En réponse au rapport des experts mandatés par un groupe d’avocats, à leur tête Maitre Ben Hassena, pour étayer leur plainte contre l’ATI exigeant le filtrage par cette dernière des “sites à caractère pornographique et contraire au valeures arabo-musulmanes“, Un groupe de cinq experts tunisiens indépendants a effectué une étude technique sur l’efficacité et les couts engendrés par une telle demande.

Leur conclusion est sans appel : non seulement l’efficacité d’une telle mesure est loin d’être prouvée mais le cout engendré par la mise en place d’un tel filtrage est estimé pour les cinq prochaines années entre 72 et 79 millions de dinars (selon la solution utilisée).

Rappel des faits : Une plainte en référé de trois avocats, pour qui la pornographie virtuelle est une menace pour les enfants à été déposée au tribunal de grande instance de Tunis. En première instance le 26 mai, le juge donne raison aux plaignants et somme l’Agence tunisienne d’Internet de filtrer les sites pornos.

Ne voulant plus jouer le rôle du censeur, l’ATI et à sa tête son nouveau PDG, Moez Chakchouk, ne se laisse pas faire et fait appel.Son recours, demandant la suspension du jugement, a été rejeté, le 13 juin. Le jugement sur le fond de l’affaire prévu initialement pour le 4 juillet à été en fin de compte reporté au 18 juillet.

Le rapport que nous publions ci-dessous, sera rajouté au dossier de la défense.

M.K

———————————————————————–

Avis technique sur la censure des sites WEB en Tunisie

Introduction

Protéger les franges de la population tunisienne à risque, du contenu numérique immoral sur Internet, est un devoir national incontestable. Ce qui l’est, cependant, est la manière et l’instance choisie pour le faire. En effet, confier la mission de censurer les sites indésirables à l’Agence Tunisienne d’Internet, fournisseur grossiste des accès internet en Tunisie, n’est certes, pas le choix le plus judicieux.

Cette note commence par critiquer les arguments du rapport technique présenté par la partie civile. Ensuite elle donne une estimation financière de l’investissement en équipement de censure par l’ATI. Puis elle donne les alternatives au filtrage au niveau de l’ATI.

Commentaires sur le rapport de la partie civile

Le rapport des experts auditeurs en sécurité informatique qui soutiennent la censure par l’ATI stipule que le filtrage des sites à caractère pornographique centralisé au niveau des autorités nationales (en occurrence l’ATI) représente l’unique solution efficace. Nous estimons que non seulement cette solution n’est pas unique, mais encore son efficacité n’est pas prouvée.

Le rapport des experts auditeurs en sécurité informatique qui soutiennent la censure par l’ATI évoque des scénarii d’accès involontaire à des sites indésirables à cause de la présence de l’historique des accès ou à cause des popups. Les solutions techniques à ces problèmes sont accessibles et faciles à appliquer. Il suffit d’appliquer les bonnes pratiques d’usage de l’outil informatique.
En outre, la censure par l’ATI de certains sites ne peut pas représenter une solution sérieuse aux problèmes de spams.

De plus, le rapport des experts auditeurs en sécurité informatique qui soutiennent la censure par l’ATI évoque des chiffres émanant de sources non vérifiables pour soutenir leur propos, à savoir le nombre de fans de certaines pages du réseau social Facebook.

La censure au niveau de l’ATI : Impacts financiers

Nous présentons dans cette section une estimation d’une solution de filtrage URL, similaire à ce qui est mis en place par l’ATI, pour 4 Millions d’internautes (nombre estimatif des internautes Tunisiens) dont 10% seulement accédant simultanément à Internet et un débit maximum de 40 Gbps.

Il s’agit de prix GELA (Government & Education) avec réduction de 90%. Donc il s’agit de prix réels.

L’estimation se base sur 02 options : Option 1 (Websense + Brocade Load Balancers) et Option 2 (Cisco).

Sur cinq ans l’option 1 (la moins chère) dépasse les 72 millions de dinars en coûts d’investissement hors taxes et hors services!! Les détails dans l’Annexe 1.

Cliquez sur l'image pour agrandir.

Nous remarquons que l’investissement est très lourd et si on ajoute les coûts des services, alors les montants peuvent grimper sensiblement.
Efficacité

Les équipements et les outils utilisés affectent certainement la qualité de service rendue aux internautes Tunisiens, ce qui peut avoir des impacts négatifs sur les intérêts des sociétés existantes en Tunisie et notamment les sociétés exportatrices et étrangères.

Hormis les techniques sophistiquées utilisées, l’efficacité de ces mesures ne sont pas garantie à cause des possibilités qu’offrent les flux RSS, les réseaux peer to peer et les échanges dans les forums et les réseaux sociaux sans parler des proxies. Enfin, un trafic indésirable hébergé et accédé au niveau du même fournisseur d’accès est invisible par l’ATI, ce qui rend cette dernière incapable de censurer ce contenu.

Alternatives

Parmi les alternatives à cette solution, nous préconisons le contrôle parental, la sensibilisation des parents, le filtrage au niveau des fournisseurs d’accès Internet.

Certaines personnes estiment que le contrôle parental est difficile à assurer à cause des limites de connaissance en informatique chez les parents. La sensibilisation s’avère très efficace et inéluctable. En effet, le citoyen tunisien a le droit d’être sensibilisé par les institutions nationales, la société civile et les média aux bonnes pratiques quant à l’usage de l’Internet. Par ailleurs, nos familles ont depuis des années été obligées à utiliser le contrôle parental pour interdire aux mineurs l’accès à certaines chaînes TV satellitaires.
Le filtrage des sites à caractère pornographique peut être fait au niveau des fournisseurs d’accès Internet sur demande de l’abonné. D’ailleurs, ce service peut être un atout concurrentiel entre les fournisseurs. Ce service est déjà proposé par des fournisseurs tunisiens privés.

Parmi les avantages de cette solution, le filtrage s’effectue sur une bande passante beaucoup moins importante que celle du filtrage au niveau de l’ATI, ce qui réduit les coûts d’investissement et les coûts récurrents et diminue les effets secondaires relatifs à la diminution de la qualité de service. Des coûts que ces fournisseurs peuvent amortir puisqu’il s’agit d’un service pouvant être facturé au client final (augmentation raisonnable du coût d’abonnement pour les demandeurs du service)

En outre, le filtrage sur demande et par des opérateurs privés permet à la Tunisie de demeurer dans une position avancée dans le classement des pays respectant les libertés sur Internet.

Conclusions :

La complexité de mise en œuvre technique et l’absence de garantie du bon fonctionnement du filtrage par le biais d’une solution centralisée au niveau de l’ATI est techniquement: inefficace car elle ne couvre pas l’ensemble des flux menaçant (flux RSS) onéreuse fait guise de double emploi car une offre similaire est disponible au niveau des FSI (Fournisseur de Service Internet) pénalisante au niveau débit donc altère la qualité de service …

La protection de la population à risque peut être faite sans pénaliser la population qui n’est pas à risque à travers un service à la demande du client du FSI.

Néanmoins ; une meilleure solution serait un service fournie par les FSI et sur demande du client, a l’instar des expériences réussies dans d’autres pays tout en préservant les libertés individuelles et en protégeant la population concernée. D’ailleurs certains FSI et des sociétés de services dans le domaine de la sécurité informatique offrent ce service en Tunisie.

La protection de la population à risque peut être assurée au travers d’un service à la demande du client, auprès de son Fournisseur de Services Internet. Ceci sans pénaliser pour autant, la population qui ne risque rien, ni la priver de son droit de s’informer librement sur Internet. La solution proposée permet de donner confiance à notre peuple tout en le responsabilisant pour son avenir. Mission dont il a fait la preuve qu’il en est amplement digne.

Document est élaboré par un groupe d’experts indépendants :

Aos AOUINI, Lead Auditor ISO 27001, Expert auditeur certifié par l’Agence Nationale de la Sécurité Informatique.

Mohamed Karim AROUA, Certified Information Systems Security Professional, Lead Auditor ISO 27001, Expert auditeur certifié par l’Agence Nationale de la Sécurité Informatique.

Bel Gacem AYACHI, Membre de l’Instance Nationale pour la Protection des Données Personnelles, Expert auprès des Tribunaux spécialistes des Réseaux et de la Sécurité Informatique.

Mohamed Ridha CHEBBI, Certified Information Systems Security Professional, Expert auditeur certifié par l’Agence Nationale de la Sécurité Informatique, CA (Aprisma) Spectrum Advanced Training Certification, RSA Security Best Regional Patner Award 2000-2004.

Dhamir MANNAI, PhD, Certified Information Systems Security Professional, Lead Implementor ISO 27001, Expert auditeur certifié par l’Agence Nationale de la Sécurité Informatique.