Après plus de six mois d’une lutte acharnée pour la vie, Salah Karker, le miraculé de Digne-les-Bains, rentre à la maison. Il a passé sa première nuit entouré des siens, unis dans la joie et la sérénité, dans leur modeste appartement d’Eaubonne, dans le Val d’Oise, en banlieue parisienne. Cela fait plus de 12 ans que les Karker n’ont pas vécu pareilles retrouvailles. Salah est enfin chez lui, comblé par l’amour d’une femme magnifique, qui a toujours été à ses cotés, de tous les combats, et de ses enfants qui ont tant souffert, tant en Tunisie, leur patrie, qu’en France, leur patrie d’adoption.
Victime d’une attaque cérébrale, survenue tôt dans la matinée du 15 janvier 2005, dans sa chambre d’hôtel dans la petite ville reculée des Alpes de Haute-Provence, où il avait atterri une décennie auparavant, en provenance d’Ouessant, l’île bretonne la plus sauvage des côtes françaises, premier lieu de son assignation, décidée en 1993 par Charles Pasqua. Salah Karker bat ainsi le record en matière d’assignation à résidence en France.
Figure histoirque de l’islmaisme tunisien, le miraculé de Digne a été catalogué radical par les services de Ben Ali, ainsi que par certains de ses anciens compagnons de route. Il prit ses distances avec le mouvement qu’il avait co-fondé dans les années soixante-dix, avant d’être limogé, puis d’en être exclu, par Rached Ghannouchi. Ce dernier est, de fait, l’un des rares fondateurs encore aux commandes du Mouvement Nahdha, anciennement Mouvement de la Tendance Islamique (MTI). Salah Karker ne semble pas regretter cette rupture. “Cela fait partie du passé” lançait-il au journaliste et écrivain Tahar Labidi. Avec le recul du temps, il semble brasser de nouvelles idées et évolutions, en se rapprochant de plus en plus des positions de son ancien détracteur et son antithèse, le premier fondateur du mouvement, l’avocat Abdelfattah Mourou. Ce dernier avait annoncé son retrait, suite à ce qu’il qualifiait de “dérives graves”, au début de l’année 1991. Le régime de l’Infâme avait alors profité de l’occasion des erreurs de calcul et des dérapages incontrôlés d’une base agitée, pour exterminer une force politique pacifique, interdire toute expression libre, verrouiller et scléroser la vie politique.
Salah Karker est aussi connu pour ses écrits et sa participation aux débats du net tunisien, aux cotés du juge Mokhtar Yahyaoui. Des échanges assez nourris et parfois houleux, en compagnie du jeune cyber-dissident, feu Zouhair Yahyaoui, entre autres. Il avait même lancé un magazine électronique bilingue : Al-Mounadhil/Le Résistant. Il avait aussi rédigé un programme politique, connu sous le nom du “Programme de Monsieur Salah Karker”, couvrant l’ensemble des aspects politiques, économiques, sociaux, culturels et stratégiques.
Après avoir été montré du doigt, par presque tous, le miraculé de Digne semble être amnistié par l’histoire. Le danger n’est pas dans tel ou tel opposant politique, dit occasionnellement radical. Le danger est ailleurs, dans les dérapages de la mouvance djihadiste internationaliste, qui se dit accessoirement islamiste, et qui n’a pas de revendications politiques réelles, parce que informe et n’ayant pas de territoire national, dans le vrai sens politique. Ce qui fait qu’elle agit d’une manière aveugle, non discriminatoire, pour faire mal, mais toujours sans aucune perspective politique. Bref, la définition même du terrorisme aveugle, n’ayant d’objectif que de propager et d’entretenir la peur.
Et après ce retour à la maison… :
Les trois questions qui se posent aujourd’hui, à Salah Karker, sont les suivantes :
Primo : Est-ce que la France va lever la mesure indigne, pour un malade miraculé, d’assignation à résidence, prise en 1993, par Charles Pasqua, dont on sait maintenant les ralations privilégiées avec les autorités anti-démocratiques, malheuresement toujours en place, à Tunis ? Le fils Pasqua ayant obtenu la nationalité tunisienne, par les faveurs du bunker de Carthage… Ainsi, il a même eu le luxe de refuser de comparaître en France devant les juges qui le soupçonnent depuis longtemps. Son avocat se cache derrière cette nationalité pour expliquer l’attitude de son client de se soustraire à la justice…
Mais il faut reconnaître que cette mesure a aussi été prise dans un contexte, particulier et aujourd’hui caduc, d’extrême tension en Algérie, après l’entrée en dissidence armée du Front Islamique du Salut (FIS) pour contrecarrer la privation des militaires de sa victoire électorale aux législatives de 1991. Certains milieux en France pensaient alors qu’il fallait tout faire pour écarter l’avènement d’une quelconque perspective islamiste au Maghreb. Les services de l’Infâme de Carthage ont joué sur la peur hexagonale pour diaboliser l’opposant Karker. Ils ont aussi tenter le faire avec l’opposant Bannani en Belgique et l’opposant Ghannouchi à Alger, Khartoum, puis Londres.
La France, l’Europe et les USA semblent aujourd’hui attirés par une autre idée qui est celle de faire participer l’islamisme politique, au vrai sens politique du terme, dans la perspective de la lutte contre le terrorisme du djihadisme islamiste internationaliste, n’ayant pas de territoire, au sens politique du terme. Le pendant de cette stratégie serait alors l’accélération des réformes politiques dans le monde arabe et la participation des forces islamistes dans une vie politique “démocratisée”. Bref, une sorte de perspective politique participative pour l’Islamisme, pour éviter qu’il bascule dans le radicalisme djihadiste. C’est ce qui ressort du moins des analyses et recommandations des différents thinks tanks américains, ces fameux centres de conseil, de prospective et d’études stratégiques, qui pullulent outre-atlantique.
Secondo : Comment l’opposant Karker va gérer sa contribution au débat politique et philosophique de l’opposition tunisienne, après s’être attaqué à nombre de figures de cette même opposition qui l’a dignement soutenu dans son épreuve ? Comment va-t-il participer avec ses concitoyens à l’édification du vivre ensemble dans le respect de la différence et la solidarité de l’appartenance commune à la même terre et la même culture.
Son ancien co-fondateur et aujourd’hui co-démissionnaire du même mouvement, l’avocat Mourou, fin politicien, a défini, pour le moment, le rôle des anciens, “dans le témoignage, pour apporter (leur) regard sur l’histoire et laisser la place aux jeunes”. Selon ses propos tenus à Ahmed Gaaloul, de Aqlam-on-Line après près de quinze longues annèes d’un silence imposé.
Comment Karker, ce “clever”, politique, pour reprendre un terme anglais intraduisible, comment va-t-il faire face aux nouvelles techniques de désinformation et de manipulation, mises en place par les officiers de résevre du renseignement militaire, sous l’autorité directe du bunker de Carthage et de son prisonnier éternel, l’Infâme en personne ?
Tertio : Est-ce que les anciens frères ennemis d’hier, Mourou (le modéré), Ghannouchi et Karker (le radical), vont se retrouver pour replacer l’islamisme tunisien dans sa perspective politique après les ravages du djihadisme internationaiste ? Est-ce que l’élite tunisienne, au pouvoir et dans l’opposition va accepter de revoir sa copie, qui a souvent consisté à diaboliser, tous azimuts, l’islamisme politique tunisien, d’autant plus que la mouvance de Ben Laden arrive à recruter chez les jeunes tunisiens, dans l’absence de l’encadrement religieux, intellectuel, politique et parfois même social, assumé alors par le MTI. Les assassins de feu Le Commandant Massoud furent deux gamins tunisiens recrutés on ne sait où. Le terroriste qui a mis le feu à Madrid est aussi tunisien, pour ne citer que les plus meurtriers d’entre eux. Et tout ce monde n’a aucun lien avec le MTI ni Nahdha ni aucune représentation politique nationale de l’islamisme.
C’est plutôt le produit de ce caractère informe, né du vide, ce même vide créé par la dictature.
Que Salah, sa femme et ses enfants trouvent ici l’expression de notre considération et de nos encouragements pour un prompt rétablissement, pour un retour à la chère patrie, jour de notre vraie joie, à nous tous, militantes et militants de la diaspora, de la première et deuxième génération.
Abdel Wahab Hani
Paris, le 23 juillet 2005
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