Texte posté le 27 novembre 2004 sur le forum Taht Essour
Bonjour à tous,
Je me permets de me présenter à vous comme étant la fille aînée de M. BEN ABDELMALEK Hamadi,
Dernièrement et comme vous le savez il a été transféré à prison civile de sousse à Messadine code postal 4013 sous le numéro 1465 et où il croupit dans la chambre 13 avec des détenus de droits communs en arrestation, mon père se plaint depuis la date de son transfert càd fin mois d’août des conditions maussades dans lesquelles il est, bruitage jusqu’à des heures tardives de la nuit ce qui le prive de sommeil il n’arrive à s’assoupir que quelques heures vers 3ou 4heures du matin, en plus de ça il n’arrive plus à respirer tellement ça pue les cigarettes mise à part bien sûr le langage bien ettofé de certains prisonniers qui n’ont aucune scrupules et qui ne prennent pas en considération son âge avancé.
Tout ça bien sûr sous l’oeil attentif des dirigeants de la prison car à maintes reprises nous lui avons fait savoir de ces conditions insupportables la seule réponse qu’on a eu c’était je cite “il n’est pas dans un hôtel” et “on verra ce qu’on pourra faire” et qu’est ce qu’ils ont fait ? RIEN !!! et ne feront RIEN !!!
Dernièrement ma famille m’a fait savoir que le mardi jour de notre parloir papa a refusé le couffin et refusé de sortir les voir car ils l’ont laissé attendre pour je ne sais quelles raisons ce qui l’a rendu furieux. Ce qui m’inquiète c’est que papa s’est mis dans la tête que le seul issus c’est de rentrer dans une grève sauvage et le connaissant très bien il ne reculera pas de sitôt nous avons vraiment peur pour son état de santé.
Tout ce qu’il souhaite c’est être transféré dans une autre chambre c’est tout il ne demande pas la lune à ce que je sache.
dans ce qui suit j’ai pris le soin de dactylographier un extrait d’une lettre ancienne à mon père datée du 25 mai 98 lorsqu’il était encore à la prison civile de 9 avril.
Bonne lecture à tous :
« J’espère de tout cœur mes enfants, à tous la réussite, la joie et le bonheur. Je suis bien fier et même orgueilleux de posséder des fils et filles tels que vous. Mes enfants, il arrive un jour, voyez vous, et il arrive de bonne heure pour beaucoup où c’est fini, comme on dit, parce que derrière tout ce qu’on regarde, derrières les grilles, c’est la mort qu’on aperçoit et qu’on attend. Si je passais mes doigts sur les traces de ma vie, j’y ramasserais la poussière de mes anciennes illusions, de ma tendresse inutile et de ma jeunesse perdue. Oui toute cette détention m’a émietté la vie, elle a accompli doucement et terriblement la longue destruction de mon être, seconde par seconde, loin de vous, de ma famille maintenant. Je me sens en tout ce que je fais, chaque pas, chaque mouvement, chaque souffle m’approchent d’elle et hâte son odieuse besogne. Respirer, dormir, boire, manger, rêver tout ce que je fais c’est mourir. Vivre enfin c’est mourir pour moi, la mort seule est certaine. Mais je sens l’effroyable détresse des désespérés : je me débats éperdu dans les incertitudes de ce monde. Je crie à l’Aide de tous les côtés et personne ne me répond. Mes chers enfants, vous êtes mon salut et mon havre : on roule des années et des années à travers la solitude inféconde et on découvre enfin la solitude fleurie qu’on cherchait. Dieu merci ! Grâce à vous toutes ces idées noires et pessimistes s’envolent, se dissipent, se déchirent, car vous êtes ma continuation. A vous je tends les bras et j’appelle pour être secouru, aimé, consolé, sauvé, à quoi se rattacher ! Vers qui jeter des cris de détresse et d’espoirs ! Deux mots lus quelque part, traversent ma mémoire affaiblie : Fontaines de pitié…je m’abandonne au doux plaisir de pleurer, fontaines de pitié, mais rien ne sort, même les larmes ne jaillissent point, je ne parviens même pas à me détendre, les nerfs me tourmentent.
Ma survie tient à votre réussite, mon salut aussi que Dieu vous garde et vous donne la force, le courage et la foi. »
Nous sommes là et serons toujours là pour toi papa.
Ce n’est peut être qu’une lettre comme toutes les autres lettres,
Ce n’est peut être qu’un cri de détresse comme tant d’autres,
Mais ce dont je suis sûre c’est que c’est le résumé de mon indignation.
Le 3 octobre c’est la date de mon anniversaire, si vous m’aviez demandé s’il y aurait quelque chose qui m’aurait fait plaisir je vous aurai répondu « oh que oui » ? rien ne me ferait autant plaisir que de serrer fort mon père, poser ma tête sur son épaule, l’embrasser tendrement et ne plus le lâcher c’est la seule chose qui me tient tant à cœur depuis plus de 13ans. Ça paraît simple et pourtant c’est utopique oui ça tient de l’utopie car la réalité dans laquelle nous vivons a fait qu’on soit séparé de l’être le plus cher à nos cœurs. C’est une séparation forcée du moment où papa a été condamné pour une peine de 46 ans. 46 ans ? Vous penserez peut être que c’est une peine équitable pour quelqu’un qui a commis un crime odieux, dans ce cas il mérite ce jugement ?
Non détrompez vous, ce n’est pas le cas. Il n’est même pas capable de faire du mal à une mouche. Plus honnête que papa vous n’en trouverez pas par milliers. C’est une personne réputée pour sa droiture ainsi que sa loyauté. Malgré cette évidence il a bel et bien subit l’infamie de la détention pénitentiaire.
Au nom de qui ou au nom de quoi cela est-il possible ? On m’a dit que c’est au nom de la justice ! C’est la justice qui a fait que ce soit ainsi, c’est la justice qui a séparé des enfants de leur père, c’est cette même justice qui a fait en sorte que leur vie ne soit plus ce qu’elle était, c’est cette justice qui est la cause de cette détention cruelle (46ans) basée sur des oui dires de personnes malhonnêtes puisque jusqu’à ce jour aucune preuve n’a été présentée pour inculper mon papa et légitimer ce jugement abusif.
Mais cette justice n’est pas juste ! Certes elle ne l’est pas mais c’est la justice.
Tu parles ! C’est de l’injustice dissimulée sous le masque de la justice.
Ce maudit samedi 25 janvier 1992 je n’avais que 12 ans quand tu as été emmené de chez nous et depuis tout a basculé il fallait affronter la rude réalité, laisser sa vie d’enfant derrière soi et apprendre à devenir adulte. Depuis cette date décisive bien des choses se sont passées : des personnes qui nous sont chères nous ont quittées, il y a eu des mariages, il y a eu des naissances, il y a eu des réussites, il y a eu des épreuves de la vie qu’on a dû affronter…bref il y a eu « un jour la joie, un jour la tristesse, tous les jours le sourire » mais ce dont je suis certaine c’est que depuis ton incarcération on n’a plus vécu un bonheur total, ta place est restée vide. On a continué à vivre ou plutôt essayé de survivre avec une part de nous emprisonnée derrière les barreaux de la prison 9 avril. La prison est devenue en quelque sorte notre « résidence secondaire » on s’est habituée à elle comme elle s’est habituée à nous sans pour autant accepter cette situation.
Je viens d’avoir 25ans et pourtant j’ai passé plus de la moitié de ma vie loin de ce père que je chéris tant. Combien de temps devrons nous encore attendre pour recevoir le plus beau des cadeaux : la libération de papa ? Jusqu’à quand ? Le temps passe et brûle des étapes de notre vie, d’autant plus que mon père n’est plus en mesure de pouvoir supporter ce calvaire de part son âge avancé et de part son état de santé qui n’a cessé de se détériorer depuis ton incarcération.
Je ne vous cache pas ma peur pour son état de santé, puisqu’il souffre d’une hypertension artérielle extrêmement sévère nécessitant une surveillance régulière ainsi que la prise de médicaments adéquats. Dernièrement il a été muté à la prison de Sousse. Il n’est même pas mis dans une infirmerie sous prétexte qu’elle n’est pas aménagée : comment est ce que les autorités pénitentiaires peuvent muter un prisonnier malade et souffrant et d’un certain âge vers une prison qui manque des aménagements nécessaires que cherchent-ils à nous faire passer ? Que cherchent-ils à faire ? À précipiter sa mort ? Excusez mes idées noires mais je pense sérieusement ce que je dis nous avons toujours essayé de dédramatiser la situation mais ça ne sert à rien de se voiler la face et de se cacher la réalité des choses. Eh oui c’est la vérité de ce qui se passe derrière les tristes murs de nos prisons : on prive des prisonniers malades des soins adéquats juste pour les punir !!!
Je vais passer la main sur tout ce que nous avons enduré jusque là car on m’a appris qu’il ne faut pas se lamenter sur son sort de toute façon ça ne va nous mener à rien de le faire et plonger dans le passé risque de remuer des plaies non encore guéries ça revient à remuer un couteau dans une plaie et ça fait mal, nuit et jour nous souffrons de cet éloignement. Je ne pardonnerai jamais ce qui nous a été infligé et je ne l’oublierai jamais.
Des jours, des semaines et des années sont passés et rien n’a changé chaque fête n’est qu’un surplus de peine pour nous, même si avec toute la volonté du monde on s’efforce d’être joyeux, heureux ce n’est pas vrai car ce n’est que le paraître puisque le cœur n’y est pas.
Je sens une haine immense en moi et croyez moi ça fait mal, ça fait mal d’avoir mal. On dit que le bonheur est à portée de main on n’a qu’à tendre la main pour l’attraper quoi de plus facile et si j’essayais on ne sait jamais ! Ça pourrait marcher ! Du moins je l’espère, j’ai suivi ce conseil et j’ai tendu la main chaque jour de parloir (seul jour où on peut voir papa) je l’ai tendue cette main à maintes reprises mais y avait un grillage qui m’empêchait d’atteindre mon bonheur qui m’empêchais d’atteindre mon papa, ce maudit grillage de la prison civile comme je le hais il nous a gâché la vie.
Depuis la détention de mon papa ma mère n’a cessé d’envoyer des lettres à droite et à gauche aux autorités tunisiennes mais en vain. En effet toutes ces requêtes sont restées des lettres mortes n’ayant fait aucun écho, à aucun moment nous n’avons eu d’autres réponses que le silence. Mon père de son côté n’a trouvé que le langage des requêtes pour élever sa voix et faire passer son angoisse et ses cris de douleurs et de détresse mais malheureusement pour lui ses lettres ont eu le même sort que les autres. Apparemment il y a des personnes consciencieuses qui veillent à ce que ces lettres n’arrivent pas à destination sinon les choses auront changé depuis X temps.
Une citation me viens à l’esprit d’ailleurs je ne sais plus de qui elle est : « au pays du rêve, nul n’est interdit de séjour » c’est vrai je peux rêver de revoir mon papa parmi nous, rêver de le voir passer le seuil de la porte de chez nous, je peux rêver de le serrer dans mes bras, je peux même rêver de parler avec lui sans qu’il y ait de surveillance, voire rêver de le voir assis parmi nous à table, rêver de redonner sourire à ma petite sœur qui, à l’époque avait 3 ans, rêver de se lever un beau matin et ne plus apercevoir ce voile de tristesse sur le visage angélique de cette jeune fille, revoir briller ses beaux yeux de joie et de bonheur, rêver même de revenir 13 ans en arrière….Si seulement je pouvais… mais non je ne peux pas car tout ça ne reste que des rêves qui ne se réaliseront peut être jamais.
Ce n’est pas pour autant que je perdrai espoir. L’espoir qui, malgré cette peine, ne s’est pas dissipé et heureusement pour nous d’ailleurs car comme l’a dit DE GAULLE « La fin de l’espoir est le commencement de la mort » non je ne suis pas encore morte donc je ne baisserai pas les bras et je ne m’arrêterai pas de rêver et d’espérer, il faut aller au bout de ses rêves, mon rêve pourra prendre forme un jour, ce rêve me donne des ailes et la force de croire à un demain meilleur : une vie de famille normale aux côtés de mon père, ma mère, mes frères et ma sœur.
Je ne demande pas grande chose, je ne demande pas non plus l’impossible ni l’irréel mais seulement que justice soit faite : je souhaite que tout redevienne comme avant revivre en famille comme dans le bon vieux temps ; est-ce trop demander ?
Je ne le pense pas.
Alors que JUSTICE soit faite.
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