Par Mourad Boussetta

Une photographie du président Obama a particulièrement attiré mon attention, il s’agit d’une réunion aux aspects familiers, le président assis confortablement sur un fauteuil, croise les jambes, il est entouré de ses ministres et conseillers, leur emplacement dans la chambre compose un arc de cercle, au milieu il y a une table basse, sur la table une grande assiette pleine de pommes. Même si les pommes vertes et rouges sont belles et bien appétissantes, donnant envie de les croquer, le président ne peut pas prendre une pomme et la croquer devant la caméra, ca sera une catastrophe dans les sondages. L’envie ne lui vient pas de tendre la main, de tenir une pomme, juste pour le plaisir de l’action ? Comme le fait tout le monde parfois, lorsqu’on est autour de la table à discuter, dans une ambiance familière, en jouant avec une pomme dans la main. La forme attirante de la pomme a fait d’elle un des sujets les plus préférés de la nature morte, on se rappelle des tableaux de Cézanne, de Matisse, c’est pour cela qu’on décore la table du président d’un panier plein de pommes belles et appétissantes. C’est pour dire que le président a du goût, pour nous le faire montrer dans une image intime et pacifique, c’est un choix bien étudié.

Le rôle de la pomme s’arrête là, devant la caméra le président n’a pas le droit de la croquer, ce n’est ni programmé ni étudié. Le président n’est pas libre ? Le président est un robot qui fonctionne selon un programme ? Le président est inhumain ? Il n’a pas les mêmes soucis que nous ? Non, Mr, instrumentalise la pomme pour maintenir son autorité et garantir une meilleure pronostique. La pomme sort de la nature morte pour entrer dans un système de signification très complexe de marketing qui vise à mieux vendre l’image du président. Le président ne peut pas manger la pomme tant qu’elle ne lui est pas servie par l’équipe de nourriture (je ne sais pas si cette équipe existe), malheureusement pour lui, il n’y a plus de fou qui goûtera chaque aliment avant lui, pour s’assurer que rien de mal ne peut arriver au président, sinon ça aurait pu passer sur facebook et des millions de gens verraient ça !

La pomme qui a tombé de la brouette de Mohamed Bouazizi peut elle un jour trouver sa route vers l’assiette d’Obama ? Celui qui n’a jamais cessé de nous donner des leçons sur la démocratie, son assiette a rassemblé tant de loups du monde. Au début la pomme de Bouazizi a commencé comme un fait divers, rien de marquant, un marchand ambulant a qui on saisit la marchandise, ses fruits sont renversés dans la rue, puis quand la pomme va chauffer socialement et politiquement, elle n’est plus un fait divers, elle devient un fait patriotique, un fait mondial, c’est la révolution en irruption. La pomme de Bouazizi et celle d’Obama ne peuvent pas se rencontrer, la première attire les libres du monde, chasse les tyrans et les dictateurs, la seconde attire les loups du monde et la convoitise. Si on met la pomme de Bouazizi dans l’assiette d’Obama, elle va rouler de l’assiette, rouler de la table, elle ne supporte pas la mise en scène, son maître s’est brûlé vif pour protester contre la mise en scène emportant tout le pays dans le filet du dictateur. La pomme est sensible, il y a des moments ultimes dans l’histoire, où les objets auraient les sentiments que les hommes ont perdu, aveuglés par le calcul des intérêts, ce moment la Tunisie l’a connu, les tunisiens l’ont vécu. Les loups du monde rôdent dans une seule orbite, celle de la tyrannie, mais il a suffit d’une seule étoile filante pour les faire disperser et punir à jamais, notre étoile filante fut Mohamed Bouazizi, elle était le coup fatal qui allait libérer nos âmes, nos esprits et nos destins, des tenailles sauvages de la dictature. Tous les soirs, les poètes du monde vont écrire jusqu’à l’aube, pour célébrer le voyage de notre âme vierge dans la galaxie, cette âme qui a brillé avec sa lumière sur les zones de la peur pour les épurer et les purger des souillures de la bêtise humaine, ramenant la liberté et la dignité.

Le courage est parfois, de se faire brûler pour éclairer les autres, de les faire sortir des ténèbres, pour aller ensuite s’unir à la lumière divine, Bouazizi n’est pas mort, il brille encore sur nous. Il n’était pourtant ni islamiste ni marxiste, ni de gauche ni de droite, aucune appartenance politique ; il était un être humain, humble, surtout fier de lui-même, il ne pouvait supporter « el hogra* ». Il est parti avec une seule conviction, refuser l’humiliation du pouvoir, la corruption, de l’injustice. Sa voix a été entendu et il était dans un rendez vous avec l’histoire, bien d’autres jeunes arabes ont essayé de faire comme lui, mais les pauvres ont perdu leur dernier soupir étouffé par les flammes, Mohamed Bouazizi était l’étoile filante dans la nuit de la dictature arabe, la révolution qui éclate en Égypte le prouve.

Mourad Boussetta
Enseignant à l’école des beaux arts de Sousse

* En dialecte tunisien, el hogra signifie l’humiliation.