Pour prendre l’exemple du blog collectif de Nawaat, nous ne sommes, tel qu’indiqué dans « l’à propos de blog », inféodés à aucun parti politique, ni mouvement ni ONG d’aucune sorte. Pourtant, le blog respire, mange et suinte à chacun de ses recoins la politique. Et pour cause, nous avons eu droit à toutes les étiquettes, mais en vain tant nous sommes inclassables. La seule étiquette qui unit les participants au blog de Nawaat, c’est celle qui consisterait à relever que nous militons avec vigueur pour nos droits fondamentaux et que nous aspirons à des changements politiques profonds en Tunisie en faveur d’une vraie démocratie respectueuse de la personne humaine. Et la censure est au centre de nos préoccupations.

Or, et pour revenir aux derniers événements en matière de lutte contre la censure en Tunisie, la confusion constatée entre l’aspect « apolitique » et la non-inféodation à un quelconque parti ou mouvement politique est intellectuellement et méthodologiquement malhonnête. La lutte contre la censure est, en effet, l’un des piliers de tous les combats politiques. Cette lutte est politique par sa nature, par son contenu et par ses moyens d’expression. Et parmi ces moyens d’expression, l’organisation de manifestations en la forme de réunions pacifiques sur la voie publique ou sur internet incarne un moyen de revendication dont le caractère politique ne saurait être nié par quiconque ayant un minimum de lucidité.

Faut-il du reste rappeler que l’on ne manifeste pas dans la rue pour se faire entendre par « Titus, le sublime », roi des primates des Grands Lacs africains, mais bel et bien par des politiques. Or, prétendre qu’une manifestation, politique par nature, est « apolitique », s’avère en réalité le meilleur moyen de l’inféoder politiquement à un parti en particulier et à lui promettre l’allégeance éternelle… à lui, et à aucun autre ! .

En outre, reprocher à tout parti de s’intéresser à ces revendications populaires contre la censure sous prétexte de vouloir l’instrumentaliser est une attitude singulièrement malsaine. Certes, craindre l’instrumentalisation et être alerte pour ne pas être roulé dans la farine par l’opportunisme politique de certains est de bonne guère. En revanche, vouloir à tout prix stériliser le champ politique par un hypocrite slogan « apolitique » est aussi malsain que l’opportunisme partisan contre lequel on désire lutter.

Et tant qu’à faire, j’attire l’attention sur un fait qui pourrait échapper à certains : toute entreprise de mobilisation populaire, quelles que soient ses revendications, suppose le leadership d’un individu ou d’un groupe qui prend en charge l’organisation et l’animation de cette mobilisation. Or, ce leadership est politique de par l’influence sociale tout comme le poids médiatique qu’il accorde à ses auteurs. Ce leadership est politiquement, professionnellement et électoralement monnayable (pardon pour le cynisme de mes propos). Celui qui dit le contraire est un menteur.

Et face à l’adhésion populaire en matière de manifestations politiques, il y a le choix entre trois attitudes :

– soit monnayer la mobilisation de tous les manifestants contre la censure, et ce, au plus offrant en terme politique (c’est-à-dire en soutenant ouvertement tout parti à l’écoute et qui propose concrètement la prise en charge politique des violations de nos libertés fondamentales, quel que soit son bord politique) ;

– soit la frivolité de l’attente « apolitique » jusqu’à ce que Titus agisse (pourtant, il est bel et bien mort Titus) ;

– soit « péter un plomb » en taxant tous les partis politiques d’opportunisme et croire pouvoir faire soi-même le travail en gravissant les marches du palais de Carthage (et ce, via le raccourci de la rue d’Angleterre, de l’avenue Habib Bourguiba ou de je ne sais quel support web).

De ces trois cas de figure, le premier servirait l’intérêt des Tunisiens, le deuxième l’intérêt politique exclusif de ceux qui prétendent que la lutte contre la censure est apolitique, et pour le troisième, il s’agit d’une instrumentalisation la plus hypocrite qui soit !

Jusqu’à ce jour, j’ai préféré ne pas m’exprimer sur l’étiquette « apolitique » des dernières manifestations contre la censure. Pourtant en privé, je n’ai cessé de pester combien c’était absurde. Et aujourd’hui, je dis non seulement que c’est absurde, mais qu’il faut également stigmatiser de tels discours comme s’adressant à des mineurs et des incapables, et non à des citoyens majeurs et politiquement responsables.

Il y a près de deux ans déjà, parmi les échanges que j’ai eus avec mes amis de Nawaat et qui n’ont rien de confidentiels, j’affirmais que la mobilisation contre la censure était en voie d’être gagnée. Mais pour que cette mobilisation ne demeure pas stérile à l’avenir, on se doit sur nos supports comme celui de Nawaat à contribuer à la politiser. Parce que ce combat est politique ou il n’est pas. Et c’est vrai que depuis quelques années je ris jaune à chaque fois que je vois des initiatives contre la censure dont les initiateurs les présentent comme apolitiques. Quelle hypocrisie en somme qui consiste à prendre le leadership d’une manifestation politique par nature (la mobilisation du public pour la défense d’un intérêt commun) et de prétendre que ce qu’ils font est apolitique. N’étant plus très jeune, cela me fait songer à tous ces noms issus de la société civile qui étaient très entreprenants en matière de mobilisation « apolitique ». Et lesquels noms avaient, dès que l’occasion s’était présentée, capitalisé sur ces positions de leadership (au sein de la société civile) pour faire leur entrée au sein de certaines instances partisanes puis faire un revirement à 180° en matière de revendications légitimes. Je ne suis pas en train de critiquer la passerelle honnête, normale et naturelle entre la société civile et l’activité politique partisane. Ce que je critique c’est l’hypocrisie qui consiste à faire de la politique tout en prétendant le contraire.

Et pour finir, je précise que mes propos ne visent ni Slim, ni Yassine. Bien au contraire. S’agissant de Slim notamment, et pour avoir suivi certaines de ses réactions, il me semble qu’il a été exemplaire. Je dirais même remarquable. Je lui dis bravo tant pour ce qu’il a fait, mais aussi et surtout pour la manière avec laquelle il l’a fait.

Astrubal, le 23 mai 2010.

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PS: Tous mes billets postés sur Nawaat depuis quelque temps l’ont été grâce à la gentillesse des membres de Nawaat qui l’ont fait à ma place. Pour des raisons indépendantes de ma volonté, je ne peux malheureusement me connecter sur Nawaat en tant qu’admin sans mettre en danger la sécurité du blog. Mon incapacité à répondre aux commentaires relève du même souci. Aussi, je réitère mes excuses si je n’arrive pas à réagir à temps aux commentaires. Mais, promis, je répondrai à chacun des commentaires dès que la situation le permettra. Pardon encore et merci pour votre indulgence.