan de la dictature déchue.

Nos dirigeants déjà en place ou en passe d’y revenir se satisfont d’une pure apparence démocratique réduite à un mécanisme électoral vidé de sens pour rester au pouvoir et imposer au peuple par la force leurs vues déconnectées de nos réalités. Les uns veulent un islam caricaturé violant son esprit de tolérance et d’humanisme; les autres exigent un État fort, oubliant q’il n’est plus d’État fort si son peuple ne l’est pas.

Ce n’est donc pas la démocratie qu’on cherche à servir en Tunisie, car elle n’existe même plus en cet Occident qu’on singe; c’est tout juste ce que je qualifie de daimoncratie (ou démoncratie), qui est le pouvoir absolu des démons (daimons en grec) de la politique, ces gourous qui sacrifient tout, l’intérêt du peuple notamment, à leur appétit vorace du pouvoir.

La jeunesse veut un État de droit

Notre jeunesse est bien plus mature qu’on ne veut le croire; on ne peut que le savoir si l’on n’était pas coupé du peuple dans les tours d’ivoire des politiciens et des intellectuels dont l’intellect est gangréné par le savoir occidental périmé.

Notre jeunesse sait que c’est l’État de droit qui fait des élections libres, transparentes et honnêtes, car sinon aucune opération électorale ne saurait être digne de son objectif qui est de représenter véritablement la volonté du peuple.

Or, comment avoir des élections honnêtes en l’absence d’État de droit ? Ne l’oublions pas : malgré les acquis de la constitution imposés par la société civile, la Tunisie est toujours soumise à la dictature de Ben Ali à travers son système juridique dominé par des lois scélérates !

Aussi, prétendre aujourd’hui donner la parole au peuple consistera à ériger d’abord l’État de droit avant de renouveler — dans les pires conditions, qui plus est — la majorité actuelle qui, ayant perdu toute légitimité, cherche à la renouveler en usant du subterfuge électoral.

L’Assemblée constituante qui s’accroche à ses privilèges et s’offre en plus des vacances au moment où le peuple peine et souffre doit donc se racheter en s’attelant urgemment à la suspension de toutes les lois liberticides d’ancien régime et d’en proposer d’autres, quitte à se limiter aux principes. Car si cela ne se fait pas aujourd’hui, cela ne se fera plus jamais.

Et c’est une obligation constitutionnelle bien plus importante que celle de l’organisation avant la fin de l’année des élections nationales. En effet, il s’agit là d’une obligation matérielle que l’intérêt de la patrie impose, alors que la seconde est de pure forme que n’imposent que les intérêts des grands partis, le tandem de la dictature qu’on veut restaurer.

Juridiquement, pour redonner la voix au peuple et le ramener à la politique, il importe de décider solennellement la substitution d’élections municipales et régionales aux élections législatives et présidentielle. C’est ainsi et ainsi seulement qu’on prouvera que l’on est patriote.

Et c’est ce que doivent exiger tous les démocrates et soi-disant démocrates dans ce pays. Qu’ils suivent l’exemple de sa jeunesse en boycottant la mascarade des élections en agissant pour la fondation de l’État de droit par la mise en oeuvre de la constitution. Que leur slogan soit : d’abord la Constitution, ensuite les élections nationales !

Au lieu de chercher à vainement conforter une légitimité bidon en participant à la comédie électorale, qu’ils les boycottent et s’organisent pour qu’on leur substitue des élections locales tout en démarrant la réforme — qu’on veut renvoyer aux calendes grecques — du système juridique de l’État.

C’est une seconde révolution par le haut bien pacifique et exemplaire qu’ils réussiront ainsi tant qu’il est encore temps; car sinon — et c’est l’observation sociologique de terrain qui l’impose — il y a aura forcément une réplique du Coup du peuple. Elle sera alors loin d’être maîtrisable par les appareils des partis déconsidérés ni même des associations aujourd’hui apathiques.

Les élections comme opération commerciale

Le peuple ne peut trop longtemps accepter qu’on dépense trop d’argent dans une opération de pure façade au lieu de les engager dans des opérations d’aide aux masses les plus pauvres de notre peuple ! Or, pourrait-on faire autrement tant que le système des fausses apparences n’est pas remis en cause ? On est dans un système où l’absurde s’impose, consistant à servir des intérêts commerciaux au nom de ceux du peuple qu’on continue à traire comme une vache à lait.

Nos amis occidentaux, avec des slogans supposés démocratiques, mais devenus purement commerciaux, car déjà obsolètes chez eux, nous vendent de la camelote pour qu’on demeure à leur remorque, incapables d’innover et de transfigurer la politique et la démocratie qui ont tant besoin d’être revitalisées. Ils savent pourtant que nous avons dans notre tradition spirituelle tant d’atouts pour réussir cette gageure; aussi tiennent-ils à ce que la Tunisie soit plutôt un marché pour y faire leurs affaires.

Ainsi, les élections sont-elles voulues comme une pure opération commerciale. Prenons un exemple banal, mais tellement illustratif, d’une pratique déjà utilisée lors de la dernière élection : l’usage de l’encre dite indélébile. Tous les honnêtes observateurs disent qu’elle ne sert à rien, sinon les intérêts de la société qui le commercialise.

En effet, de deux choses l’une : ou les listes électorales sont à jour et on veille à ce que chacun les émarge en votant, ou elles ne le sont pas et le déroulement du vote se fait anormalement. Dans les deux cas, à quoi sert cette encre sinon à stigmatiser notre incompétence et prouver l’absence de sincère volonté à honorer le désir du peuple et surtout sa jeunesse d’une vraie démocratie sans ces démons qui veulent s’imposer à sa destinée comme ils ont eu l’habitude de le faire ?

Mais les temps ont changé. On est en postmodernité qui est l’âge des foules. Les gourous qui continuent à faire la politique à l’antique doivent se forcer à être béants aux choses futures, comme disait Montaigne, car ces choses font désormais l’actuel et le quotidien de la Tunisie. et elles finiront à s’imposer à eux s’ils ne veulent en tenir compte à temps. C’est ce que la jeunesse tunisienne, figure de proue de la jeunesse d’un monde nouveau, le leur rappelle aujourd’hui par son abstention. Demain, si on l’entend pas, elle finira par agir.