[NDLR : Posté le 14 septembre 2007 sur le forum Taht Essour de nawaat.org]
(Ed. 71 du dimanche 16 septembre 2007)
Dans cette édition 71, à voir le débat entre Saloua Charfi et TBH à propos des récentes attaques sur internet dont fut victime l’invitée de Canal du Dialogue.
Et juste quelques commentaires à chaud :
J’ai regretté la tournure prise par le débat qui a consisté à imputer des accusations, assurément graves, à tout ce qui peut porter une quelconque odeur d’islamisme par une généralisation permanente des discours. Et je précise, je n’ai jamais été un islamiste. J’aurais pu l’être, de cet islamisme libéral, mais il s’avère que je suis de cette gauche politiquement libérale qui puise ses racines jusqu’à notre histoire tunisienne du début du siècle dernier.
Je ne connais personne, y compris parmi les islamistes, qui soit en mesure d’affirmer que le mouvement islamiste tunisien ne recèle pas d’obscurantistes. Et pour cause, quelle idéologie politique de gauche ou de droite peut-elle se targuer d’être à l’abri d’éléments extrémistes aux idées dégradantes ? Or, vouloir faire porter le chapeau des excès de quelques personnes à tant d’autres qui croient en de nobles idéaux (comme toute idéologie peut en contenir) me semble contreproductif. Car, c’est le meilleur moyen de rapprocher les modérés de leurs extrémistes.
Je trouve malsain de s’appuyer sur les propos – à supposer qu’ils soient fidèlement rapportés – de quelques-uns afin de les instrumentaliser contre des initiatives politiques qui cherchent à rassembler. Pourquoi faut-il que les propos de MM. Addassi, Hamdi (personnes citées) ou quiconque d’autre ayant porté de graves accusations, soient utilisés pour dénigrer les efforts de tant d’autres pour trouver un terrain d’entente vers des positions rassembleuses et progressistes au sein d’un pôle démocratique (celui issu du 18 octobre. Je fais référence ici à ce qu’a dit Madame Charfi). Et depuis quand M. Hamdi est-il devenu l’incarnation de l’islamisme tunisien ? Qu’il cherche à le devenir, c’est sûrement son ambition. Qu’il le devienne, c’est mal connaître l’islamisme tunisien.
Hélas, et que TBH me pardonne, mais l’impression que j’ai gardée de ce débat, c’est celle d’un journaliste engagé qui, sous couvert d’une interview, était plutôt enclin à se servir de graves faits, afin d’alimenter son propre combat idéologique. En d’autres lieux et en d’autres circonstances, cela aurait été de bonne guerre. Mais en l’espèce, c’est contreproductif. Car la finalité de ce type de débats, à mon sens, ne devrait pas relever de la quête d’une victoire idéologique d’un camp sur l’autre, mais de l’intérêt national. En l’occurrence, l’intérêt qui consiste à faire avancer le dialogue et, par-dessus tout, à contribuer à rendre politiquement et moralement insupportables certains comportements. Face à cette dernière assertion, il n’est pas étonnant que TBH acquiesce en songeant qu’il s’était agi également de cela. Ce n’est pourtant pas l’impression que j’ai gardée, mais plutôt celle de quelqu’un dans une croisade dogmatique contre toute forme d’idéologie islamiste. Et, c’est d’autant plus dommage que le sujet abordé fût d’une grande gravité. Est-il, en effet, tolérable qu’à l’égard d’un travail académique (brillant ou médiocre) l’on se permette de s’en prendre à la foi de son auteur pour l’accuser d’hérésie en toute connaissance de cause des conséquences possibles quant à sa sécurité ? (Cette interrogation ne préjuge pas de l’intention effective des auteurs des accusations d’hérésie à l’encontre de Mme Charfi de lui nuire physiquement).
Si, en effet, nous sommes nombreux à considérer que cela est grave, pour ma part je considère la proposition de pénaliser l’accusation de « non-musulman » complètement illusoire, car difficilement réalisable. Toute infraction pénale devant être précisément définie, je ne vois pas comment ou pourrait prévoir une telle infraction en englobant toutes les subtilités de la langue. A moins, et ça ne sera pas une nouveauté dans notre droit pénal, de rajouter une nouvelle infraction dont le constat et la qualification ne dépendraient que de l’arbitraire du juge. N’avons-nous déjà pas assez à faire avec notre Code de la presse – pour ne citer que ce code- si extensible ? Par ailleurs, selon le contexte, le fait de dire que tel, y compris un responsable politique, n’est pas musulman relève du droit fondamental à la liberté d’expression. En effet, je ne vois pas en vertu de quoi, lorsqu’un responsable politique excipe de sa qualité de non-musulman lors d’une émission politique sur Canal du Dialogue il y a quelques mois, on puisse empêcher des gens d’écrire sur des forums publics « votons pour lui, car il a déclaré qu’il n’est pas musulman » ou inversement « ne votons pas pour lui, il n’est pas musulman, il risque de négliger la gestion des affaires du culte ». Et puis, va-t-on interdire certaines recherches scientifiques au sein desquelles des chercheurs sont susceptibles de démontrer les sottises de l’un de leur pair ayant travaillé sur l’Islam en travestissant des vérités historiques pour affirmer des contre-vérités diffamantes ? Puisqu’un tel travail scientifique pouvant être assimilé à « un acte d’accusation d’atteinte à l’Islam ». Et plus concrètement, va-t-on chercher à bâillonner ceux qui sont susceptibles de considérer que TBH raconte parfois des bêtises sur l’islam et l’islamisme, quand bien même, lui, il s’en défendrait ? Manifestement, la solution judiciaire est non seulement maladroite, mais il est à craindre qu’elle ne puisse galvaniser davantage les animosités au lieu de les apaiser par le dialogue. Et de ce point de vue, les propos de Saloua Charfi sur ledit dialogue, malgré la nature des attaques dont elle a fait l’objet, me semblent autrement plus efficaces.
Enfin, et bien que je n’ai pas lu l’étude de Salaoua Charfi, pour ce que j’ai pu en apprendre en l’écoutant, j’avoue que j’ai éprouvé une certaine gêne sur le plan de son approche méthodologique – du moins telle qu’elle en parle – qui consiste par moment à mêler le raisonnement théologique à celui scientifique. Il faut reconnaître que le sujet est particulièrement délicat tant il est question de religion. Mais, c’est peut-être une raison supplémentaire pour prendre toutes les précautions afin d’éviter à tout prix de tomber dans cette logique que l’on cherche à dénoncer. Celle qui consiste à bâtir des vérités politiques sur des actes de foi. Ou l’on fait de la science en appliquant ses méthodes et ses outils d’analyse ou l’on fait de la théologie qui a sa propre démarche. Et, je précise, sans pour autant que l’une des disciplines ne soit plus honorable que l’autre.
Or, si l’universitaire tunisienne a choisi de faire de la science, elle ne peut conclure des démonstrations en assénant « Dieu a dit ceci ou cela et non ce qu’ils prétendent ». Car autrement, et sur un plan purement scientifique, les propos de l’invitée de l’émission n’ont pas plus de valeur que ceux objets de son étude ; puisque de part et d’autre les discours sont fondés sur des actes de foi. Et, faut-il le rappeler, la véracité des actes de foi ne relève d’aucune discipline scientifique.
Mais peut-être n’est-ce là qu’une vision tronquée du travail de S. Charfi qu’un exposé oral ne peut qu’en être réducteur.
Cela étant dit, je ne peux qu’adhérer totalement à sa dénonciation de l’attitude de certains concernant le « fait divers » relatif à l’arrestation de ces jeunes accusés de pratiques sataniques. Du reste, à ma connaissance, il n’existe aucune disposition pénale en droit tunisien condamnant expressément les pratiques sataniques. Certes, quelques pratiques d’un usage courant au sein des rituels sataniques le sont, tels, entre autres, les violations de sépultures, les actes de torture ou de maltraitance, mais l’adoration du diable ne l’est pas en tout cas. Du reste, qu’on le veuille ou non, cette adoration relève de la liberté de conscience. On ne peut que regretter un tel culte “supposé” du diable, se sentir désolé, s’interroger sur le rôle de l’éducation, se sentir offusqué en tant que croyant, mais en aucun cas condamner pénalement pour cet acte de foi aussi ahurissant soit-il. Ou l’on se bat pour la liberté de conscience quel que soit son contenu ou l’on est incohérent. Et que dire de plus sinon que S. Charfi a été magistrale en rappelant l’aberration qui consiste à faire fi de la présomption d’innocence. Je reconnais que j’ai été décontenancé quand j’ai lu des passages qui appelaient en des termes à peine voilés d’envoyer ces gosses au bûché. Et comble de l’incohérence, ce fut de la part de certains qui, à peine quelque mois auparavant, donnaient des leçons en matière de libertés fondamentales, notamment celle de conscience.
Astrubal, le 14 septembre 2007
http://astrubal.nawaat.org
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