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“Si quelqu’un est apte à établir des institutions, ce qu’il établi ne va pas durer longtemps s’il repose sur les épaules d’un seul homme, mais plutôt s’il est confié est confié aux soins de plusieurs, et si sont nombreux ceux à qui il revient de le maintenir.” Machiavel “Ce qui, dans tous les temps, a attaché [à la liberté] si fortement le coeur de certains hommes, ce sont ses attraits même, son charme propre, indépendant de ses bienfaits ; c’est le plaisir de pouvoir parler, agir, respirer sans contrainte, sous le seul gouvernement de Dieu et des lois. Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle-même est fait pour servir.”
Tocqueville

“Les citoyens n’ayant qu’un intérêt, le peuple n’avait qu’une volonté”
Rousseau

Des manifestants défilent contre Ben Ali à Tunis vendredi. Crédits photo : ZOHRA BENSEMRA/REUTERS

Après trois semaines d’une lutte acharnée, le peuple tunisien a vaincu la tyrannie. Les tunisiens sont redevenus des hommes, le mot de nation a repris son sens. Ces trois semaines auront été le baptême d’un peuple, d’une nation. Jusque-là exemplaire dans son obéissance passive à tout changement, elle est devenue exemplaire hier dans son accession à la liberté politique. Par son dernier geste, un homme a mis à bas un pouvoir dynastique que rien ne semblait pouvoir ébranler. Le geste de désespoir de Mohammed Bouazizi, natif de Sidi Bouzid, a rappelé par son sacrifice ultime, que la vie humaine n’est pas, ne pourra être et ne sera jamais sacrifiée à l’autel du pouvoir, qu’il soit économique ou politique…Aujourd’hui, pour la première fois de ma vie, je connais le sentiment de fierté. Fierté d’appartenir à cette nation qui s’est montrée si forte, à ce peuple qui s’est montré et qui continue de se montrer digne et intransigeant. Le pouvoir a pu se laisser aller à de nombreux excès, si grands qu’il a semblé au monde que les tunisiens pouvaient être considérés comme des serpillères sur lesquels le pouvoir s’essuierait les pieds impunément, éternellement.

En fait la révolution qui a eu lieu, nous montre que cela était loin d’être vrai. La vérité était que le peuple ne considérait pas les affronts du pouvoir comme le dévaluant, mais plutôt comme dévaluant le pouvoir lui-même. Ce n’est que lorsque le pouvoir a laissé, par son indifférence et son mépris trop grand, les jeunes et les populations fragiles dans leur misère qu’il s’est dévalué au point de n’être plus digne d’être respecté en tant que pouvoir, que le peuple a décidé de lui retirer son privilège de maintien.

Ordre

Zine El Abidine Ben Ali a quitté le pays et est parti rejoindre sa femme à Jeddah en Arabie Saoudite. La question de savoir si il doit être jugé par une cour tunisienne compétente et pour quels motifs se posera. Mais le moment n’est pas à ces questions là. Pour l’heure les anciennes milices privées de l’ancien président et de ses proches essayent d’instaurer la panique et le désordre dans la capitale. Mais le peuple tunisien n’a pas écrit les plus belles pages de son histoire ce dernier mois pour laisser les dernières traces d’un gouvernement corrompu plonger un fois de plus son pays dans le chaos. Le peuple s’organise et, avec l’aide de l’armée, il est en train de mettre un terme aux exactions commises par les chiens dressés pour tuer que Ben Ali a abandonné derrière lui ; voilà l’image parfaite de l’héritage de Ben Ali.

Justice

Dès lors, comment ne pas exiger l’immédiate dissolution du RCD et l’arrestation de tous les hauts responsables politiques du parti. Que ceux qui n’ont rien à se reprocher nettoient le parti comme le peuple a nettoyé le pays. Le peuple tunisien ne se laissera pas confisquer sa révolution républicaine, populaire et cybernétique 1 par les idéologues et les propagandistes professionnels qui ont toute leur vie et de toute leur énergie œuvré au maintient d’un pouvoir dictatorial autoritaire et corrompu. Que ceux qui pensent pouvoir s’en tirer sans rendre de compte, alors qu’ils sont autant responsables que Ben Ali, reviennent à la réalité. Notre pays est une République et la République n’accepte pas la corruption sans que justice ne soit faite.

Liberté

Le peuple tunisien ne s’en laisse pas conter par ceux-là qui essayent aujourd’hui de lui faire peur. Le peuple tunisien n’a plus peur, qu’on se le dise. Le régime de la peur est révolu. Aujourd’hui les tunisiens du monde entier lèvent la tête et ont hâtent de rentrer chez eux pour aider à la reconstruction de leur pays sur les fondements républicains solides qui ont toujours prévalus en Tunisie. Depuis 1861, nous attendons que se lève la République Tunisienne. Il apparaît que ce jour n’est plus très loin. Courage brave peuple tunisien, encore un effort et nous y arriverons. La liberté s’est réveillée d’un très long sommeil et l’on peut espérer qu’elle ne tardera pas à étendre ses ailes sur le monde entier.

Avenirs

À ceux qui craignent le pire, je les enjoins à l’espoir ; à ceux qui ont peur, je les appelle au courage ; à ceux qui doutent, je voudrais leur faire partager ma foi. Le peuple tunisien, ce peuple que tous s’accordait à trouver petit, vil, matérialiste, a fait preuve d’un courage et d’une force, d’une tempérance et d’un sens de la justice que le monde n’avait plus vu en action depuis fort longtemps. Aujourd’hui, en Tunisie, tout devient possible. Il s’agit de ne pas se laisser aller à des choses vieilles et poussiéreuses, mais de proposer du neuf et de rénover les idées nouvelles que l’on ne nous a jamais laissé essayer. Notre République est jeune et tout lui est possible. Bien sûr, il convient de garder la tête froide pour savoir éviter les écueils qu’ont connu tous les pays qui faisaient des révolutions, mais l’espoir et les choix sont là.

Ainsi, tous n’ont que les mots président et élections à la bouche. Mais le peuple a su montrer qu’il était uni et conscient de sa volonté. Pourquoi ne pas proposer une rénovation constitutionnelle qu’une assemblée constituante se chargerait d’accomplir sérieusement, et cela en vu de fonder notre République sur un pouvoir parlementaire fort et préservé de toute corruption par des instances de contrôle sévère et des punitions exemplaires ? Il est évident qu’il convient d’organiser très rapidement des élections, mais des élections législatives. Il est fini le temps des sauveurs et des héros, nous avons atteints la majorité, nous voulons l’autonomie. Et cela, seule une assemblée législative réelle, capable de former un gouvernement et une assemblée constituante, pourra nous le donner. Avant toute autre chose, il me semble nécessaire de se positionner contre un pouvoir présidentiel fort et de préconiser la discussion, l’acceptation de la multiplicité des points de vue qui existent dans notre peuple.

Plus jamais de censure, ni de peur, ni d’exclusion. Que notre République soit réellement la République de tous les Tunisiens comme cette révolution l’a été, celle des riches et des pauvres, des croyants de toutes les obédiences et des non-croyants, des citadins et des ruraux, des intellectuels et des non instruits : la véritable chose publique.

Enfin, je lance un appel à la communauté internationale : Gardez donc pour l’instant nos criminels politiques qui ont fui, mais gardez les en états d’arrestation, en résidence surveillée, notre patrie vous les réclamera dès que nos institutions seront en mesure de les juger ainsi qu’ils doivent l’être. En attendant, et parce que vous avez tous été complices du gouvernement qui vient de tomber en montrant son vrai visage, gardez vous bien de toute ingérence dans notre vie politique.

Ordre, Justice, Liberté

Shiran Ben Abderrazak
15/01/2011