Trois ans jour pour jour après le début de son incarcération, Badreddine Ferchichi a quitté la prison de Mornaguia pour rejoindre sa famille dans la région de Ghar El Melh. Lundi 31 août, il a été libéré et a retrouvé sa femme, Senada, et ses quatre enfants en bas âge : Abdallah, Oussama, Ouassila et Mohammed le dernier qui n’a d’autre souvenir de son père que derrière les barreaux ou les vitres de la prison de Tunis.
Ainsi s’achève une tragédie, tout du moins l’espère-t-il, qui a commencé en Bosnie où il vit en famille depuis des années, et pays où il demande l’asile, qui lui est refusé. Le 29 août 2006, il est renvoyé en Tunisie tandis que son épouse et ses enfants de nationalité bosniaque restent en Bosnie.
Il est déféré devant un juge d’instruction militaire qui le fait écrouer à la prison du 9 avril dans l’attente de son procès. Le 10 novembre de la même année, sa femme et ses enfants s’installent en Tunisie pour pouvoir lui rendre visite. Le 16 janvier 2008, son procès s’est ouvert devant le Tribunal Militaire de Tunis qui a prononcé un non-lieu en sa faveur, mais Badreddine Ferchichi n’a pas été libéré, à la grande déception des siens, l’avocat général s’étant immédiatement pourvu en cassation. Le pourvoi fut admis le 11 février 2009 et le 20 mai de la même année s’ouvrait le nouveau procès de Badreddine Ferchichi.
Accusé en vertu de l’article 123 du Code des plaidoiries et sanctions militaires « Tout Tunisien qui se met en temps de paix au service d’une armée étrangère ou d’une organisation terroriste à l’étranger est puni de dix ans d’emprisonnement avec interdiction d’exercer ses droits civiques […] », pour avoir servi dans l’armée bosniaque au cours des années quatre vingt dix, il a été condamné à trois ans d‘emprisonnement et cinq ans de contrôle administratif. La notion de « crime permanent » a été retenue pour qualifier les faits, et a rendu impossible la prescription.
Badreddine Ferchichi est maintenant astreint à la peine complémentaire du contrôle administratif que les services de sécurité de Ghar El Melh ou Bizerte vont déterminer.
Tunisiens de Bosnie
L’exode des Tunisiens de Bosnie avait commencé bien avant la livraison de Badreddine Ferchichi à la Tunisie par les autorités bosniaques, mais les modalités de celle-ci, -un avion spécial ayant été affrété uniquement pour son renvoi-, ont contribué à semer la panique chez ceux qui, encore de nationalité bosniaque pour certains, y résidaient toujours en 2006.
En effet, le nom de Badreddine Ferchichi n’a fait que s’ajouter à la liste des Tunisiens ayant vécu en Bosnie, ayant acquis ou non la nationalité bosniaque, rentrés volontairement ou renvoyés par un pays tiers, et qui ont été immédiatement arrêtés à leur arrivée en Tunisie, incarcérés pour de longues années, et pour la majorité d’entre eux, torturés : Moazz Bouhouche, Taoufik Selmi, Tarek Hajjam, Abderraouf Mouelhi, pour ne citer qu’eux. Qu‘ils aient ou non combattu dans l’armée bosniaque, comme Badreddine Ferchichi, le simple passage par la Bosnie est devenu aux yeux des autorités tunisiennes un crime passible d’emprisonnement.
Des dizaines d’autres se sont enfuis sous des cieux plus démocratiques, du moins le croyaient-ils, car les demandeurs d’asile Taoufik Selmi (Luxembourg) et Abderraouf Mouelhi (Royaume-Uni) ont été livrés sans ménagement à leurs geôliers tunisiens. Certains attendent depuis des années des réponses à leur demande d’asile en Suisse et en Italie. Seules la France et la Grande-Bretagne ont à ce jour accordé le statut de réfugié à ces parias, chassés de Bosnie, le pays où ils étaient venus apporter assistance humanitaire et/ou militaire, et menacés dans leur pays d’origine de torture et d’emprisonnement.
En Bosnie, Ammar Hanchi, Tunisien déchu de sa nationalité bosniaque, attend depuis des mois au centre de rétention pour étrangers de Lukavica son renvoi en Tunisie. Ammar Hanchi est comme Badreddine Ferchichi ou Taoufik Selmi, marié à une ressortissante bosniaque et père d’enfants bosniaques. Devra-t-il connaître le même sort que les deux premiers ? L’Etat bosniaque, qui a ratifié les conventions internationales interdisant la torture et, partant, les renvois dangereux, doit surseoir à toute décision de renvoi.
Luiza Toscane
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