Les articles publiés dans cette rubrique ne reflètent pas nécessairement les opinions de Nawaat.

Acte I : Ode à la liberté

Facebook fut un élément décisif dans la délivrance des millions de Tunisiens. L’information et les images sanglantes d’une répression sans merci circulaient en temps réel poussant le peuple à briser les murs de silence et à crier sa soif de liberté. Le Tunisien agonisait avec chaque goutte de sang de nos martyrs imbibant la terre des petits fils de Massinissa, d’Hannibal Barca et d’Ibn Khaldoun. Un élan de solidarité et de fierté rassembla les enfants de cet ancien pays qui est le nôtre. Pour une fois, femmes, hommes, jeunes et vieux se levèrent et chantèrent en chœur la polyphonie de la hardiesse pendant que la planète entière s’émerveillait devant les belles images de la révolution. Une jeunesse éduquée maitrisant à la perfection la cyber-technologie contribua à la déchéance du dictateur. Les Tunisiennes et les Tunisiens ont été épris par une euphorie jouissive après la fuite de Ben Ali. Des mois après cet exploit doux comme un songe d’une nuit d’été Tunisien, que devient Facebook ? Que devient cette jeunesse ? Que devient notre révolution ?

Acte II : À la recherche de soi

Le dictateur est parti laissant des rejetons nuisibles et très difficiles à extorquer car enracinés partout. Les vrais chiffres commencent à apparaitre : 24,7 % de la population vivent sous le seuil de la pauvreté fixé à deux dollars par jour et par personne; 700.000 chômeurs, dont 170.000 diplômés du supérieur. Le bilan est alarmant et l’héritage sera difficile à surmonter.

La pression fut énorme tous ces derniers mois : une situation sécuritaire précaire, des vagues soudaines de vandalisme, des couvre-feu, des fuites de prisons, deux sit-in populaires, un changement de gouvernement cherchant une crédibilité chimérique, un appareil policier tantôt trop conciliant tantôt béotien, la création des Comités et des Conseils par si et par là sans savoir par qui, une prolifération de revendications sociales, une cacophonie abasourdissante entre frustrés de ne pas voir des retombées concrètes de la révolution et conservateurs craignant le chaos économique, des forces des ténèbres voulant à tout prix s’échapper à la justice face aux crimes du passé, des déclarations enflammées et échanges d’accusations entre personnages publiques et autres « de l’ombre », une déchirure entre les défenseurs d’un Etat sans bannière rassemblant tous les citoyens et ceux croyant au retour du Fils Prodigue émergeant du brouillard « Tamisien » muni de sa «potion magique orientale» pour réconcilier le pays avec « son identité » mais laquelle? Des charognards arrivistes, jadis incapables face aux gardiens du temple, mais retrouvant une chance de se déployer suite à l’éviction des cancres du système décadent, des partis politiques essayant de se frayer un chemin dans ce bouillon d’un pays à la recherche de soi, des élections reportées. Et puis, il ya la guerre en Libye et ces inconnus portant des armes et des explosifs et les marionnettistes du G8 prenant le monde pour un Théâtre d’effigie. Mais que devient Facebook ? Que devient cette jeunesse ? Que devient notre révolution?

Acte III : Regardons-nous en face

Facebook, Twitter et la blogosphère furent une véritable arme s’échappant au contrôle d’un appareil de renseignement surpris par ce phénomène. La campagne « Sayeb Sala7» a démantelé les méthodes classiques des contrôles sécuritaires de la masse; elle a également sonné le glas d’une génération d’oppresseurs d’opinion. Après la révolution, le monde éléphantin a saisi le pouvoir qu’internet joue dans la circulation rapide des informations et de suite, les Richelieu et les Francis Walsingham des temps modernes se sont jetés sur Facebook comme des affamés : campagnes publicitaires, inondation du web de l’intox, témoignages vidéos à tort et à travers. Le Tunisien s’est déchaîné, les langues se sont déliées et les équipes se sont formées; chacune se battait pour ses mentors. Des partis politiques sont rentrés dans la surenchère se vantant le nombre de personnes présentes dans leurs meetings, réglant leurs comptes avec leurs adversaires et vendant la peau de l’ours. Des pages entières comptant des dizaines de milliers de fans pensaient que la révolution fut de leur œuvre. Les administrateurs de ces pages croyaient avoir le pouvoir sur le Tunisien, c’est alors qu’ils ont commencé à afficher leurs préférences et à servir les agendas de certains partis politiques. Mais que devient cette jeunesse ? Que devient notre révolution? Que sont devenus nos martyrs ?

Acte IV : Personne n’a de lecons à donner à personne

Père Fouettard tu ne réussiras point. Alors que tu pensais avoir l’emprise sur le Tunisien en manipulant le web et en servant les intérêts de ton Maître, la jeunesse s’est arrêtée de s’exprimer sur les réseaux sociaux tout en continuant à vous observer. Administrateurs des grandes pages de Facebook, ce n’est pas vous que vous avez fait la révolution.

Cette révolution appartient à toute la société ; elle est le fruit d’un élan généreux de solidarité sans calculs. Chefs des partis politiques, ce n’est pas en remplissant vos salles de meetings que vous gagneraient les élections. Sans vouloir vous faire la morale puisque personne n’a de leçons à donner à personne. Je vous demande simplement de ne pas vous moquer de cette jeunesse qui a de l’intuition. Ayez de l’égard pour elle ! Respectez les âmes de nos martyrs ! Ne faites pas les mêmes erreurs que ceux qui vous ont précédé !

Mais alors que devient notre révolution ? Que devient-elle?

Acte V : Nous avons du pain sur la planche

Avons-nous raté le bon départ ? Sommes-nous en train de nous réjouir du spectacle des Zanni où Scapin est en train flirter avec Sganarelle dans une commedia dell’arte à l’Italienne ? Force est de constater que l’essentiel n’a pas été fait. A mon humble avis les questions suivantes restent sans réponses convaincantes:

  • La justice : Qu’avons-nous fait pour que le Conseil Supérieur des Magistrats soit élu ? Qu’est-ce que nous attendons pour le faire ? Que pouvons-nous envisager pour que la justice ne soit plus sous tutelle de l’exécutif ?
  • La solidarité : Sommes-nous prêts (au niveau de l’exécutif comme au niveau des citoyens) à être solidaires avec les familles des martyrs et des personnes démunies et sans emploi car ce sont ces personnes là qui nécessitent des interventions urgentes ?
  • Les medias : Mettons-nous d’accord sur le fait que la libération des medias ne consiste pas uniquement à donner la libre expression aux journalistes mais aussi à donner les autorisations sans réserve et dans les délais les plus brefs pour la création des chaines télé, des radios et des journaux. Pourquoi ceci n’a pas été fait ?
  • La réhabilitation de la Police : Quelles sont les mesures qui ont été prises en terme de programmes de formation pour faire de notre police une force Républicaine ne prenant pas justice par elle-même ?
  • La citoyenneté : Avons-nous pensé à faire notre autocritique en tant que citoyens ?

Sommes-nous prêts à revoir notre comportement civique en matière de conduite sociale et du respect de notre environnement ? Allons-nous instaurer un code de conduite nécessaire pour un débat démocratique. Acceptons-nous le droit à la différence? Quandest-ce que nous serions convaincus par la priorité des reformes politiques et celles de la justice au détriment des revendications sociales proposées à un gouvernement nonlégitime puisque non-élu ?

Voilà où nous en sommes mais il reste le dernier Acte.

Dernier acte : « lève-toi et marche »

C’est toi, mon compatriote que j’aime tant qui rédigera le dernier acte de notre révolution. Je te confie cet acte, il est à toi mais je te suivrai vers le chemin de la liberté.

Pour l’amour de chaque olivier planté et arrosé par la sueur de nos ancêtres ne fais plus en sorte que des semblables de M.A.M proposeraient de l’aide à notre pays en matière d’expertise policière. Donne la réponse que nous souhaitons tous au journaliste Français Eric Zemmour, trop sûr de lui, lorsqu’il déclara dans l’émission de Laurent Ruquier: « on verra ce que cette révolution deviendra dans six mois ou un an ». N’est-elle pas la plume d’un « gars de chez nous » qui dessina les lignes suivantes ? :

Lorsqu’un jour le peuple décide de vivre, Force est pour le destin de répondre, Force est pour les ténèbres de se dissiper, Force est pour les chaînes de se briser.