La Tunisie accueille du 16 au 18 novembre la deuxième phase du Sommet mondial de la société de l’information (SMSI) dans un contexte très tendu de violations des droits de l’Homme. L’opposition, dont sept représentants sont en grève de la faim depuis le 18 octobre, dénonce ainsi les entraves aux libertés d’association et d’expression. Elle réclame notamment la libération des quelque 400 prisonniers politiques détenus dans les geôles du régime. Indifférent, le pouvoir tunisien dénonce de son côté une « mise en scène médiatique » destinée à entacher sa réputation à la veille d’un événement international.
Un sommet mondial de l’information dans un pays qui s’est très souvent illustré dans ses violations de la liberté d’expression, la situation serait cocasse si elle ne risquait pas d’avoir des conséquences dramatiques. L’état de santé de sept opposants tunisiens, en grève de la faim depuis vingt-six jours, s’est en effet considérablement dégradé. Au point où les Etats-Unis, qui ont pourtant toujours soutenu le régime policier du président Ben Ali au nom de la lutte antiterroriste, ont jugé nécessaire de mettre en garde les autorités tunisiennes. L’administration Bush s’est en effet déclarée préoccupée par la situation des droits de l’Homme dans ce pays. « Nous pensons que la Tunisie a fait des progrès considérables dans le domaine des réformes économiques et sociales. Et nous attendons qu’elle en fasse autant dans le domaine des réformes politiques et du respect des droits de l’Homme », a notamment déclaré à la veille du Sommet un porte-parole du département d’Etat, Adam Ereli.
Ce responsable américain, qui a estimé « préoccupant de voir des militants de premier plan de la société civile considérer nécessaire de mener une grève de la faim » pour défendre leur droits, a fait valoir que le SMSI représentait une chance unique pour la Tunisie de montrer « sans ambiguïté son engagement envers la liberté de la presse et envers la liberté d’expression ». Adam Ereli est même allé jusqu’à inviter les autorités tunisiennes à « profiter de cette occasion pour répondre aux questions soulevées par les grévistes de la faim ». Ce type d’ingérence de la part de l’administration américaine est suffisamment rare pour être souligné. Il fait écho aux protestations soulevées ces dernières semaines par de nombreuses organisations de défense des libertés. « Nous nous attendions à un certain relâchement avant et durant la réunion, mais il y a eu au contraire un durcissement des atteintes aux droits de l’Homme ces derniers mois. Cela menace gravement la crédibilité des Nations unies » qui organisent ce Sommet, a notamment estimé Amnesty international.
Les enjeux du Sommet occultés ?
Signe de cette crispation du régime de Ben Ali, le Sommet social de la société de l’information qui doit se tenir en marge du SMSI dans la capitale tunisienne, a le plus grand mal à trouver un lieu où tenir ses assises. Plus de 80 organisations et coalitions de la société civile avaient annoncé leur intention d’y participer, ce qui n’a pas été sans gêner l’Union internationale des télécommunications qui préside à l’organisation des travaux du SMSI. Son secrétaire général, Yoshio Utsumi, a en effet tenu à réaffirmer que l’UIT s’était employée « à ce que toutes les composantes de la société civile participent aux débats ». Il a regretté que certains groupes ne soient pas satisfaits –la société civile tunisienne notamment a été évincée du Sommet– et aient annoncé leur intention d’avoir « des agendas non déclarés ». Mais, a-t-il insisté, « il n’y aura à Tunis qu’un seul sommet ».
Dans ce contexte de tensions, le risque n’est pas négligeable de voir la situation interne en Tunisie éclipser cette deuxième phase du SMSI à laquelle doivent participer une cinquantaine de chefs d’Etat et de gouvernement et plusieurs milliers de représentants du monde industriel et de la société civile. Les enjeux de ce sommet sont pourtant considérables. A commencer par l’épineux dossier de la gouvernance de l’Internet. La résolution de cette question fondamentale pour l’avenir de la Toile semble d’ailleurs d’ores et déjà compromise tant la position des Etats-Unis, qui ont jusqu’à présent eu la mainmise sur la régulation du Net, paraît inconciliable avec celle de nombreux pays qui plaident pour un contrôle plus équitable et plus partagé du réseau des réseaux.
Tunis devait également être le Sommet de l’action, celui des solutions et des engagements concrets contre la fracture numérique afin que, d’ici 2015, plus de la moitié des habitants de la planète ait accès aux technologies de l’information et de la communication. Certes l’innovation devrait être au rendez-vous. Des chercheurs et des groupes industriels devraient dévoiler de nouveaux produits et de nouvelles technologies moins coûteuses pour permettre aux pays les plus pauvres de sortir du sous-développement numérique dans lequel ils se trouvent. Mais sans financement sérieux, la guerre contre la fracture numérique risque de ne demeurer qu’un vœu pieux. Et tout indique que les pays industrialisés, qui jusqu’à présent ont refusé de s’engager matériellement dans cette bataille, changeront d’avis.
Mounia Daoudi
Source :Le site de radio France Internationale | 12/11/2005
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