Par Jihad El Khazen [*], Al Hayat, 7 février 2006.
Traduit de l’arabe en français par Ahmed Manaï [**]
Si je comprends bien la démocratie occidentale, elle permet la publication de caricatures portant atteinte à un prophète, à une religion et à ses adeptes, parce que cela fait partie de la liberté d’expression, mais elle interdit à quiconque de douter du chiffre des victimes juives de l’holocauste, parce que cela est en contradiction avec la liberté d’expression.
L’historien révisionniste David Erving est actuellement dans une prison autrichienne dans l’attente de son procès parce qu’il conteste les chiffres de l’holocauste. De son côté, l’Europe entière menace de recourir à l’Organisation mondiale du commerce pour sanctionner les pays musulmans dont les peuples boycottent les produits danois en protestation contre les caricatures diffamantes du prophète Mohamed.
Personnellement je n’ai pas de problèmes avec l’holocauste, j’ai toujours admis le chiffre de 6 millions de victimes et j’ai dénoncé Irving et son révisionnisme quand il a été jugé et condamné à Londres. Mon problème est avec les atteintes aux symboles religieux, qu’ils soient musulmans, chrétiens ou juifs et avec l’humiliation de peuples entiers dans ce qu’ils ont de plus sacré, alors qu’il est interdit à tous de discuter d’un chiffre.
J’ai aussi un problème avec certains musulmans : ceux qui ont réagi à l’humiliation par les incendies et le pillage et levé des pancartes réclamant de couper la tête aux fautifs, ont fourni à leurs ennemis une nouvelle occasion pour les confondre de terrorisme, sur la base de leurs propres aveux.
Les musulmans qui se sont révoltés contre un journal danois, soutenu plus tard par de nombreux autres journaux européens par la rediffusion des caricatures au motif de soutenir la liberté d’expression, d’une manière sélective, ont oublié le plus important à mon avis. Je suis, depuis des mois, une grande campagne contre l’Islam aux USA et je suis convaincu qu’elle a été mijotée dans le secret par les apôtres du gang des néo-cons. Je pourrais écrire une encyclopédie sur le sujet, mais je dispose d’un espace limité et je suis obligé de me résumer avec la crainte que cela me fasse perdre l’essentiel de mes preuves.
Les accusations d’islamo- fascisme
Les lecteurs ont entendu parler bien sûr de fondamentalisme musulman, de radicalisme, d’extrémisme et de terrorisme. Il y a aujourd’hui un nouveau terme que je m’empresse d’ajouter à cette liste parce que vous allez en entendre beaucoup parler dans l’avenir, c’est l’islamo- fascisme. C’est l’un des termes les plus prisés par les néo-cons aujourd’hui.
Avant que n’éclate l’affaire des caricatures, le Washington Times likoudiste publiait une série d’articles dans lesquels il prévient des graves menaces de la naissance d’un État musulman en Europe, en l’occurrence la Bosnie, considérée comme un corridor pour Al Quaida et dont les combattants, musulmans bosniaques, ont rejoint, en Iraq, « les terroristes islamo- fascistes dans leur campagne barbare contre les troupes américaines ». Qui est le barbare dans cette affaire, quand on sait qu’il y a eu cent milles morts iraquiens contre deux mille quatre cents militaires US ?
Les articles prétendent que « l’OTAN avait bombardé les Serbes, un jour après que les troupes bosniaques avaient bombardé leur propre camp et causé un massacre au marché central de Sarajevo », et ce parce que l’Arabie Saoudite avait signé un marché de quelques milliards de dollars pour l’achat d’avions Boeing. Je jure que je traduis fidèlement et que ces articles reproduisent un texte d’un vieux numéro de ce journal où il est écrit que « la France est morte et les seules choses qui s’y développent ce sont le crime et l’islamisme ». Cela trois ans avant les émeutes dans les banlieues des villes françaises.
Le Weekly Standard qui est le porte-parole des nouveaux conservateurs a publié un article intitulé ³Le fascisme, l’islamisme et l’antisémitisme², qui s’attaque aux contestataires de l’holocauste et parle de la montée du fascisme musulman en Iran, du « dictateur » de Téhéran, en l’occurrence le président Ahmadinejad, qui pourtant a été élu d’une façon très démocratique et continue à jouir d’une grande popularité. L’arrogance de l’article est telle qu’il s’attaque autant aux musulmans qu’aux chrétiens.
Ainsi, il classe le Vatican et le Conseil Mondial des Eglises dans le camp adverse parce qu’ils ne dénoncent pas au quotidien l’antisémitisme chez « les musulmans », et s’attaque à des Eglises protestantes telles que l’Eglise Episcopalienne et l’Eglise Méthodiste qui avaient conseillé à leurs adeptes de ne pas investir en Israël.
Barbara Lorenz a fait éclater toute sa haine dans un article du National Review, un des plus importants organes de propagande des nouveaux conservateurs, où elle annonce la mort de la démocratie américaine au Moyen-Orient à la suite de la victoire électorale du Hamas dans les élections palestiniennes et elle nous invente un nouveau néologisme : « l’impérialisme fasciste islamique ».
Une incitation préméditée
Peut-on sérieusement accuser d’impérialisme une quelconque partie au monde, avec la présence des USA et de l’entité israélienne ? Daniel Pipes est un des plus misérables écrivains des néo-conservateurs et sûrement aussi le plus extrémiste. Depuis longtemps, il écrit sur l’Islam et les musulmans, sûr de trouver des publications accueillantes et fait de la surenchère même par rapport aux gens de son terreau. Quand Spencer Ackerman a écrit sur le New Republic, pour s’étonner du peu d’extrémistes parmi les musulmans américains, Pipes lui a rétorqué avec une liste de noms et de dates pour prouver « le terrorisme » de ces mêmes musulmans.
Qu’a-t-il présenté en fait ? Une liste de six noms, juste six, entre 2002 et 2005, alors qu’une semaine auparavant, une employée américaine des postes avait tué cinq de ses collègues puis s’était donnée la mort. L’arrogance de Pipes est telle qu’il avait mis dans sa liste des six, le nom du sniper de Washington du mois d’octobre 2002, qui était un simple américain noir avec un nom musulman et ne pouvant rien connaître de l’Islam.
Le lecteur s’étonnera sûrement quand il apprend que le même Pipes a étalé dans un autre article toute sa tristesse et même son désespoir pour de nombreuses raisons mais surtout de voir qu’il y avait en Israël un gouvernement défaitiste qui s’est rangé à gauche.
Dans un autre article il a exprimé sa colère parce que les musulmans en Occident suivent leurs médias au lieu de s’aplatir devant les médias occidentaux, « pour un lavage de cerveau et pour ingurgiter tout ce qu’il diffuse, y compris son poison ».
En plus des articles de presse, il y a les livres. Le dernier d’entre eux « La nécessité de la guerre : les dix étapes à suivre par les USA pour assurer la victoire dans cette guerre du monde libre ». C’est le livre d’un extrémiste exceptionnel, Franck Gaffney, qui apparaît comme l’homme qui connaît plus que tous les autres, y compris les institutions de son pays. Un autre livre « L’héritage du Jihad » de Andrew Boston, qui invente son histoire à lui de l’islam, qui lui convient. Une note de lecture du livre présente l’islam comme un jihad permanent, de tous les instants !
Ce qui précède n’est qu’une infime partie des articles, études, analyses et livres qui se sont amoncelés sur mon bureau sans que je ne les demande et qui constituent la matière sur laquelle repose mon travail de tous les jours. Demain, j’y reviendrai en faisant un choix de lectures concernant l’Iran parce que la haine de l’Islam englobe tous les musulmans.
Retour au début de mon article. La grande révolte contre la publication des caricatures a choisi le plus bénin des aspects de la campagne contre l’Islam et les musulmans. Le plus grand danger vient des extrémistes néo-cons qui mènent une campagne tout à fait consciente avec pour objectif essentiel de servir les intérêts israéliens.
Les musulmans peuvent répondre à cette campagne de différentes manières. La plus importante étant de présenter l’islam sous son visage authentique, à savoir une religion tolérante qui abhorre le terrorisme. Ils peuvent s’allier aux églises chrétiennes qui ont pris conscience et s’opposent à Israël et ce pour barrer la route aux nouveaux conservateurs, au lobby juif et autres Likoudiens qui ont réussi à faire cause commune avec les Chrétiens sionistes. Drôle d’alliance en effet ! Ils ont crucifié le Christ il y a deux mille ans, comme ils prétendent, les Européens ont génocidé les juifs au siècle dernier et c’est nous qui payons depuis la facture.
[*] L’auteur, Arabe de confession chrétienne, a été longtemps rédacteur en chef du quotidien arabe AL HAYAT, paraissant à Londres. Il y tient actuellement une rubrique intitulée : Des yeux et des oreilles.
[**] Traduit de l’arabe en français par Ahmed Manaï, membre de Tlaxcala, le réseau de traducteurs pour la diversité linguistique (transtlaxcala@yahoo.com).
Cette traduction est en Copyleft
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