On s’attendait une croissance nulle cette année, finalement elle serait de -3% selon les dires du Premier ministre Béji Caied Essebsi. Une annonce terrible passée presque sous silence, les partis et autres personnalités politiques et publiques étant trop occupés à parachuter d’autres débats comme l’identité, la laïcité ou la normalisation avec Israel, comme si le pays s’est soulevé pour ces puérilités. A 3 mois des élections de l’assemblée constituante, on n’a rien trouvé de mieux que de jouer sur les émotions, oubliant au passage que d’ici décembre 2011, nous aurons 700 000 chômeurs.

Ces chômeurs qui semblent bien être oubliés en cours de route constituent pourtant, un enjeu majeur dans la reconstruction du pays, car jamais le pays ne pourra se stabiliser si ces jeunes restent marginalisés, désillusionnés, et encore plus frustrés de se retrouver dans la même situation que 7 mois plus tôt. Faut-il peut-être rappeler au passage, que le premier slogan scandé dans les manifestations en décembre 2010, était simplement :شغل -حرية- كرامة وطنية / Travail- liberté- dignité nationale. Le travail était donc, une des premières revendications d’un peuple dont le malaise social ne pouvait plus être dissimulé.

Le problème du chômage n’est pas post-révolutionnaire. Il faut savoir que lorsque la Tunisie faisait 5% de croissance économique, on avait 491 800 chômeurs (mai 2010) soit un taux de chômage de 13%.

Derrière ce 13 %, (un taux déjà considérable), se cache une réalité encore plus triste ; le chômage des diplômés et les disparités entre les régions (les régions de l’intérieur du pays étant plus touchées que celles de la côte).

Les chiffres longtemps tabous sont inquiétants. Selon la dernière étude de l’INS (2010) : le chômage des diplômés du supérieur représente le deuxième taux le plus haut. Pire, il est passé de 14% en 2005 à 32% en 2010 !

Dans un pays qui a misé sur l’éducation et l’enseignement, l’état des lieux aujourd’hui est une catastrophe. Le chômage chez les diplômés du supérieur est le plus signifiant représentant 22.9% du total, et passant de 55 800 chômeurs diplômés en 2005 à 139 000 en mai 2010, soit une hausse de 150% en seulement 5 ans.

Chez les techniciens supérieurs, le nombre de chômeurs est passé de 17 900 en 2005 à 57 900 en 2010 représentant la filière la plus touchée par le chômage avec 41.6% du total des chômeurs diplômés du supérieur.
Un autre constat encore plus inquiétant: pour toutes les filières, le nombre de chômeurs augmente considérablement chaque année.

Plus aucun doute, le système universitaire est au bord de la faillite, et ce n’est certainement pas un hasard si selon le dernier classement Shanghai, notre meilleure université, l’université de Sousse, arrive à la… 6719ème place ! Pis, quand les diplômés du supérieur représentent la catégorie la plus touchée par le chômage, l’aveu d’échec du système d’enseignement semble inévitable. Beaucoup de théorie, très peu (voire pas du tout) de pratique, des étudiants de plus en plus médiocres, des enseignants de moins en moins compétents, inadéquation entre les cursus universitaires proposés et le marché de l’emploi;l’université tunisienne n’a cessé de fabriquer des diplômes et d’ignorer l’insertion professionnelle: une véritable usine à chômeurs! Chaque année, des milliers de jeunes décrochent leurs diplômes pour se retrouver au café du coin à s’acharner sur leur sort. Le pire, c’est que la situation s’aggrave d’une année à une autre, avec un excédent de la demande qui permet aux employeurs de baisser les salaires et de renforcer la précarité au lieu de la résoudre.

La situation économique de la Tunisie aujourd’hui est assez sensible. En plus de la forte baisse des recettes touristiques (-51% )et la perte de milliers d’emploi depuis janvier 2011, le pays subit les dommages collatéraux de ce qui se passe en Libye et doit faire face à la flambée des prix des matières premières. Se permettre le luxe de ne pas parler de l’économie du pays aujourd’hui pour se rabattre sur des sujets populistes histoire de grignoter une partie de l’électorat encore naïf en matière de politique, est une supercherie, car la stabilité politique et sociale ne sera jamais garantie sans la stabilité économique, et pour cela, il faut guérir la Tunisie du chômage.

Sarah Ben Hamadi
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