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Voici les contributions pour ce 25 juillet 2005 :

-  Quelle République, celle des sots ou des républicains ? L’édito par Nawaat.org

-  Tunisie aux tunisiens, par Larbi Guesmi

-  La République de demain [Flash] par Sami Ben Gharbia

-  Juste elle [Flash] par Astrubal

-  Retour aux sources [Flash] par Astrubal

-  La Prison Tunisienne [Flash] par Mistral

-  Le simulateur de la République [Logiciel] par nawaat.org


 

Quelle République, celle des sots ou des républicains ?

Exiger la libération des prisonniers politiques, persévérer à dénoncer avec la plus grande vigueur toutes les exactions du régime dictatorial, ne jamais cesser de relayer toutes les dénonciations tant nationales qu’internationales relatives aux pratiques de l’actuel régime, etc. tout ceci ne sera jamais suffisant pour œuvrer en faveur de la restauration de la République. Et même si demain l’on obtenait la démission de Ben Ali, rien ne changera pour autant.

Aussi, et parallèlement à l’urgence ponctuelle de la libération inconditionnelle des prisonniers politiques, la constitution d’un front uni pour une alternance institutionnelle relève, tel que du reste beaucoup le constatent régulièrement, de l’intérêt supérieur de la Nation.

Or, parmi les reproches faits à l’opposition démocratique, c’est le fait de faire peu de cas de cet intérêt supérieur de la nation que représente l’action efficace pour une République démocratique. Cela fait maintenant plus d’une décennie que ce reproche est formulé et l’on constate globalement qu’il est toujours destiné aux mêmes figures qui parlent au nom de cette opposition.

Pourtant, lorsque les blocages s’éternisent, lorsque les personnes qui se proclament porteur d’un renouveau vont d’échec en échec, il faut avoir la lucidité de se détourner d’eux sans haine ni affronts. Après tout, les auteurs de ces échecs successifs n’ont pas été payés par l’opinion publique pour être porteur de ses espoirs. Ils ne peuvent être que mandatés par les Tunisiens pour accomplir ses choix et non l’inverse. Par conséquent, lorsque l’on désire peser sur le cours des choses, il n’y a pas mille façons de faire. Il faut s’engager et prendre part à la « mêlée », même lorsque l’on a aucune ambition politique ni la vocation d’ailleurs à occuper des sièges.

Il est de la responsabilité de chacun de s’engager davantage pour soutenir ceux qui par leurs actes font le plus d’efforts vers les aspirations démocratiques. Mais comment le faire alors que les « instances » de l’opposition démocratique sont des cercles quasi fermées ?

C’est vrai qu’elles le sont ; et l’on ajoutera volontiers au sein desquelles l’on perpétue le culte du chef et du mandarin. Mais à la différence fondamentale du RCD, c’est que le culte du chef ici n’est pas distillé sous la menace d’une armée de policiers et sa mise en cause n’est pas susceptible d’être sanctionnée par la torture et la prison. En outre, le fait que les « instances dirigeantes » de l’opposition démocratique soient effectivement des cercles quasi fermées, c’est peut-être parce qu’elles sont autant verrouillées de l’extérieur par notre manque d’intérêt que du fait de leurs propres dirigeants.

À vrai dire, et conjointement au reproche fait quant aux déchirements de l’opposition démocratique, il y a un autre déchirement dont on ne parle presque jamais et qui paralyse autant les évolutions souhaitées. Il s’agit des déchirements de ceux-là même qui reprochent les divisions de l’opposition. Nous tous, les uns comme les autres qui nous exprimons sur les supports électroniques et qui sont un reflet, certes très réducteur de l’opinion publique tunisienne, nous avons le plus grand mal à avoir la lucidité de favoriser ceux qui œuvrent plus que d’autres en vu de faire avancer les choses.

Combien sommes-nous à tempérer nos préférences personnelles, nos sympathies idéologiques et nos amitiés uniquement dans le but de soutenir celles ou ceux qui manifestent la meilleure volonté pour avancer en rang serré contre la dictature ?

Ne vient-il pas à l’esprit de beaucoup que le délitement de la scène politique tunisienne est également dû à l’attitude de nous tous plutôt qu’à certains leaders auto-proclamés ? Ne vient-ils pas à l’esprit de beaucoup que la foison de chef(taine)s auto-proclamé(e)s provient du vide que nous cultivons -nous-même- inlassablement par le dénigrement systématique de ceux qui aspirent à être mandatés par nous ? Ne vient-il pas à l’esprit de beaucoup que c’est faire preuve de sottise que de dénigrer systématiquement toute personnalité qui émerge mais qui n’a pas nos faveurs ? Ne vient-il pas à l’esprit de beaucoup que bien plus que les dirigeants des partis politiques de l’opposition démocratique, nous agissant comme des sots en n’obéissant qu’à nos bas instincts rancuniers par un travail de sape méthodique dès qu’une tête ou une entreprise quelconque émerge ? Ne vient-il pas à l’esprit de beaucoup que le devoir d’œuvrer en faveur de l’intérêt national n’incombe pas uniquement aux cercles de l’opposition démocratique mais à nous tous en contribuant d’une manière responsable et lucide à ce que les initiatives et les entreprises les moins mauvaises avancent ? Ne vient-il pas à l’esprit de beaucoup que c’est autrement plus profitable pour l’intérêt national de soutenir les moins mauvais qui cherchent à fédérer un changement démocratique plutôt que d’être submergé par les querelles des mauvais(e)s chef(taine)s auto-proclamé(e)s ?

Si l’opposition démocratique est si divisée, c’est également parce que la fraction de l’opinion publique qui s’exprime y est pour beaucoup ; si elle est si déchirée, c’est que nous y contribuons, y compris sans le vouloir peut-être, à alimenter ce déchirement.

Enfin, et en admettant qu’effectivement une poignée de personnes auto-proclamées paralysent en permanence les tentatives de rassemblement par crainte de voir se réduire la sphère de leurs influences et privilèges ; mais alors dans ce cas, comment sommes-nous arrivés à cet état de résignation face à l’insupportable ? Comment en effet accepter le fait qu’une poignée d’individus puisse être en mesure de paralyser ce qui de plus en plus semble être une volonté commune de l’opinion publique vers un front uni contre la dictature ? Et ce qui est insupportable, ne provient pas tant des actes de cette poignée de personnes qui paralyse tout rassemblement, mais du simple fait qu’une telle chose soit possible… Du fait que la volonté commune puisse être aussi dépendante de si peu de personnes disant « Non ». Et comble de l’insupportable, c’est lorsque l’on fait le rapprochement suivant. Si en Tunisie la volonté nationale est soumise au dictat de Ben Ali qui s’appuie sur un arsenal répressif ; nous n’avons pas encore croisé dans les milieux de l’opposition démocratiques un quelconque mandarin en mesure de menacer physiquement des personnes ou leurs familles.

Oui l’opposition démocratique est divisée, oui Ben Ali a réussi, par le verrouillage médiatique à l’intérieur de la Tunisie, à désintéresser et à couper le Tunisien de la chose publique et surtout politique. Mais il reste néanmoins un terrain que la dictature n’a jamais réussi à bâillonner, les supports électroniques. Or, sur ce terrain rien ne peut justifier le divorce avéré entre la classe politique et l’opinion publique qui s’y exprime. Pourtant, à force de vouloir être contre tout et n’importe qui, à force de vouloir exiger la perfection de ceux qui aspirent à parler au nom des Tunisiens, à force de jeter les « bébés » avec les eaux du bain pour un banal mot au détour d’une phrase au sein d’un communiqué, à force de rejeter et de dénigrer des initiatives pour le simple fait de voir le nom d’une personne la soutenir, à force de vouloir s’accrocher à des détails quasi dérisoires par rapport à l’objectif poursuivi, à force de vouloir s’attacher à l’accessoire quitte à ruiner le principal… il n’est pas étonnant d’aboutir à une opposition « démocratique » qui ne représente plus rien d’autres que ses dirigeants et une opinion publique qui excelle dans la cacophonie.

Lorsque le 25 juillet 1957 la République fut proclamée, elle l’a été au prix d’un coup d’Etat qui balaya le régime beylical. Pour ce coup d’Etat, pas une goutte de sang n’a été versée. Il a suffi, pour que la République s’installe pacifiquement, que la volonté commune en faveur d’un tel régime soit exaucée par l’action d’abord et la communion surtout.

Aujourd’hui, la légitimité du régime républicain ne semble pas souffrir de réelles failles consensuelles. Plus encore qu’en 1957, en 2005, avec le recul et suite aux désenchantements des tyrannies marxistes, islamistes ou de quelque bord politique que ce soit, le contenu des principes républicains n’a jamais eu autant de signification tant pour l’ensemble de la classe politique que pour l’opinion publique tunisienne.

Nulle part, nous n’observons des gens sérieux remettre en cause les piliers de la République : en l’occurrence le pilier institutionnel relatif à l’indépendance effective des trois pouvoirs (exécutif, législatif et juridictionnel) ; le pilier des libertés publiques (liberté de conscience, d’association, d’expression, etc.) et le pilier relatif aux garanties judiciaires pour protéger la citoyenneté et conférer à la République toute sa consistance. Et ce consensus vis-à-vis des piliers de la République est tel, que même les despotes du RCD et leurs plumitifs le partagent sans la moindre réserve.

Le minimum requis au niveau du cadre consensuel nécessaire à une République démocratique existe. Or, ne pas être en mesure de faire prévaloir ce qui uni les Tunisiens pour un meilleur régime, fait de nous des mineurs. Et tant que, collectivement, nous demeurerons incapables d’accorder les éléments consensuels du discours Républicain avec l’attitude vigoureuse et unitaire qu’il faut pour défendre son contenu, nous resterons ces acteurs, mineurs, d’une vulgaire République des sots.

Nawaat.org

Le 25 juillet 2005