Et oui, malgré cette époque ou la médiocrité fut érigée en valeur principale de l’être humain moderne, l’impensable a eu lieu.

Je l’avoue je n’y croyais pas.

La Tunisie a enfin dit “dégage” à Ben Ali après 23 ans de règne pendant lesquels il nous a fait profiter de ses gouts raffinés pour le mauve, le chiffre 7 et les Village People (surtout le policier bien sûr).

Le vent de la liberté a enfin soufflé sur un pays insignifiant et qui, il y a peine un mois n’intéressait que les touristes de la classe miséreuse européenne qui venaient claquer ses quelques euros péniblement gagnés dans des hôtels clubs all inclusive où ils buvaient de la Celtia (bière locale) à volonté pendant que leurs femmes se faisaient baiser par les GO.

Aujourd’hui la Tunisie intéresse tout le monde : les journalistes, les sociologues, les spécialistes de géopolitique, les opposants exilés, les islamistes obscurantistes (exilés également)… et fait trembler certains : dictateurs arabes prostatiques et pro-statiques, ministres européens imprudents lors de leurs vacances, diplomates aveugles, politiques israéliens…

Pourquoi cette peur ? Parce que cette révolution spontanée est contagieuse et se répand comme une trainée de poudre dans les pays voisins dont les régimes partagent certaines “qualités” avec l’ancien régime tunisien.

Cette contagion doit bien évidemment être mise au crédit des réseaux sociaux qui ont joué un rôle majeur dans la Révolution du Jasmin. Et effet, pendant que certains s’aspergeaient d’essence pour se foutre le feu et que d’autres se faisaient trouer la peau sous les balles de la police, certains avaient le cul vissé sur leur fauteuil et surfaient sur Facebook et sur Twitter (oui je sais moi aussi). Le rôle décisif de ces derniers dans la diffusion de l’information (en l’absence de journalistes dont l’ablation des testicules date d’avant 1987) n’est plus à démontrer. C’est d’ailleurs pour cette raison que beaucoup qualifient cette révolution de première Révolution 2.0.

Cet article est un hommage à ces révolutionnaires du web dont je vais dresser la typologie. Attention, ça va faire mal.

1) L’affolé

Il est complètement terrorisé par tout ce qui se passe. Branché à la fois sur Al Jazeera, France 24 et sur Facebook, il sursaute au moindre bruit dans son jardin et crie sa terreur sur Facebook : “O sekouuuuuuuuuur il sont dans mons jardain !!!!!!!!”. Vous remarquerez qu’au-delà de la syntaxe “créative” de cette phrase, on peut vraiment se demander son utilité en plein couvre-feu. D’autant qu’une personne réellement en danger aura plus tendance à utiliser son téléphone que son statut Facebook.

2) Le témoin

Le cousin de l’amie intime de la grande tante d’un ancien collègue de bureau du frère de son ancien voisin a été témoin d’une scène terrible au niveau de l’autoroute de Bizerte. Il nous la raconte dans le détail dans une note souvent intitulée “TREEE DENGEREUXXXX” et cite sa source en osant la qualifier de fiable. Quant à la syntaxe encore une fois déplorable, je préfère la mettre sur le compte de l’émotion débordante du moment.

3) L’envoyé spécial à Tunis de l’étranger

Il est tunisien, il est en train de rentrer du boulot, il est à Paris, Montréal ou ailleurs, il est scotché a son smartphone et on se demande sincèrement quelles sont ses sources pour qu’il se permette d’écrire : ” Attention très dangereux : une ambulance volée à l’Hôpital Charles-Nicole se dirige actuellement vers Ennasser II avec des miliciens à son bord qui tirent sur tout ce qui bouge !!!! Faites attention !!!!!”. Quelle précision incroyable pour quelqu’un qui se trouve probablement dans un tunnel entre Charles de Gaulle-Etoile et George V !

4) Le serial-shareur généraliste

Après le fameux 14 janvier, il a décidé de partager tout ce qui est partageable et qui a un rapport de près ou de loin avec la Révolution : vidéos, textes, articles, mises en garde, clips musicaux… etc. Tout y passe sans la moindre cohérence. Shootez dans une poubelle vous obtiendrez le même résultat qu’en allant sur son profile Facebook. C’est le plus grand contributeur à l’hystérie générale d’autant que parfois, à force de partager n’importe quoi, il publie des vidéos datant d’il y a 3 ou 4 ans en croyant qu’elles illustrent des évènements actuels ou très récents.

5) Le serial-shareur gore Sa spécialité ?

Partager les vidéos amateur les plus sanglantes. Celles où on montre de jolis cadavres déchiquetés de très près ou des gens qui se font tuer. Plus c’est violent, plus il partage et répand tranquillement la terreur saupoudrée d’un peu de haine. Il faut lui pardonner. Après tout cette Révolution est probablement la seule chose excitante qui lui est arrivé dans la vie.

6) Le serial-shareur anti-Convention de Genève

Il a souvent soif de justice. Il s’amuse donc à partager des vidéos d’arrestations de hauts dignitaires de l’ancien régime et pousse le vice jusqu’à faire des captures d’écran des visages de miliciens présumés pour les diffuser sur internet. Il apprécie en particulier les vidéos de lynchage public.

7) L’indécent

Son sens de l’observation n’étant pas sa plus grande qualité, il continue de publier des clips de Shakira et des Black Eyed Peace, ses photos du réveillon et des statuts du style “S’est fait trop mal au dos avec sa chaise de bureau” pendant que ses compatriotes se font tirer dessus comme des lapins.

8) Le néo-facebookeur

Il a la cinquantaine et a rejoint Facebook après le 14 janvier. Se rendant compte de l’ampleur du phénomène de révolte sur internet, que les chaines d’infos n’étaient pas forcément les médias les plus fiables et que son fils de 9 ans constamment connecté était plus informé de la situation que lui, il a décidé de rejoindre la toile en entrant directement dans la catégorie serial-shareur généraliste.

9) Le “9léb vista” ou retourneur de veste

C’est le pire d’entre-deux. Avant le 14 janvier, il comptait fièrement parmi ses contacts Facebook Imed Trabelsi* et Sakher El-Materi** (si, si j’en connais… mais je ne dirai pas qui). Il lui arrivait également d’être fan de Ben Ali. Après le 14 janvier, il s’empresse d’effacer ces relations gênantes et épouse le mouvement révolutionnaire en postant des vidéos humoristiques sur ses anciens amis.

10) Le courageux

C’est une personne rare. Pour lui, la révolte internet a commencé bien avant le 14 janvier et parfois même bien avant le 17 décembre (jour de la mort de Mohamed Bouazizi). Il a partagé des infos sur les exactions de Ben Ali en utilisant Facebook, Twitter ou des blogs afin d’alerter le monde. Il a chanté des chansons ou créé une BD anti-Ben Ali. Tout cela dans la plus grande indifférence. Il prêchait dans le désert au péril de sa vie. Parfois, il a été torturé, arrêté, intimidé, on s’en est pris à ses proches… Aujourd’hui, certains de ces courageux ont enfin eu la reconnaissance qu’ils méritaient, l’un d’entre eux est même devenu Secrétaire d’Etat, tandis que d’autres resteront dans l’anonymat.

C’est à eux que je veux rendre hommage.
 
 
* Imed Trabelsi : ou Mohamed Imed Trabelsi. 2 profiles Facebook mais un seul et même voleur de Yacht. A cru pendant un temps qu’il était Tony Montana, la rue lui a montré qu’il n’était que le neveu de la coiffeuse.

** Sakher El-Materi : célèbre “business angel au firmament” (cf son site web) qui ne croit pas au Père Noel mais préfère croire à son beau-père. Contrairement à Mohamed Bouazizi, il n’a jamais eu le moindre Diplôme.