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La trahison des intellectuels

Jean Paul Sartre et les Arabes.

Edward Said

Traduction et sous-titres de Mahmoud Gabsi – Sociologue.

Sartre était un partisan du sionisme extrémiste. Il représente une déception pour tout arabe non algérien .

Edward Said

Les extraits :

Jean Paul Sartre :

Jusqu’à sa mort en 1980 JP Sartre était le principal penseur français. Il a été critiqué sur son silence sur les camps de détention soviétiques. Pendant longtemps, il a critiqué les nouveaux philosophes, dont l’œuvre sinistre consistait en une attaque contre le communisme.

Une invitation surprise :

J’ai reçu à New York en 1979 une invitation de la part de JP Sartre et de Simone de Beauvoir. Le sujet de la réunion qui était organisée par la revue « Les Temps modernes » : « La paix au Moyen Orient ». J’ai cru au départ que c’était une blague, comment des gens aussi célèbres pouvaient-ils s’intéresser à moi ?

Je suis arrivé à Paris, et pour des raisons sécuritaires la réunion a eu lieu dans l’appartement de Michel Foucault. Une ambiance agaçante de complot régnait.

Michel Foucault :

Michel Foucault était présent, mais il m’a informé qu’il n’avait rien à dire sur le sujet et qu’il devait partir. Nous avons discuté amicalement, mais je n’ai pas compris pourquoi il ne voulait pas s’exprimer sur ses opinions politiques par rapport au Proche Orient. J’ai appris qu’en 1967, lorsque la guerre des six jours a éclaté, il enseignait à Tunis et qu’il a été renvoyé en vitesse du pays. Michel Foucault a déclaré avoir quitté la Tunisie par crainte de l’antisémitisme, suite à la grande défaite arabe face à Israël, mais une de ses collègues, une Tunisienne philosophe a raconté une histoire toute différente : il serait parti à cause de ses activités sexuelles avec des jeunes. Laquelle des versions croire ?

Dans cette réunion parisienne MF m’a informé qu’il revenait de Téhéran en tant qu’envoyé spécial du journal « El Corriere della sera ». Par la suite, Gilles Deleuze m’a a dit que c’était son grand ami, mais ils se sont disputés sur la question palestinienne. Michel Foucault était un partisan d’Israël, Gilles Deleuze  de la Palestine. J’en ai conclu que c’était la raison pour laquelle il ne voulait pas discuter avec moi, ni avec quiconque du sujet.

Le Mossad :

Il y avait quelques Palestiniens et des Juifs, dont Yehoshafat Harkabi le président du renseignement israélien qui a été limogé par Golda Meir. J’ai passé avec lui une année à Stanford Center. Notre relation était polie mais non chaleureuse.

Les participants :

Sartre est arrivé en retard. La plupart des participants étaient israéliens ou des juifs français. Certains étaient très religieux, d’autres très laïcs. Ils étaient tous pro sionistes d’une manière ou d’une autre. L’un d’entre eux, Elie Ben Gal, connaissait très bien Sartre. Il était le guide de ce dernier lors d’un voyage récent en Israël. Sartre était vieux et faible. On lui traduisait car il ne comprenait pas l’anglais. Il y avait des Arabes.

Pierre Victor l’égyptien :

L’un des membres de la bande, Pierre Victor est un ancien maoïste. C’est l’associé de l’éditeur de Sartre, son nom est Goucher Prolitarien, il est devenu par la suite très religieux. Victor était un juif égyptien. Il s’appelait Adel Rifaat, mais il était connu sous le nom de Benny Lévi. Son frère s’appelait behjat Ennadi. Tous les deux ont travaillé à l’UNESCO sous le nom de Mahmoud Hussein qui a écrit une étude célèbre sur l’Egypte et qui a été éditée chez MASPERO. Rien d’Egyptien ne ressortait chez Victor, il apparaissait sous les traits d’un intellectuel parisien gauchiste, moitié penseur, moitié escroc.

Objectif : neutraliser les pays arabes

Pierre Victor a posé avec autorité et confiance en soi les sujets sans aucune discussion avec quiconque et ce, à cause de sa relation privilégiée avec Sartre. Les sujets étaient : 1- Les accords de Camp David entre L’Egypte et Israël. 2- La paix entre Israël et le monde arabe en général. Aucun des Arabes n’était satisfait, car on était passé au-dessus de la question palestinienne. Certains ont quitté la réunion et d’autres Egyptiens n’étaient pas venus.

Au fur et à mesure, j’ai compris que des discussions avaient eu lieu au préalable. Que la participation arabe était formelle, que j’étais naïf de venir à Paris, moi qui pensais rencontrer Sartre. En 1979, une publication non acceptable dans « Les Temps modernes » a suivi. Au fond, c’était le but principal de la manœuvre. Un entretien avec Emmanuel Levinas en a été retiré.

Sartre : la déception

Il n’y a pas eu de débats et j’ai été déçu par Simone De Beauvoir. La présence de Sartre a été étonnante, non convaincante et non affectueuse. Il n’a pas prononcé un seul mot pendant des heures. Pendant le repas, il était en face de moi et il était anxieux et réservé.  Il a paru telle une ombre, avec ses habits qui paraissaient mises sur lui, il ressemblait à un théâtre abandonné.

Sartre : entre soumission et complaisance

J’ai découvert que Pierre Victor était le décideur et que Sartre n’était qu’un wagon dans le train. Durant toute la réunion, ce dernier dominait et emmenait Sartre dans un coin, ils se faisaient des signes puis revenaient. Le renforcement d’Israël était l’objectif de la réunion. Je pensais qu’il était important de convaincre un penseur célèbre dans l’espoir qu’il se transformerait en un Arnold Toynbee ou un Sean Mac Bride. Pourtant, sa position de soutien pour l’Algérie était plus difficile pour lui en tant que Français qu’une position critique envers Israël.  Mais j’étais dans l’erreur bien sûr. J’étais venu pour écouter la position de Sartre, celle des autres était connue.

La mascarade :

Le lendemain, un texte imprimé de deux pages a été lu. Il faisait l’éloge d’Anouar el-Sadate, le signataire des accords de Camp David. Nul doute, c’est le médiocre Victor qui l’a écrit et Sartre n’a pas bronché. Rien n’a été dit ni sur les Palestiniens, ni sur les territoires colonisés. Pourtant, ce qui se passe en Palestine ressemblait sur plusieurs aspects à ce que la France a fait en Algérie.

Le texte ressemblait à n’importe quelle dépêche d’information de l’agence Reuters. J’ai été complètement anéanti. Comment le penseur héros a-t-il baissé les bras dans les dernières années de sa vie sous les ordres d’un instituteur réactionnaire payé ? La question palestinienne est morale et politique, elle est identique à l’algérienne et à la vietnamienne.

Bernard Pivot et la mémoire posthume de Sartre :

Plus tard, l’émission « Bouillon de culture» a consacré une émission à JP Sartre, en honneur à sa mémoire. Bernard Pivot a invité Bernard Henri Lévi pour parler de lui. Ce dernier qui n’a ni la pensée ni le courage politique du philosophe a déclaré que « le dossier de Sartre sur Israël est exemplaire. Il n’a jamais dévié et il est demeuré un soutien à l’Etat juif ». 

Sartre était un partisan du sionisme extrémiste. Il représente une déception pour tout arabe non algérien.

Un an après notre rencontre à Paris qui était pleine de déception, JP Sartre est décédé. J’ai ressenti une grande tristesse. 

Edward Saïd

La trahison des intellectuels

Jean Paul Sartre et les Arabes.

Traduction de l’anglais à l’arabe : Asaad Mohammad AL-Hussein.

De l’arabe au français : Mahmoud Gabsi.