Le projet de loi n°2013 – 13 amendant et complétant certaines dispositions du Code de procédure pénale a été adopté avec 96 voix, mardi 2 février 2016, à l’Assemblée des représentants du peuple. L’énorme avancée de cet amendement consiste dans la garantie de la présence d’un avocat pour chaque prévenu et la réduction de la durée de la détention de 48h en cas de crime et de 24h en cas de délit et d’autres garanties d’un procès équitable. Cet amendement concerne trois articles qui annulent les articles 13 bis, 57 et les trois premiers alinéas de l’article 221. L’entrée en vigueur de ces amendements est prévue pour le 1er juin 2016.
Proposé à l’assemblée depuis 2013, le projet de loi a été voté mardi 2 février, après un débat en plénière, le 26 janvier et une semaine de travail dans la commission des consensus. Conformément aux articles 27 et 29 de la nouvelle constitution, ces amendements renforcent les garanties judiciaires du prévenu pendant la première phase de l’enquête en essayant de garantir l’équilibre entre les droits de l’homme et le droit de la société à la punition. Il vise également à rompre le lien entre le ministère public et les juridictions compétentes au sujet de la désignation d’un juge d’instruction pour enquêter dans une affaire pénale conformément aux conventions internationales.
De trois jours la durée de la garde à vue passe à 48 heures
Qualifiée d’historique, l’une des principales réformes qui changera le rapport entre la police judiciaire et le prévenu est la durée de la garde à vue qui est passée de trois jours à 48 heures depuis le vote de ce mardi. Ensuite, le suspect sera écouté par le procureur de la République qui décide de sa libération ou de la prolongation de sa détention en mentionnant les motifs. La période de détention pourrait être prolongée, une seule fois, de 48h en cas de crime et de 24h en cas de délit.
Les anciennes dispositions du Code de Procédure Pénale (CPP) permettaient aux officiers de police judiciaire de garder un suspect pour une durée maximale de 72 heures. L’autorisation de la détention ne passait pas obligatoirement par le procureur de la République qui était, seulement, avisé de la détention, durant cette période.
Amna Guellali, directrice du bureau de Human Rights Watch, estime que malgré cette réforme « révolutionnaire », les nouvelles dispositions de la loi restent floues sur le compte à rebours de la période de détention.
Allons-nous commencer à compter la durée de la garde-à-vue à partir du moment même de l’arrestation ou à partir des heures après quand les premières procédures seront achevées (interrogation, écoute du suspect et des témoins …) La forme actuelle de l’amendement permet au procureur de recaler le début des 48h de l’arrestation à partir de l’émission du procès verbal. Ce qui n’est pas conforme aux normes internationales,
précise Amna Guellali
« Je ne répondrais qu’en la présence de mon avocat » est désormais possible
À l’image des fictions hollywoodiennes, la fameuse phrase « Je ne répondrais qu’en la présence de mon avocat » est désormais possible pour les Tunisiens. Ainsi, la nouvelle loi permet au prévenu de demander aux officiers de police judiciaire d’appeler son avocat, à chaque fois, qu’il en a besoin, durant les horaires administratifs. Le suspect a le droit de s’entretenir, individuellement, avec son avocat pendant 30 minutes durant toute la période de la détention. Si l’avocat de l’accusé est présent, sa signature sera obligatoire dans les pv des instructions préliminaires.
Cette mesure tire le rideau sur une époque où le prévenu faisait face seul à l’appareil judiciaire et exécutif de l’État. Bien que l’avocat ne sera pas en mesure de plaider devant le juge d’instruction, sa présence sera une garantie de la bonne conduite de l’instruction préliminaire. Cela évitera, évidement, plusieurs dépassements mais surtout la torture physique, les menaces et le chantage pour arracher des aveux.
Mohamed Ben Latif, membre de l’Association des magistrats tunisiens, nous explique que le législateur aurait pu faire mieux en tenant en compte la réforme globale pas seulement du CPP mais aussi des lois organiques des juges, du ministère de la Justice et celle régissant le rapport entre le pouvoir exécutif et la justice. Concernant les derniers amendements, Ben Latif regrette l’absence de plus de garanties. « Puisque le procureur de la République doit argumenter sa décision de détenir un suspect, pourquoi ce dernier n’a pas le droit de contester cette décision ? Nous considérons que l’omission de ce droit entrave la liberté individuelle ». Ben Latif regrette que les députés n’aient pas retenu les recommandations de l’AMT ainsi que d’autres associations relatives à la confidentialité de la consultation médicale, l’obligation de la présence d’un interprète pour les personnes sourdes et les étrangers et le droit de demander la consultation d’un deuxième médecin indépendant.
En contre partie, dans les crimes liés au terrorisme, le législateur a décidé de priver le suspect de la présence de son avocat durant les premières 48 heures de sa détention que ce soit pour le voir individuellement ou pour assister à l’instruction préliminaire.
La police judiciaire n’interrogera plus personne
Une autre avancée et non des moindres concerne la limitation des commissions rogatoires. Afin de prévenir les mauvais traitements et surtout pratique de la torture aux cours de la première phase d’instruction, les députés ont voté une nouvelle disposition limitant au juge d’instruction la délégation aux officiers de police judiciaire certains actes d’information et d’investigation. Cette délégation, ne sera désormais possible, que pour des taches techniques et en aucun cas pour écouter le suspect sauf si ce dernier était en flagrant délit.
Par ailleurs, la commission de la législation générale a proposé l’amendement de l’article 221 pour créer une chambre criminelle dans tous les tribunaux de première instance. Ces chambres auront quatre juges chacune. Le ministère de la Justice a proposé, dans ce même article, de confier la tache de nomination des juges à l’Instance provisoire de la justice jusqu’à création du Conseil supérieur de la magistrature qui créera le cadre légal de la nomination des chambres criminelles.
Finalement, le législateur a retiré l’article 10 bis qui entrave l’indépendance du pouvoir judiciaire et surtout du Ministère public. L’annulation de cet article devrait renforcer l’indépendance des juges face au ministère de la Justice pour garantir un procès équitable, loin des abus de pouvoir et de l’ingérence politique.
« Ces changements doivent être accompagnés d’une forte volonté politique pour faire face aux résistances et aux difficultés d’application » estime Amna Guellali. En effet, le pouvoir législatif a encore du pain sur la planche pour garantir le respect des droits humains dans les centres de détentions et les prisons. Mis à part l’arsenal de lois qu’il faut changer immédiatement et qui concernent le CPP et le Code pénal, l’État doit absolument réformer la police. l’AMT propose, dans ce cadre, de renforcer les moyens logistiques et techniques de la police judiciaire. « Nous avons aussi proposé de restructurer la police judiciaire et de renforcer ses cadres avec des diplômés en droit » nous explique Mohamed Ben Latif qui espère la poursuite des réformes du système judiciaire.
« Je ne répondrais qu’en la présence de mon avocat » essayez de prononcer cette phrase devant un flic tunisien et vous allez voir si vous aurez encore des dents dans votre bouche…