Vous l’avez certainement constaté : le tunisien a du mal à réaliser qu’il vient de vivre une révolution. Et il a encore plus de mal à reconnaitre ce qu’il réalise, par ses propres mains, comme avancées, dans le sillage de cette révolution. Non seulement il a du mal à reconnaitre ses avancées, mais il s’efforce, systématiquement, de les vider de leur teneur et d’en amoindrir la portée.

Essayez d’aller lui poser, à notre cher tunisien, les questions les plus “évidentes” sur les différents faits que connait le pays; Le genre de questions que vous poseriez pour recueillir, sans grande surprise, les doigts dans le nez, les plus belles tirades sur l’avenir d’un pays qui réécrit son histoire… (trop beau tout ça). Eh bien vos tirades rêvées, vous pouvez continuer à en rêver. Et pour vous plomber le moral une bonne fois pour toute, ce dernier n’hésitera pas à vous servira un discours bien enrobé d’une négativité caractérisée et enracinée. Echantillon à l’appui : “Que pensez-vous de la révolution ? – Quelle révolution ! Il n’y a jamais eu de révolution dans ce pays…”.

“Ne devriez vous pas reconnaitre que le processus enclenché pour instaurer la démocratie mérite d’être salué ? – Plutôt mourir que de le reconnaitre, c’est de la poudre aux yeux. Et de toutes les manières nous ne sommes pas faits pour la démocratie…”. “Vous avez remarqué, les bureaux d’inscription aux élections sont ouverts tout au long de la journée durant toute la semaine, et l’inscription ne prend que quelques instants ! – Ça, c’est ce qu’ils racontent à la télé, moi je mets ma main à couper que le jour où je me pointerais à l’un de leurs bureaux, j’aurais à attendre une éternité, et qu’à l’instant où l’un des agents daignerait s’occuper de moi, leur système plantera…”

Alors où est ce que cette négativité, qui frôle la mauvaise foi, trouve son origine ? Pourquoi le tunisien a tant de mal à reconnaitre qu’aujourd’hui, quand il achète un journal, c’est pour le lire, que quand il écoute ou regarde un débat, c’est pour avoir des éléments sur de vrais questions touchant à son quotidien ou son avenir, que quand il participe à une manifestation ce n’est pas pour passer la nuit (ou le restant de ses jours) dans des endroits inconfortables… ?

Une explication à ce phénomène serait que le tunisien, pris au dépourvu par les événements, n’a pas eu le temps de se préparer à son nouveau statut d’homme libre et a choisi délibérément la solution de facilité : tout rejeter en bloc. En fait, la logique voudrait que chaque individu, avant d’émettre un avis sur n’importe quelle question, fasse l’effort d’analyser la situation, de quantifier les écarts et de critiquer dans l’optique de corriger les défaillances constatées et de signaler, si c’est le cas, les atouts repérés. On étant négatif, on a par définition la possibilité de tout rejeter en bloc, ce qui nous épargne de dérouler le processus cité et de n’avoir qu’un seul panier pour tout mettre dedans.

Une explication, éventuellement complémentaire, et plus culturelle, serait que le tunisien, qui a été longtemps privé de construire et de participer à l’action politique et économique, a choisi, par défaut, de s’opposer, au fond de lui-même, à tout ce qui se faisait, pour continuer d’exister. Quand on s’oppose systématiquement, on est négatif (c’est la définition même). Et le tunisien a eu le temps qu’il faut pour cultiver sa négativité, et a fini par en faire un état d’esprit dont il n’arrive plus à s’affranchir.

En persistant dans la négativité, nous courons le risque de fragiliser notre capital confiance – ou ce qu’il en reste-, d’affecter nos fondamentaux et de favoriser considérablement la médiocrité. Comment faire, alors, pour l’éradiquer, cette négativité ?

Une chose est sûre, il en faudra du temps… En attendant, est-il encore possible, éthiquement, de demander, de la manière la plus aimable, à ceux qui n’ont rien à dire, à part verser dans la négativité, de ne rien dire -ne serait ce que temporairement- et de les inviter à jouir pleinement de leur précieux droit de garder le silence ?

AYJ