Le mécontentement est grandissant dans le milieu des jeunes intervenants sur les forums de discussions. D’un côté, ils observent avec amertume et impuissance la dérive de plus en plus autoritaire du régime, et de l’autre ils suivent les épisodes de la déroute de l’opposition tunisienne.
Qu’il soit sur les pages du forum TUNeZINE ou celles de Tunisnews et de Tunisia2003, le désenchantement a laissé la place à l’exacerbation ; et l’indifférence à la colère. Avec l’information concernant la Rencontre d’Aix-en-Provence, il est devenu de plus en plus pénible de dissimuler le désarroi, voire le découragement, chez tous ceux qui avaient espéré voir s’amorcer un front de salut national. Hâtée, mal informée, louche, mais porteuse d’un rêve, peut-être trompeur, qui nous a pourtant longtemps caressés, celui de rassembler les divers partis et organisations de la société civile, la Rencontre, prévue pour cette fin de semaine, avait trompé plus d’un, à commencé par l’auteur de ces lignes, au point que le fameux RCDiste, Dédé, l’ange gardien du régime, assidu sur le forum de TUNeZINE, avait secoué ce qu’il a appelé ma « naïveté politique », celle de voir se rencontrer les « acteurs » de la société civile.
A-t-on vraiment tort d’espérer une telle conciliation nationale ? Bien sûr que non. L’optimisme, même dans les moments les plus sombre, est le moteur de la vie. Pourquoi donc nous – les jeunes indépendants- considérons ces coquilles vides que sont les partis comme des cas désespérés, incapables de faire avancer les choses ? Pourquoi n’a-t-on jamais entendu parler d’un quelconque changement à la tête des partis de l’opposition tunisienne se réclamant de la démocratie ? Y a-t-il une carence au niveau des ressources humaines ou bien au niveau de la culture démocratique ? Peut-on combattre la dictature avec ses moyens ?
Favoritisme, soif du pouvoir, insensibilité, élitisme, arrogance et prétention ne sont-elles pas les maux que partage le régime avec ceux qui sont censés le combattre ? Pourquoi, les représentants de la société civile préfèrent-t-ils être des invités d’honneur des émissions télévisés, des conférences et des colloques que d’être à l’écoute de leurs concitoyens ? Combien de fois à-t-on invité les leaders de l’opposition de venir discuter sur le forum de Tunezine ? Hormis S. Karker, M. Yahyaoui, Mondher Sfar et quelques autres rares figures de la diaspora, pourquoi le reste de ces « personnalités publiques » déclinent-ils l’invitation et refusent-ils le débat ? Est-ce que l’opinion publique internationale, et en moindre mesure les chancelleries occidentales, aux quelles ils paraissent être dévoués corps et âmes, sont plus importantes que l’opinion de la jeunesse tunisienne ? Pourquoi réservent-ils du temps à une chaîne de télévision espagnole ou à un colloque italien alors qu’ils se fâchent lorsqu’un jeune tunisien (Tsar Boris) leur pose de la façon la plus directe une série de questions qui nous concernent tous ? L’audimat, cette nouvelle obsession de l’opposition tunisienne et des représentants de la société civile, est tout sauf tunisienne, pourquoi ?
A lire les réponses retournées de la manière la plus déchaînée et la plus désagréable au questionnaire de Tsar Boris adressé aux petits dictateurs de l’opposition, ces pastiches de Zaba, on n’a plus aucun doute sur la nature de la culture qui prévaut au sein des cercles, ô combien restreints, de ces partis ou ces « sociétés privées » selon les termes de Abdo Maalaoui [1]. Cette coquille vide, nommée opposition tunisienne, s’abreuve de la même source que la dictature : la culture de l’autoritarisme, le culte de la personne et le mépris du peuple. La transition vers la démocratie ne peut s’effectuer sans l’ancrage des valeurs démocratiques dans les têtes même des leaders des partis et des représentant de la société civile. Comme l’a bien rappelé Abdel Wahab Hani : « ce n’est certainement pas en adoptant la culture de la dictature qu’on va pouvoir la débobiner. » [2]. On n’a jamais vu ces étoilés de la politique descendre de leur tour pour aborder les sujets avec les jeunes des forums.
Ghannouchi, à la tête de son parti, depuis déjà un quart de siècle, malgré ses échecs consécutifs, nous raconte encore et encore le mythe de l’Etat islamique de la Médina ; Marzouki s’emporte du questionnaire de Tsar Boris comme si un intrus avait violer son harem politico-intellectuel ; Ben Sedrine est embauchée à plein temps dans les émission télévisées pour sensibiliser l’opinion publique internationale oubliant que l’enjeu essentiel réside dans l’opinion publique tunisienne ; Hammami était plus intéressant lorsqu’il était mystifié par sa cachette et l’épisode de sa cavale surréaliste ; Charfi, encore obnubilé par les honneurs du ministère, les salons des hôtels luxueux et les mensonges de sa « pensée réformiste » n’a pas encore réalisé la gravité de son parcours comme lieutenant idéologique de Zaba.
Les partis de l’opposition et les défenseurs des droits de l’homme qui cherchent le soutien dans les capitales européennes n’ont pas encore compris que ce chemin ne mène nulle part. C’est le chemin vers le cœur et l’esprit de la jeunesse tunisienne qui nous garantira la réussite. Et le chemin vers notre jeunesse doit se faire par le biais d’un discours jeune, vierge, hardi, désintéressé, frais et rebelle. Il faut qu’il y ait toujours quelqu’un pour répondre aux gens, puis pour évaluer les idées discutées et pourquoi pas pour faire le suivi et mettre en œuvre les suggestions émises lors des débats. Nous sommes convaincus de la nécessité d’une politique de terrain. Et si le terrain intérieur nous est interdit par Zaba, le terrain extérieur dont le terrain virtuel qu’assure Internet, nous permet d’exercer le principal droit/devoir démocratique qu’est le débat. Il faut investir dans le débat. Il est inacceptable qu’on abandonne des groupes entiers de jeunes engagés dans l’action politique, épris de l’amour de leur patrie et concernés par le sort de leur pays.
La démocratie participative suppose d’être toujours à l’écoute des gens. Le plus important c’est que les gens puissent parler – ce qui est entrain de se produire de plus en plus-, que ceux qui se sont hissés à la tête des formations de l’opposition les écoutent et discutent avec eux. Les chefs des partis de l’opposition, ces miniatures de la dictature, sont les premiers responsables de leur propre débâcle. Faire porter la responsabilité au régime de Zaba n’est qu’une tromperie d’une opposition ghettoïsée par ses propres procédés élitistes.
Travailler pour produire une culture de refus et de dialogue. Jeter les ponts entre la vieille et la nouvelle génération de militants avant qu’il ne soit trop tard. Lire les interventions des jeunes, apprendre à les lire humblement, écrire des réponses, intervenir sur les forums de discussion. Oser poser les questions qui font mal, celles qui éveilleront les âmes de nos cités somnolentes. Oser affronter le visage de notre quotidien : la vulgarité, l’insolence et l’irrespect qui caractérisent, malheureusement, notre social. Oser réinventer la littérature politique, la littérature qui dérange, celle qui fait peur aux gardiens de l’Ordre. Ce sont là les missions primordiales des partis de l’opposition tunisienne.
Tout peuple qui n’a pas produit une classe de révolutionnaires illuminés et courageux est un peuple condamné à la servilité et à la misère. Une classe d’intellectuelle qui n’a pas produit une culture de refus et de contestation et des penseurs qui osent critiquer et mettre tout sous la lumière de la question et du doute est une classe corrompue qui se recrute au milieu des arrivistes et des dictateurs-apprentis. Notre peuple non seulement est humilié par ses gouverneurs, mais aussi par les leaders de l’opposition et les soi-disant intellectuels, ces avants gardes de la culture des salons qui n’ont pas encore appris à aimer le peuple, à s’adresser à ses forces étouffées et à leur faire confiance. Chaque Tunisien et chaque être humain a un penchant vers la liberté et la dignité. Il faut savoir l’éveiller, le remuer et le réactiver. Comment attitrer l’attention de notre peuple qui a pourtant l’air d’être nonchalant ? C’est une question qui doit circuler entre nos cœurs et nos têtes, car nous avons besoins d’ajouter une graine de sentiment à notre raisonnement et une graine de raison à nos sentiments. Nous avons besoin d’apprendre l’amour de notre prochain.
L’histoire de l’humanité nous l’a démontré : un peuple qui n’a pas produit une élite illuminée et autocritique n’est pas apte à se redresser ; une élite qui n’a pas produit un art, une culture et un discours qui associe le peuple et s’adresse avec amour à son âme n’est pas apte à représenter la volonté de renaissance et de changement.
Notes :
[1] Chefs des Partis de l’Opposition : C’est assez !Abdo Maalaoui (Montréal, Canada)TUNISNEWS N° 1094 du 18.05.2003.
[2] Un minimum de sérieux, de respect et de transparence ne fait pas de mal, par Abdel Wahab Hani, le soir du 19 mai 2003.
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