Caricature de Cabu parue dans le Canard Enchainé n° 4712 du 16.02.11

En pleine révolution, le clan Alliot-Marie faisait des affaires avec le clan Ben Ali, achetant au milliardaire Aziz Miled la totalité des parts d’une société civile immobilière.

MAM nous avait déjà bien fait rire avec son sketch dit « du jet-stop ». Rappelez-vous les désopilantes explications de la ministre : l’ami Aziz Miled passait juste par là avec son avion, un Challenger presque vide ! Sur le tarmac, il avait proposé de déposer toute la famille à Tabarka, où – nouvelle coïncidence – il se rendait également. Quelle chance ! Mais la véritable histoire est encore plus amusante. Non seulement la rencontre entre le puissant homme d’affaires de la galaxie Ben Ali et la ministre des Affaires étrangères n’avait rien de fortuit, mais MAM, fille attentionnée, joignait l’utile à l’agréable et accompagnait aussi ses parents en voyage d’affaires.

Car, pendant la révolution et la répression, le business continue. Le 30 décembre 2010, Ben Ali, l’épée dans les reins, est obligé de remanier son gouvernement. Les « troubles », de plus en plus violents, durent depuis douze jours. Pourtant, ce 30 décembre, à 11 heures du matin, deux employés de la commune de Tabarka franchissent, à l’abri des regards la porte de l’hôtel Sentido Beach avec, sous le bras, des registres de la mairie sur lesquels sont répertoriées les ventes de biens immobiliers ou de sociétés. Des documents qui ne doivent pas, en principe, quitter les locaux municipaux. Mais la transaction qui amène les deux employés doit rester secrète. Et, l’hôtel étant la propriété du milliardaire Aziz Miled, associé du beau-frère et de tous les gendres de Ben Ali, le maire a (pour quelques jours encore…) le doigt sur la» couture du pantalon. D’autant que l’opération en cours concerne personnellement le grand patron.

Aziz Miled et son fils Karim sont en effet propriétaires d’une société civile immobilière, Ikram, dans laquelle figurent aussi, comme associés minoritaires, avec environ 13 % du capital, Bernard Marie et son épouse, les parents de MAM. Ainsi, les liens d’amitié qui unissent les deux familles sont encore renforcés par l’immobilier. Depuis des années, les époux Marie sont en affaires avec Miled, proche de Ben Ali et soutien du régime. Et il n’est pas vraiment question de rupture : les Miled vendent, ce 30 décembre, toutes leurs parts de cette SCI à Bernard et Renée Marie, respectivement 94 et 92 ans.

A tu et à toit

Une opération forcément préparée de longue date. En Tunisie, la cession d’un bien immobilier n’est pas une simple formalité. Surtout quand l’acquéreur est étranger. Il faut impérativement l’accord du gouverneur du secteur, lui-même sous tutelle du ministère de l’Intérieur. Une procédure qui prend beaucoup de temps. A moins que, pour les Marie et leurs vendeurs bien placés, on n’ait pu brûler les étapes. A l’époque, tout était possible pour les proches du régime.

Extrait des 3 pages du registre municipal de Tabarka sur lequel est reportée la transaction passée entre Milad (autre orthographe de Miled) père et fils, d'une part, Marie père et mère, d'autre part. Dans les têtes de colonne, on peut lire, de gauche à droite : « Personne signataire », « Objet de l'opération », « Date » et « Numéro d'ordre ». L'opération est décrite ainsi : « Ikram (c'est le nom de la société immobilière) est constituée comme suit. » Le document détaille la répartition avant l'opération du jour et conclut : « Les parts de M. Aziz et Karim Milad ont été acheté (sic) par M. et Mme Marie et Renée. Capital global de société : 755 000 dinars. »

C’est en présence du directeur de l’hôtel qu’a eu lieu la signature. Pendant que ses parents tendaient leurs passeports français aux deux préposés de la mairie, MAM se trouvait à quelques mètres de là, chez le coiffeur de l’hôtel, pour un petit Brushing. Le montant exact de la transaction n’est pas connu car l’acte reçu par remployée municipale ne mentionne, selon les usages locaux, que la valeur nominale des parts, soit 755 000 dinars, environ 325 000 euros. La somme réellement payée peut être très largement supérieure.

Autre incertitude : que détient cette SCI dont les époux Marie deviennent, ce jour là, les uniques propriétaires ? Un appartement, comme « Le Canard » l’écrivait dès la semaine dernière ? Un terrain ? Les deux ? Les versions divergent. Compte tenu de leur grand âge, « Le Canard » n’a pas interrogé les parents de la ministre. Pour sa part, celle-ci nous a fait répondre : « Les éventuelles transactions effectuées par mes parents ne me concernent en rien. » Il ne s’agit sans doute pas de « biens mal acquis ». Juste acquis au plus mauvais moment…

Brigitte Rossigneux
Article paru dans le Canard Enchainé n° 4712 du 16.02.11 et mis en ligne par www.nawaat.org