Immédiatement après  la fuite de Ben Ali le 14 janvier 2011, j’avais demande que le procureur de la république tunisienne dresse un chef d’accusation contre toute la famille de Ben Ali élargie, et demander l’entraide judiciaire internationale pour obtenir le gel de tous les avoirs déposés a étranger. Cette mesure n’a apparemment pas encore été initiée. Pourquoi ce retard?

Il est impossible que l’urgence et l’importance d’une telle démarche échappe à Monsieur Mebazzaa, président par intérim, et Monsieur  Mohammed Ghannouchi. Ils sont tenus personnellement responsables de tout retard et nous considérons leur lenteur, plutôt leur réticence comme une trahison de plus vis-à-vis du peuple tunisien, une raison supplémentaire pour justifier la méfiance nourrie a leur égard et tous les serviteurs de l’ancien régime, et nous réitérons l’exigence de leur démission immédiate.

Entre-temps, après les silences embarrasses de la France et de l’Union Européenne, nous assistons a des petits pas qui ne nous trompent pas. La France décide de mettre “sous vigilance spéciale” les comptes de la famille Ben Ali et surveiller les flux suspects, pas le gel des avoirs. Mais qu‘entend-t-on par suspect a l’heure actuelle? Est-ce le montant des transactions, leurs bénéficiaires ou leurs destinations territoriales? N’étaient-ils pas déjà suspects par le passé?

L’argument de Mme Lagarde et de Mr. Barouin qu’un gel requiert une action de la justice m’apparait on ne peut plus grossier et dérisoire en l’occurrence.

Dois-je leur rappeler que la législation sur les banques a introduit des exigences pour la lutte contre le blanchiment d’argent sale depuis plus de dix ans? Ces dispositions légales ont-elles été respectées pour venir aujourd’hui nous parler de légalité? Toutes les étapes que les autorités de contrôle sur les marchés financiers ont exigé des banques ne pouvaient pas être omises, et même, l’aveuglement volontaire en la matière est un crime.

Les dispositions de TRACFIN en France, tout comme celles de la FSA en Grande Bretagne, tout comme la CFB en Suisse ont été ignorées. Ces dispositions je vous les rappelle sont:

  1. KYC (Know your customer): Depuis plus de dix ans, les comptes a numéro et a pseudonyme complètement opaques sont bannis. Le KYC exige que l’on connaisse et que l’on documente le titulaire du compte, le proprietaire et le bénéficiaire des avoirs ainsi que tous les pouvoirs de procuration y relatifs. De plus, la législation exige que les personnalités politiques et leur entourage soient sur une liste spéciale et soient particulièrement suivis  a cause du risque de corruption.
  2. La DD (Due Diligence): Elle exige que les banques se renseignent et documentent l’origine des fonds et s’assurent qu’ils ne proviennent pas de source illicite. La définition de source illicite est très large: le blanchiment d’argent sale inclut la fraude, le crime organisé, la corruption, les retro-commissions, la fraude fiscale, le délit d’initiés, la manipulation des cours des actions… D’autre part, les dépôts en liquide de montants supérieurs a 100’000 euros  sont toujours suspects. Je sais que plusieurs millions ont été déposés en cash a plusieurs reprises dans plusieurs banques européennes. Ont-ils jamais éveillé un quelconque soupçon?
  3. TM (Transaction Monitoring) consistant a surveiller l’activité des comptes n’a-telle produit aucun rapport d’activité suspecte ? Comment les banques auraient-elles pu ignorer la loi jusqu’à présent?

Maintenant supposons sincèrement que certaines banques aient été alarmées par des transferts vers des paradis fiscaux, ou par la structuration des avoirs derrière des paravents de sociétés fictives, et qu’elles en aient rapporté a leurs autorités de contrôle. Ne leur aurait-on pas demandé, a un très haut niveau, de tout simplement laisser faire? Dés lors, la responsabilité n’est plus seulement celle des banques, mais des politiques également.

Invoquer la loi aujourd’hui c’est continuer d’être complice de Ben Ali en lui laissant le temps de retirer ses avoirs et les transférer sous d’autres cieux, espérant ainsi que lorsque arrivera la demande d’entraide, les comptes seraient déjà largement vides ou déjà clôturés.

Or, les accords de Bâle sur la gouvernance bancaire nous permettent aujourd’hui de retracer l’historique de n’importe quel compte, depuis son ouverture jusqu’à sa clôture. Nous ne demanderons pas seulement si ZABA et sa famille mafieuse ont des comptes auprès de vos banques, mais aussi s’ils ont déjà eu des comptes, depuis quand, quels montants déposés, vers quelles destinations ils ont été délocalisés ainsi que tous les rapports des systemes électroniques détaillant toutes leurs transactions. Je ne doute pas que la perspective soit désagréable pour beaucoup de politiciens…

Qu’on vienne aujourd’hui me parler de légalité me hérisse le poil alors que la loi et les mesures prudentielles ont été constamment et sciemment ignorées depuis longtemps. La France, Monaco, la Grande Bretagne et ses territoires (BVI/Channel Islands/Gibraltar), la Suisse et les autres pays de l’Union Européenne devraient revoir rapidement leur position et cesser cette hypocrisie. Ils ont la possibilité de geler les avoirs de la famille Ben Ali a titre préventif, sans attendre la demande d’entraide judiciaire car ils ne peuvent ignorer l’origine criminelle et illicite des fonds qu’ils ont accueillis sans broncher, se rendant ainsi complices de recel. Ce serait une manière de se racheter de leur lâcheté et de leur cupidité et rendre a césar ce qui est a césar. Ils devraient savoir que leurs intérêts ont maintenant changé de main, que sur la matrice des risques il leur serait dommageable de continuer de soutenir la “famille mafieuse”, sans courir un risque réputationnel d’envergure.

Alyssa