Je viens de lire les réflexions signées par un certain Menarfezz « A l’attention de M. H.Hamdi », parues dans Tunisnews du 20 mai 2005. Je pense qu’il a dit l’essentiel de ce qu’il faut répondre à M. Hamdi sur son initiative de « réconciliation », et je le remercie pour cette analyse limpide qui permet de mettre toutes choses à leur place.

J’ajouterais ceci :

M. Hamdi explique : on m’accuse de faire du business avec l’affaire des prisonniers, alors que j’ai été « le plus célèbre écrivain et journaliste tunisien qui s’est engagé dans cette affaire depuis 1993 de façon secrète, et ouvertement depuis ma rencontre avec Ben Ali en 1998, ce qui a permis les libérations qui ont eu lieu, etc. » Et emporté par cet élan enthousiaste M. Hamdi se permet d’en conclure : « Si certains des critiques radicaux de Ben Ali lui en avaient donné la possibilité et avaient tempéré leur opposition et leurs perturbations (sic !), l’affaire (des prisonniers) aurait probablement été totalement réglée depuis de nombreuses années. »

M. Hamdi, réveillez-vous, vous êtes en train de délirer ! Je vous rappelle amicalement qu’avant vos engagements depuis 1993, ou votre rencontre avec le criminel Ben Ali en 1998, c’était toute la Tunisie avec toutes les composantes de son opposition qui a acclamé – y compris moi-même – ce dictateur le matin du 7 novembre 1987, parce qu’il a promis la liberté et la dignité pour les Tunisiens. Mais, quelques jours après, il torture jusqu’à ce que mort s’en suive, un groupe d’islamistes qui lui a tendu la main, après avoir eu la possibilité de l’exécuter. Ils y ont renoncé par souci du bien pour la Tunisie, mais leur geste qui aurait du être récompensé, l’a été à la façon de Ben Ali : par un crime effroyable.

Et depuis, tout à l’avenant : un pacte national a été conclu avec toute l’opposition, Ben Ali l’a lâchement trahi aussitôt après, jusqu’aux élections de 1989, un coup de maître dans la lâcheté, puisque l’objet réel de ces élections était de révéler les sympathisants des islamistes, aussitôt raflés et torturés par milliers à travers le pays et ce mouvement n’a cessé jusqu’à l’heure où nous écrivons ces lignes.

Des démocrates de gauche se sont mis (ou ont continué) à le servir. Il les a écrasés à leur tour un peu plus tard, sans ménagements.

Depuis, et à plusieurs reprises, des voix se sont élevées pour dire à Ben Ali : nous sommes prêts à vous garantir par écrit une présidence à vie, pour vous, pour votre Leila Trabelsi et pour vos descendants jusqu’à la fin des temps, seulement, mettez fin à la torture, rendez aux Tunisiens leur dignité d’êtres humains, mettez fin aux prisons mouroirs, lâchez les prisonniers politiques, instaurez une justice digne de ce nom, laissez-les parler librement, discuter entre eux, dire leur opinion sur la conduite des affaires publiques, etc. Ben Ali est resté obstinément sourd à cette offre.

M. Hamdi, de quelle réconciliation voulez-vous donc parler ? Ou plutôt : dites-nous comment peut-on et comment est-il possible d’être plus conciliant ? Est-ce bien nous qui refusons de « tempérer notre opposition à Ben Ali », ou bien c’est « Ben Ali qui refuse de tempérer son opposition à nous » ? Est-ce nous qui sommes les auteurs de perturbations (tashwish), comme vous le dites un peu cavalièrement, ou bien c’est lui qui fait pire : il persécute encore de nos jours et de la pire des manières l’opposition quelle qu’elle soit !

Voulez-vous que je vous dise comment on peut-être plus conciliant que cela : la seule possibilité est d’adhérer au RCD. C’est-à-dire accepter la dictature, et se livrer à de la propagande en sa faveur.

Je vous propose quelque chose de concret, cher M. Hamdi : puisque vous avez vos entrées auprès de Ben Ali et de Leila, pourquoi vous ne leur proposez pas ce que je viens de vous dire : toute l’opposition s’engage à signer une convention avec lui pour lui donner la présidence de la République à vie à lui et à ses descendants et ce jusqu’à la fin des temps, et ce en contre partie des libertés, de justice réelle et de l’interdiction de toute forme de torture. Ce sera l’occasion de prouver votre bonne intention. Si Ben Ali refuse, alors vous devez nous joindre dans la lutte que nous menons contre lui et dans le ( tashwish ) que nous lui faisons. Autrement, vous ne pourrez plus nous raconter des histoires. Je souhaiterais que vous rendiez public le résultat de votre démarche, si vous êtes véridique.

Quant à l’initiative démocratique, je suis pour que l’opposition proclame haut et fort et en des termes sans ambiguïté notre attachement sans faille et sans réserve à la dignité de l’homme, à l’inviolabilité de son corps et de son esprit, comme le dit si bien M. Chadly Ayadi, exprimer notre attachement à la liberté de pensée et de croyance et d’expression, quel que doit le régime qui nous gouverne. Ce pacte, j’en suis sûr, constituerait un outil d’un grand secours dans notre lutte contre la dictature.

Paris, le 21 mai 2005

Mondher Sfar

msfar@wanadoo.fr