Dans la Zone verte (les Américains à Bagdad) par Rafla Chandrasekaran (L\'Olivier). 390 p.Alors que Sarkozy vient do recevoir George Bush, le héros de la guerre d’Irak, avec chaleur et complicité, voilà le livre qui tombe bien. Le journaliste Rajiv Chandrasekaran a été en poste un an et demi à Bagdad, dès avril 2003. Et il raconte. Et c’est effarant. Ce qu’il montre : la vie dans cette bulle hyperprotégée, cette « Zone verte » au cœur de Bagdad (l’ancien palais de Saddam et les immenses terrains qui l’entourent), où se sont retranchés les occupants américains. C’est dans cette enclave où vivent plus de mille personnes que se trouve le cœur du pouvoir en Irak.

On y circule en 4 x 4, l’entreprise Halliburton assure l’intendance, on mange américain, on « râle contre la chaleur, les moustiques et la fainéantise des autochtones » (les rares qui ont le droit de pénétrer dans la Zone). Et quand on ose mettre le pied dehors, c’est flanqué d’une escorte de deux voitures impérativement équipées de fusils M16. L’Irak ? Les occupants se targuent d’en faire un modèle de démocratie pour le monde arabe : « Nous allons transformer ce pays de fond en comble » se vante le vice-roi amerloque Paul Bremen Mais ils ne le connaissent pas « Vue depuis la Zone verte, la vraie Bagdad – les postes de contrôle, les bâtiments détruits, les embouteillages monstres – pourrait tout aussi bien se retrouver à l’autre bout du monde. »

Cet enfermement géographique révèle un enfermement mental. L’auteur raconte comment les Américains, une fois gagnée la guerre, se retrouvent aux prises avec la reconstruction. Et c’est un festival : toutes les formes d’imbécillité imaginables sont de sortie. Arrogance en béton. Ignorance crasse des réalités irakiennes. Volonté revendiquée d’y rester, dans cette ignorance. Idées toutes faites. Et stupides. Nomination des responsables en raison de leurs sympathies républicaines : vous êtes agent immobilier, ne parlez pas arabe, ne connaissez rien au Moyen-Orient, à la reconstruction post-conflit ni à la finance ? Pas grave, si vous êtes pro-Bush ! Et c’est ainsi (entre mille autres exemples) qu’un blanc-bec de 24 ans, Jay Hellen, s’est retrouvé chargé d’organiser la réouverture de la Bourse de Bagdad.

Falsification des données. Refus de vair la réalité en face – et le fait qu’elle soit complexe. Simplisme et courte vue. Décisions débiles. Entêtement dans l’erreur. Optimisme constant : tout s’améliore ! Auto-aveuglement. Incompétence du haut en bas de l’échelle. Volontarisme tournant à vide. Vitesse remplacée par la précipitation. Paranoïa massive. Impréparation, suivie d’improvisation. Croyance magique en la capacité de « résoudre le problème à coups de dollars » l’idéologie néolibérale plaquée sur le vivant. Auto-intoxication par sa propre propagande. Résultat l’insurrection, le sang qui coule à flots, un tapis rouge offert aux terroristes, le chaos pour les décennies à venir.

Si des journalistes américains ont été « embedded » et va-t’en-guerre, il en existe aussi qui sauvent l’honneur avec ce livre décapant, Rajiv Chandrasekaran prouve qu’il est de ceux-là.



Jean-Luc Parquet



* Dans la Zone verte (les Américains à Bagdad) par Rafla Chandrasekaran (L’Olivier). 390 p. Traduit de l’américain par Gilles Berton et Raymond Clarinard.



Article publié dans les pages du Canard Enchaîné du 18 juin 2008.
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