Les articles publiés dans cette rubrique ne reflètent pas nécessairement les opinions de Nawaat.

Par Slim Dali,

Un article paru sur Nawaat est en faveur de l’annulation de la dette en Tunisie. Les limites de cette demande ainsi que la situation budgétaire de la Tunisie, amènent à concevoir que le pays doit payer sa dette et solliciter plutôt de nouveaux prêts pour des investissements productifs et créateurs de richesse.

Les limites d’une demande d’annulation de dette

Depuis peu, on voit émerger des demandes émanant du Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers Monde (CADTM) ou d’autres groupes le soutenant, pour l’annulation de la dette « odieuse » et « illégitime ». Deux concepts qu’il convient brièvement de présenter avant de montrer les limites d’une telle demande. La dette odieuse est une dette contractée par des régimes oppressifs ou corrompus non pas pour répondre aux intérêts et aux besoins de l’Etat, mais pour leur propre usage ou pour l’achat d’armes. Une dette illégitime est une dette qui, du fait de son remboursement, ne permet pas au gouvernement concerné de mener des politiques sociales vitales pour les populations. La dictature de Mobutu au Zaïre, de l’Argentine ou le régime de l’apartheid en Afrique du Sud, sont les cas les plus souvent cités.

La dette de la Tunisie ne se retrouve ni dans le premier concept, ni dans l’autre. Certes, le régime de Ben Ali était une dictature où la corruption était pratiquée. Mais il serait plus juste de préciser que l’enrichissement gargantuesque des familles proches du pouvoir était principalement le fait d’une main mise du secteur privé et dans une bien moindre mesure de la captation de certaines recettes du Trésor Public, plutôt que de l’utilisation directe de l’endettement de l’Etat. D’ailleurs, la Banque Centrale de Tunisie a annoncé fin février que les banques tunisiennes ont consacré 2,5 milliards de Dinars au financement de 182 entreprises liées à la famille du président déchu. Plusieurs membres de cette famille sont accusés d’avoir illégalement pris des participations (partielles ou entières) dans des entreprises publiques ou de s’être accaparé gratuitement des domaines appartenant à l’Etat. Ces spoliations n’ont pas nécessité un accroissement de la dette et vont être restitués, dans le droit, à l’Etat.

Cette demande d’annulation de dette peut relever d’une certaine absurdité si on devait aller au terme de sa logique. En effet, demander l’annulation de la dette parce qu’elle a été contractée sous Ben Ali, reviendrait à se séparer des différents biens publics (infrastructures, écoles, hôpitaux, éclairage…) qui ont nécessité un emprunt public pour assurer leur construction sous l’ancien régime. Néanmoins, réclamer que les avoirs des familles de Ben Ali, et il est important de pouvoir les récupérer, servent à financer le service de la dette ou à assurer des programmes d’investissement (ce qui reviendrait au même, le second évitant d’accroître le premier), est tout à fait acceptable.

La Tunisie doit honorer sa dette

Après la « crise des ciseaux » dans les années 1980, combinant les chute des prix des matières premières exportées et de l’augmentation des taux d’intérêt, et qui a conduit à une forte détérioration des finances publiques en Tunisie, le Programme d’ajustement structurel (PAS) a été proposé par le FMI. Au-delà des impacts sociaux engendrés par le PAS, qu’il conviendra d’analyser précisément, la Tunisie a fait preuve d’une grande rigueur dans la gestion de sa dette qui représente 42,9% du PIB en 2009 et avec un déficit public de 3,0%, selon les données de la Banque Centrale. Par ces observations en dessous des seuils fixés par le traité de Maastricht et à partir desquels la dette de l’Etat peut devenir insoutenable (60% pour la dette et 3,0% pour le déficit public), on admettra que la Tunisie est un pays peu endetté. De ce fait, une demande d’annulation de la dette bilatérale (de pays à pays) ou multilatérale n’est pas justifiée, au regard de la situation peu enviable de pays en développement présentant un endettement très excessif. Un investissement public nécessitant toujours un emprunt – règle s’appliquant à tous les Etats du monde – la Tunisie doit plutôt solliciter un soutien important des banques de développement. Différents outils financiers existent comme les prêts bonifiés qui permettent de faire bénéficier un pays d’un montant emprunté à faible taux d’intérêt grâce à une aide de l’Etat prêteur. D’ailleurs la Banque Africaine de Développement ou la Banque Européenne d’Investissement, que l’auteur de l’article mis en référence estime absurdement qu’elle a financé la dictature ces dernières années, ont déjà des projets de financement avec la Tunisie.

Plutôt que de demander une assistance non justifiée, qui impacterait notre crédibilité, il est primordial que la Tunisie sollicite un soutien des différents bailleurs internationaux pour assurer des projets d’investissement de moyen terme. Car ce sont précisément les nouveaux projets qui pourront générer de l’activité, donc créer des emplois et permettre – c’est une impérieuse nécessité – de remédier au malaise social qui prévaut dans les régions de l’intérieur. Un endettement maîtrisé est donc nécessaire pour construire un nouveau modèle économique en Tunisie, capable de créer de la richesse dans toutes les régions et pour tous les Tunisiens.

Slim Dali pour El Mouwaten