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Par Gisèle Comtois, Montréal,

N’êtes-vous pas découragés du silence des médias concernant la situation réelle et quotidienne des tunisiens, particulièrement celle des régions?

Je suis revenue à Montréal le 18 janvier dernier après un séjour de 6 mois dans la région du Kef. Depuis, les nouvelles quotidiennes que j’en reçois ne sont pas réjouissantes et montrent, dans un crescendo continuel, la montée des violences faites à ses habitants. Manifestations qui dégénèrent en violence, fermiers qui subissent des agressions et le vol de leurs pauvres acquis sans compter ceux qui ont vus leur ferme brûlée, lycées brûlés ou détruits, représailles du RCD (parti du président déchu Ben Ali) à ceux qui osent s’exprimer, vols dans les commerces mais aussi chez des particuliers, viols de plus en plus fréquent, notamment au Kef et dernièrement à Kasserine, où on a violé une fillette de 9 ans.

Des keffois me disent que leur ville est désolée, brûlée, les commerces volés, plusieurs ont muré leur entrée de brique et de ciment… Tout est fermé. Les habitants ont peur. Les locaux de la Garde Nationale ont été brûlés et volés de leurs armes, ainsi que 19 voitures de police ont été brûlées lors des manifestations de la fin de semaine du 05 et 06 février. Il y aurait eu deux morts selon les sources officielles, cependant tous les habitants du Kef savent qu’il y en a eu cinq dans les faits. Alors, que les événements ayant eu cours précédemment à Tajerouine avaient été reliés à l’initiative de jeunes étudiants, feu et vandalisme sur des lieux publics, un keffois affirme que des hommes membres du RCD y étaient aussi. Des rumeurs suggèrent que ces jeunes auraient été payés par le RCD.

07 février, troubles en plusieurs régions dont Gafsa et Sfax où une voiture associé au RCD et remplie d’armes est arrêtée par l’armée. À Sousse plus de 100 hommes commettent des vols.

08 février, d’autres régions sont touchées dont Dahmani et Mellegue, 2 morts, l’aide de l’armée est réclamée, À Sidi Bou Zid, arrestation par l’armée de policiers qui avaient en leur possession 3 boîtes remplies d’armes diverses et de munitions. Plusieurs morts à Sousse, ville qui serait dans une situation similaire à celle du Kef. Une semaine plus tôt, tout près de là, c’était 10 morts. Le Kef reçoit des renforts de l’armée de Bizerte.

09 février, viols nombreux à Kasserine. Jendouba voit deux usines brûlées. 1 mort à Tajerouine.

La semaine précédente j’obtenais l’information qu’on avait voulu mettre le feu à un policier à Dahmani, le lendemain c’était à Tajerouine, 12 policiers cette-fois-ci.

Enfin jour après jour, une région est touchée, Gafsa, Tataouine, Kasserine, Kebili, Nefta, …, je ne peux énumérer tout les événements rapportés. J’en retiens le désarroi de la population et le climat d’insécurité et de terreur subi par les habitants des différentes régions.

Pour les keffois avec qui je discute, il est clair que tous ces crimes ne sont pas le fait de la population qui aspire à la liberté et à la démocratie, mais sont le résultat de différents groupes qui ont tout intérêt à semer la terreur et le chaos, notamment les policiers et les membres du RCD corrompus, ainsi que les évadés de prisons (ils seraient plus de 10,000) qui peuvent profiter de la situation. Par ailleurs, on croit que des gens sont manipulés et payés par le RCD pour commettre différents crimes.

J’ai aussi bien reçu le message de mes amis tunisiens, déçus du silence des médias nationaux et internationaux quand à leur situation, alors qu’ils doivent faire face seuls à ce chaos. L’armée ne suffit pas à les protéger. Ils se sentent oubliés.

Des jeunes du Kef vont tenter de faire entendre leur voix et organisent une manifestation à Tunis ce 11 février de 11h – 20h, au centre-ville devant le théâtre municipal. Nesrine Aloui a créé cet événement “L’union fait la force” et l’a publié dans le Kefbook (entreprise locale), sur Facebook. Ils dénoncent les morts, les complots, l’insécurité, leur isolement, la destructions des biens publics et privés, le pillage, les “milices de Ben Ali”, les “corrompus du RCD” et les “pilleurs”. Ils accusent ces derniers de semer la terreur et l’anarchie. Ils demandent aux médias d’être plus présents et de les aider dans leur lutte, de montrer la souffrance des citoyens. Leur objectif est de rétablir l’ordre et la sécurité en appelant toute la population de la Tunisie à s’unir et à être solidaire. (Actuellement ces jeunes ont pris l’initiative de se regrouper pour nettoyer et repeindre la ville du Kef.)

J’espère qu’on entendra leur appel.

Article rédigé le 10/02/11