Élevés dans une société aux règles figées, les jeunes adultes s’évadent grâce aux sitcoms et aux sites Internet de socialisation.
«Les jeunes se reconnaissent dans les personnages parce qu’ils parlent comme eux, explique Nayef. Certaines répliques sont difficiles à comprendre pour les moins de 40 ans» Une petite révolution dans une société compassée, gouvernée par des règles religieuses et patriarcales souvent étouffantes pour les adolescents et les jeunes adultes. Certes, les lignes rouges ne sont pas bien loin. La séquence la plus audacieuse met en scène un apprenti docteur obligé de se cacher sous un lit dans une salle de repos strictement réservée aux étudiantes. Il s’y était rendu pour faire réchauffer un plat au micro-ondes et a été surpris par l’entrée inopinée d’une jeune fille. Pas le moindre flirt en vue. Il y a pourtant une histoire d’amour, mais platonique.
«Mon personnage est amoureux d’une étudiante, mais n’ose jamais le lui avouer, et elle se marie avec un autre», explique Fayez.
Ciné-club informel
37 Degrés se permet toutefois quelques critiques de la société, comme ces scènes où les personnages pensent tout haut, pestant parfois contre le conformisme des aînés. Nayef y est pour beaucoup : c’est aussi lui l’auteur des scénarios. À 24 ans, ce surdoué, fils d’un attaché militaire et d’une éducatrice, vient de terminer ses études de médecine, dans la vraie vie cette fois. Il envisage de poursuivre une spécialité médicale aux États-Unis. Sans abandonner sa passion pour le cinéma.
Nayef tourne aussi des films plus personnels avec une petite caméra, dont les thèmes tournent autour du paradoxe du comédien. Il les présente au Festival des Émirats arabes unis, tout comme sa bande de copains, regroupés autour d’un ciné-club informel. Il trouve ses modèles dans un Who’s Who mondialisé : «Comme acteur, Daniel Day-Lewis. Comme scénariste, mais pas comme metteur en scène, Pedro Almodovar. Comme metteur en scène, Akira Kurosawa.»
Des références bien éloignées des insolences prudentes de 37 Degrés. Dans la réalité, nombre de Saoudiens de moins de 25 ans secouent les normes sociales. Un phénomène qui ne reste pas cantonné aux rejetons des grandes familles commerçantes nomadisant entre Djedda, Londres et New York. Il commence à toucher les enfants d’une classe moyenne émergente, dont les parents sont professeurs ou cadres du pétrole. Accros à Internet et au portable, rêvant d’ailleurs et de liberté. Attachés à la religion – personne ici ne se dit ouvertement athée – et tentés par la modernité.
L’un des blogs les plus lus s’appelle «Saudi jeans». Son auteur, Ahmed al-Omran, en porte le plus souvent possible, «sauf pour entrer dans les bâtiments officiels comme l’université, où la tenue nationale est toujours de rigueur». En jeans, donc, et en t-shirt, lunettes rectangulaires, il donne rendez-vous à la terrasse d’un café d’une artère de Riyad un peu plus animée que les autres, surnommée «Les Champs» par les Saoudiens.
Commencé comme un jeu, rédigé en anglais «pour m’améliorer dans cette langue», son blog est devenu une affaire sérieuse. «Je reçois beaucoup de commentaires. Les jeunes ont des ambitions pour eux-mêmes, et la volonté de s’exprimer. L’Internet leur donne un espace qui n’existait pas avant.»
Fils d’un enseignant chiite, élevé par des parents qui lui «laissaient beaucoup de liberté», passionné de littérature, Ahmed est en dernière année de pharmacie et espère parfaire sa formation aux États-Unis. «Beaucoup de jeunes Saoudiens sont dans mon cas. Ils ont envie d’aller à l’étranger pour vivre un moment une vie de garçon ou de fille normaux.» Dans son blog, Ahmed proteste régulièrement contre les excès de la police religieuse, la fameuse «Commission pour la prévention du vice et la promotion de la vertu», qui traque tout rapprochement entre filles et garçons.
Sous nos yeux, deux univers s’entrechoquent : un «muttawa», un policier religieux reconnaissable à sa robe courte et sa barbe broussailleuse, admoneste deux motards en combinaison de cuir juchés sur des Suzuki sport, et faisant de l’œil à un groupe de filles revêtues de l’abaya (manteau) noire obligatoire, qui déambulent sur le trottoir avec une indifférence feinte. Les motocyclistes se défoulent en se lançant à toute vitesse dans le trafic, moteurs hurlant. Certes, les téléphones portables compliquent la tâche des flics de la vertu. Mais le royaume reste «un endroit difficile pour les jeunes, dit Ahmed le blogueur. Il y a très peu de clubs de sport, très peu de loisirs organisés.»
D’autant que plusieurs associations existantes ont été mises sous étroite surveillance quand les autorités se sont aperçues que cette «école après l’école» servait de paravent à un enseignement politico-religieux opposé au pouvoir royal.
Le malaise de la jeunesse se traduit de multiples façons, jusqu’au départ en Irak pour y mener la «guerre sainte» contre les Américains. Ou à la drogue. «Tous ces problèmes sont réels, et nous essayons de les résoudre», reconnaît le professeur Nizar al-Saleh, responsable du Centre national pour la jeunesse, une structure mise en place par l’État, qui tente de répondre avec un programme de formation d’éducateurs dans tout le royaume.
«Il faut éduquer les gens»
Pour Ahmed, le blogueur de «Saudi jeans», la solution viendra de la jeunesse elle-même. «Il y a beaucoup de jeunes qui prennent des initiatives, qui tournent des films, qui s’engagent dans le domaine social, qui créent des groupes pour aider les plus pauvres. Grâce à Internet, ils découvrent qu’ils ne sont pas seuls.»
Comme Iman, Najla et Hawazen, étudiantes en orthophonie, qui reçoivent le visiteur étranger la tête dûment voilée, mais le visage découvert. Iman fait campagne pour le don d’organe avec un groupe de jeunes filles. Najla tient un blog et dirige une association qui s’occupe d’orphelins et enregistre des livres pour les non-voyants. Des initiatives personnelles, fondées en dehors des traditionnels réseaux religieux. La rencontre, dans le bar d’un hôtel, a été organisée par de jeunes amis saoudiens. Une situation théoriquement interdite, mais, assurent les garçons, «quand c’est pour des activités commerciales, on ne risque rien».
En Arabie, on apprend chaque jour un peu plus à jouer avec des règles mystérieuses et non écrites. Le groupe de Najla correspond avec un homologue masculin qui se consacre aux mêmes actions caritatives. Pas d’activité commune possible ouvertement, «mais on communique par mail», dit Najla, qui a créé son groupe sur Facebook. Consulter le site de socialisation est d’ailleurs «la première chose que je fais le matin et la dernière que je fais avant de dormir», avoue-t-elle en riant.
Sur son blog, elle «encourage les gens à penser par eux-mêmes». La séparation des sexes, l’interdiction de conduire ? «C’est plus un problème culturel que religieux. Il faut éduquer les gens», dit Iman, qui estime tout de même que les habitudes changent. «C’est plus ouvert, maintenant ; les garçons et les filles se rencontrent plus souvent.» Mais l’étudiante reconnaît : «C’est vrai que l’on voudrait plus d’indépendance.»
Source : LeFigaro.fr
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