Par ALEXANDRE HABAY

Souce : 24heures (Lausanne, Suisse), www.24heures.ch

TUNISIE. L’incarcération de M e Mohamed Abbou mobilise le barreau. Les opposants veulent faire de son procès celui d‘une justice sous contrôle.

Des avocats en colère, enchaînant les grèves, manifestant lors d’un sit-in permanent et dispersés à coups de matraque : les scènes qui se jouent depuis plusieurs semaines devant le Palais de justice de Tunis sont inédites. Le procès de Me Mohamed Abbou, qui s’est ouvert hier, mobilise tout le barreau et les défenseurs des droits de l’homme.

De nombreux observateurs internationaux, dont des diplomates et des juristes suisses, ont fait le déplacement. Cet avocat connu pour son combat pour les libertés a été « enlevé » le 1er mars dernier, selon les termes de ses défenseurs. Poursuivi notamment pour « propagation de fausses nouvelles », pour avoir comparé les prisons tunisiennes à Abou Ghraïb (n.d.l.r. : la fameuse prison irakienne au cœur d’un scandale l’an dernier) dans un texte publié sur internet, il risque plusieurs années de prison. Selon ses défenseurs, c’est un autre écrit, comparant le président Ben Ali et Ariel Sharon, qui a motivé l’arrestation. L’annonce de la visite du premier ministre israélien en Tunisie, à l’occasion du Sommet mondial sur la société de l’information, avait déclenché une vague de protestations dans le pays, durement réprimée.

Public filtré, tentatives de refouler des opposants, bousculades : le procès a débuté sous haute surveillance. L’audience a ensuite été marquée par de nombreuses interruptions. Les avocats ont notamment entonné l’hymne national tunisien, provoquant le retrait de la Cour. La défense a demandé que les différentes affaires concernant Me Abbou soient jugées séparément. Le prévenu est également accusé d’avoir « agressé » une consœur proche du pouvoir lors d’un meeting. La défense conteste l’authenticité des certificats médicaux présentés par la plaignante. « Ils ont ressorti cette vieille affaire qui avait été classée sans suite », fulmine Ayachi Hammami, l’un des défenseurs de Mohamed Abbou, joint à Tunis.

L’honneur de la profession

« Tous les droits de la défense ont été violés depuis l’arrestation », poursuit-il. A titre d’exemple, l’avocat raconte une scène qui s’est déroulée au Palais de justice. Le lendemain de l’incarcération, le bâtonnier de Tunis se présente au bureau du magistrat en charge de l’affaire pour se plaindre de l’irrégularité de la procédure. « Il a été insulté et menacé physiquement par le juge d’instruction en présence du procureur, vous imaginez ! La profession est humiliée. C’est le procès de tous les avocats. » Les robes noires sont plus de 800 à soutenir leur confrère. La fronde va en effet bien au-delà des cercles traditionnels de l’opposition tunisienne. « Même des avocats membres du parti au pouvoir participent à la protestation », explique Me Ayachi Hammami. A quelques mois d’un sommet international consacré à l’information organisé à Tunis, ce procès pour des écrits publiés sur internet pourrait être gênant pour le régime. « Certains pensent que la peine sera légère pour qu’il puisse sortir juste avant la tenue du sommet, analyse Chokri Hamrouni, membre du Comité international pour la libération de Mohamed Abbou. En tous les cas, l’opposition tunisienne entend profiter de ce cas « exemplaire » pour faire le procès d’une justice « aux ordres ». « Les avocats constituent le dernier bastion de la résistance en Tunisie. »