Chers 100 partis, vous êtes nombreux, vos noms sonnent comme des slogans. Comme Tunisien, je ne sais pas réellement ce que vous valez, ni ce que vous allez apporter à notre chère Tunisie.

Certains d’entre vous étaient déjà là sous Ben-Ali, avec plus ou moins de connivence avec son régime. D’autres germaient à l’étranger avec je ne sais quelles fréquentations et influences. D’autres ont poussé comme des champignons au lendemain du 14 Janvier 2011, se contentant de coller deux ou trois termes (Liberté, Développement, …) pour se définir. Les plus historiques semblent émerger des réminiscences des débats idéologiques des campus tunisiens des années 70. D’autres sont même nés des cendres du RCD. Entre-nous, le RCD est-il vraiment mort ?? Je pose cette question car j’ai souvent l’impression de le voir encore partout !!!

On vous accuse tous de n’avoir qu’une seule obsession : la guerre politique pour arracher le maximum de sièges a l’assemblée constituante. Depuis des mois, nos préoccupations réelles semblent passer au dessus de vos têtes. Et mon sort de Tunisien dans tout çà ? Mon avenir ? Celui de ma famille et proches ? Mon emploi ? Ma sécurité ? Etc.

En même temps, nous sommes – nous Tunisiens – obligés de faire avec ce que nous avons, y compris vous les 100 partis politiques (il faut que je fasse gaffe, car ce chiffre a certainement augmenté depuis que j’ai entamé cette lettre). J’admets que nous avons la classe politique que nous méritons, qui est le reflet d’une médiocrité entretenue par une cinquantaine d’années d’aliénation des Tunisiens.

Bref, nous sommes obligés de faire avec ce qu’il y’a comme offre. En même temps, nous ne laisserons jamais s’opérer un retour en arrière : vous avez des comptes à nous rendre comme citoyens. C’est pourquoi j’exige des réponses claires avant de donner mon vote à l’un de vous (çà vous rappelle quelque chose cette expression : « le Peuple Exige … الشعب يريد» ???). Le temps du vote par aliénation est fini ou est en train de finir. Donc, il vaut mieux ne pas trop compter dessus pour votre avenir de partis politiques.

Revenons à nos moutons (l’Aïd Kabîr est encore loin, heureusement pour ces pauvres bêtes … pas si bête que çà!!): comme citoyen Tunisien, j’ai des questions et des interrogations qui me serviront à vous départager lors du vote du 23 Octobre 2011, ou du moins à commencer par alléger cette liste de 100 partis. En effet, je compte faire mon choix en 2 temps : d’abord par élimination pour ne laisser que quelques partis ou blocs capables d’apporter des réponses à TOUTES mes interrogations, puis choisir celui qui apporte les réponses qui me convainquent et me conviennent.

Avant de lister ces questions de fond, je précise une règle simple de notation : la non-réponse équivaut à une très très très mauvaise réponse et est éliminatoire. Ainsi, les réponses sont obligatoires pour toutes les questions pour passer la première phase d’éliminatoires (‘disqualifications’). Allons-y !

1- Qu’adviendra-t-il de la gestion du pays au lendemain du vote de la constituante et comment garantir la stabilité lors de cette nouvelle phase transitoire ?

Pour cette question, vous êtes obligés de vous mettre en groupe pour répondre. Autrement, votre réponse individuelle non partagée avec les autres veut dire que vous n’êtes pas en mesure de vous rassembler et former un consensus pour gérer à la fois l’élaboration de la nouvelle constitution, les affaires courantes du pays (économie, sécurité, etc.) et la préparation de l’après constituante (la mise en place du nouveau régime, avec des nouvelles modalités). Egalement, qu’adviendra-t-il du gouvernement et de la présidence intérimaires de BCE/Mebazza ? Arriverez-vous à vous entendre pour un nouveau gouvernement de transition et d’union nationale??? Laisserez-vous se poursuivre le changement dans l’absolue continuité, pour ancrer encore plus le non-changement et faire sombrer plus profondément le pays par la division??

Cette interrogation, relativement court-termiste, me tourmente comme tous les Tunisiens car, à date, vous avez montré une incapacité à vous entendre entre vous. Alors que dire avec une assemblée fragmentée entre une centaine de partis politiques. Pour être clair : nous ne voulons pas d’une phase de constituante qui s’éternise au-delà de quelques mois.

Si vous vous n’êtes pas en mesure de me répondre collectivement à cette question au plus tôt, bien avant le 23 Octobre, je pense que je vais commencer à creuser une grotte pour m’y cacher quelques années !

2- Quelle est votre vision pour la Tunisie en 2020 (chiffre rond pour faire simple) ?

Je suis du genre à demander la destination avant de m’embarquer dans un voyage et de confier ma route à un conducteur. Il en est de même pour nous tous, avec celui qui va nous construire une maison, tisser une Jebba, etc. Alors que dire de la reconstruction de notre pays. Ma question est simple et doit avoir une réponse simple, compréhensible pour moi et mes concitoyens : où voulez-vous emmener notre pays dans 10, 20 ans ? Quel est votre modèle et projet de société ?

Une précision pour vous aider : les réponses démagogiques vides de concret et de pragmatisme ne permettent pas de réussir cette partie, tout comme celles qui aboutissent à nous diviser, au lieu de nous unir vers un destin et une visée commune. Il faut nous faire rêver d’un avenir meilleur, de réussites comme celles de certains pays émergents, montrez-nous la lune ! Je bifurque pour dire « quand le sage montre la lune, le fou regarde le petit doigt » (proverbe chinois). A ce jour, vous ne faites que pointer des petits doigts vers les autres … à moins que nous soyons trop fous ?!?

Par contre, si vous répondez correctement à cette question, votre tâche devrait être plus facile pour les suivantes, qui en découlent.

3- Quelle est votre modèle de développement économique?

Nous savons tous que la fameuse ‘réussite économique’ tunisienne sous Ben-Ali était juste de la poudre aux yeux : faux chiffres, inégalités criantes, une minorité mafieuse qui profite aux dépens des autres, etc. Bref, le tigre tunisien n’était qu’un chat de gouttière sale, malade et affaibli.

Quelles seront alors vos orientations économiques pour relancer le pays, créer de la richesse pour tous, combler les inégalités, en particulier dans les régions délaissées jusqu’à maintenant ? Quels secteurs pour ce développement après l’échec du modèle basé sur le tourisme de masse ? Comment comptez-vous vous attaquer au problème du chômage, avec toutes ses variantes (jeunes et moins jeunes, diplômés et non-diplômés, etc.) ? Comment créer des emplois pérennes ? Quelle place sera accordée à l’endettement extérieur ? Comment attirer les investisseurs et à quel prix ? Quel dosage entre l’intervention de l’Etat et les lois du marché, surtout lorsque ces lois échappent au contrôle même des grandes puissances ? Comment garantir la place de la Tunisie dans la jungle économique mondiale ? Quels engagements, résultats chiffrés et données factuelles vous fournissez pour étayer votre plan de relance et de développement économique ? …

Pour cette question, ne vous dites surtout pas que le jury (les citoyens Tunisiens) est composé de cons pour répondre n’importe quoi : le Jury est plus qu’intelligent … s’il le veut bien.

4- Quels seront vos remèdes pour les maux de notre société et pour un développement humain au profit de tous ?

Dans ce volet, le chantier est loin d’être simple, mais l’ignorer en visant uniquement sur une vision économique des choses ne vous aidera pas à réussir l’épreuve du vote, mais surtout celle de la réalité des années à venir. Pour vous aider à affiner votre réponse, je vais juste lister quelques volets à couvrir obligatoirement dans votre réponse.

En effet, il ne fait aucun doute qu’au-delà des injustices et inégalités criantes, nous avons vu des pilliers essentiels se détériorer au fil des années au lieu de s’améliorer, tels que la santé avec des moyens en chute libre, l’éducation avec une qualité de plus en plus médiocre et la couverture sociale (ou la non-couverture sociale pour un grand nombre). Nous avons aussi des régions entières délaissées depuis des décennies dans la misère. Egalement, nous étouffons sous le tapis des maux tels que l’inégalité homme – femme, la maltraitance, le régionalisme et le tribalisme primaires qui ont ressurgi en surface ces derniers mois, etc.

Alors, quel est votre plan pour promouvoir le développement social et humain en Tunisie ? Offrir à tous les Tunisiens un cadre de vie juste, solidaire et durable ?? Comment allez-vous vous y prendre alors que les moyens sont limités ? Comment allez-vous développer le système social, la santé et l’éducation ? Comment allez-vous effacer les tiraillements post-14 Janvier 2011, pour une société unie, solidaire et apaisée ? …

5- Quel système et gouvernance politiques nous proposez-vous et avec qui l’avez-vous élaboré?

Si vous attendez au lendemain du 23 Octobre pour réfléchir a cette question, autant dire que c’est mal parti pour vous et pour nous. Dans ce cas, je relancerai le creusement de la grotte pour m’y terrer.

En effet, sachez que nous, citoyens Tunisiens, aurons peu de patience et envie de vous voir tergiverser des mois et des mois sur la nouvelle constitution, alors que le pays tangue, l’économie et la société sombrent de plus en plus … Comme pour la première question, celle-ci requiert un travail de groupe, donc un consensus entre vous et d’autres partis politiques est nécessaire pour nous faire une proposition collective : quel rôle aura le Président et comment éviter son hégémonie comme par le passé ? Comment faire que les députés défendent les intérêts de la nation et des citoyens, plutôt que leur voiture de fonction? Quels pouvoirs pour quelles institutions ? Comment contrôler et sanctionner les dérives du Pouvoir et des hommes politiques ? Quels garde-fous et contre-pouvoirs (nous nous laisserons plus piéger comme durant les 50 années passées) ? Comment séparer les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire ? Quel rôle pour l’armée ? Comme garantir toute sa place a la société civile ? …

NB : Les trois questions suivantes sont intimement liées, mais cette indication ne vous est d’aucune aide.

6- Quelle sera votre traitement du passé ? ChasseAuxSorcierium 500mg ? SousLeTapirial 250mg ? CarteSurTabliol ?

Nous savons tous que tous les pays qui n’ont par pris soin de tourner la page de la dictature correctement ont soit fait un retour en arrière ou se sont entre-déchirés pendant des décennies. Comptez-vous opter pour ces 2 voies ???

Comme vous êtes des partis candidats ‘sérieux’, vous avez certainement une autre proposition pour ce volet. Quelle est votre lecture de la période pré-14 janvier 2011 : un petit groupe de coupables (les boucs … – émissaires de Ben-Ali) ou un système pyramidal généralisé ? Comment réconcilier coupables et victimes ? Les lignes coupables / victimes sont-elles si claires ? Comment garantir leur clarification ? Comment éviter le populisme (quelques annonces, images télé, …) et ne pas oublier le fond ? Que faire des archives et détails innombrables qui semblent impliquer un grand nombre de personnes, organismes et niveaux hiérarchiques sans lancer le pays dans des dangereux tiraillements? Comment rétablir la justice sans casser l’unité nationale et la paix sociale ? … les derniers mois prouvent que la réponse à cette question est essentielle pour l’avenir du pays. Pour cette épreuve, vous êtes autorisés à vous inspirer des leçons de pays de votre choix ayant connu des expériences similaires (pays ex-communistes, Afrique du Sud, Espagne, etc.).

7- Allez-vous reformer la Police ? Si oui, comment ?

Nous mesurons tous la place cruciale et grandissante prise par la Police et le ministère de l’Intérieur durant les 5 dernières décennies. Les archives de la Police, les quantités de dinars soutirés aux citoyens aux croisements de rue, les traces de tortures, la mémoire des martyrs, etc. en témoignent. D’ailleurs, ce serait le premier employeur en Tunisie, entre Policiers en bon et dû uniforme, ceux en civil et les indics (mon voisin, mon collègue, mon coiffeur (avant que je ne perde mes cheveux), mes chauffeurs de taxis, etc.). En plus, la collaboration avec la pyramide du RCD était très étroite et productive !

Tout ceci ne peut pas changer du jour au lendemain. Donc, que comptez-vous faire pour réformer la Police, la ramener à son rôle au service des citoyens et en bons termes avec eux ? Comment tourner la page du passé policier ? Comment offrir aux agents de la Police des conditions dignes ? Comment souder la rupture existante entre les Tunisiens et leur Police ? Comment éviter que la Police ne reste un obstacle à la transition démocratique du pays ? Comment ramener la sécurité au travers du pays, condition nécessaire mais insuffisante pour son redémarrage économique et social ? …

8- Quand et comment mettriez-vous en place une vraie justice équitable et indépendante ?

Là aussi, la Justice tunisienne avait pris l’habitude d’être au service du Pouvoir. Au travers des épisodes caricaturaux depuis le 14 Janvier 2011, nous voyons qu’elle se cherche encore entre les ‘instructions’ gouvernementales, le populisme primaire et l’improvisation théâtrale pour se racheter. Autant dire que le chantier pour mettre en place une vraie Justice sera laborieux. Alors, Mesdames et Messieurs, dites-moi ce que vous allez faire au juste dans ce domaine ? Surtout, il ne faut pas oublier que les dossiers à traiter (cf. question 6) sont multiples : corruption, répression, fonctionnement mafieux, etc. et qu’ils sont loin de se tarir. Aussi, vous avez du le remarquer : nous commençons à nous impatienter, donc il nous faut au moins avoir une vision claire sur ce que vous comptez faire dans ce domaine, sans se hâter.

PS : sur tous les volets, même si nous montrons des signes d’impatience, nous sommes prêts à patienter et à procéder par étapes, quand le parcours et les visées sont clairs. Vous voyez ? Je vous disais qu’une bonne réponse claire à la 2eme question vous aiderait pour toutes les autres.

Revenons encore a nos allouchs avant qu’ils ne s’égarent, soient arrêtés par la Police et enrôlés dans l’armée, fassent l’objet d’un sit-in pour les dégager (j’en soupçonne quelques uns d’être des anciens du RCD !), prennent une embarcation pour Lampedusa, ou se laissent pousser des barbes (en laine), ou deviennent des laïques acharnés (pour faire interdire l’Aïd Kabîr!!).

9- Quels partenaires régionaux et internationaux et quels types de relations ?

Lorsque l’on revient sur la diplomatie tunisienne sur les dernières années, le soutien dont a bénéficié le régime de Ben Ali par ci et par là jusqu’à ses derniers jours, le rôle de l’Amérique d’Obama dans son éviction, la valse des visiteurs étrangers depuis le 14 Janvier 2011, la situation actuelle en Libye et ses implications sur la Tunisie, les interrogations sur la position algérienne, les bouleversements du monde Arabe dans son ensemble, les courants de la globalisation avec sa reconfiguration multipolaire, votre valse chez les ambassades étrangères, les interrogations sur le financement extérieur de certains d’entre vous … bref, en revenant sur tout çà, il devient évident que la Tunisie doit repenser ses partenariats et relations étrangères. C’est pourquoi je voudrais savoir quelle est votre vision pour ce point essentiel : quels partenaires et selon quels termes ? Quelle intégration régionale et internationale, économique, culturelle et géopolitique ? Quelles relations avec nos voisins arabes, africains et méditerranéens ? La France ? L’Europe ? Les Etats-Unis ? La Chine, la Turquie et autres pays émergents ? …

10- Quelle place à la culture, sports et loisirs et selon quelle politique ?

Nous savons que nous avons du mal à porter notre identité ou même la définir, partagés entre mimétisme de l’occident, traditions arabo-musulmanes et autres strates de notre riche histoire. Les créatifs et les stimulateurs des idées ont été brimés pendant des décennies, censurés ou réduits à des amuseurs de la galerie. Les activités sportives réduites à l’hégémonie du football. Comme nous le répétait Ben-Ali et ses sbires : regardez le foot, trainez dans les cafés, débauchez-vous, mais fermez vos gueules.

Après tout çà, comment comptez-vous éveiller la création et l’épanouissement des Tunisiens, à moins que votre plan soit de les endoctriner dans de nouveaux moules ??? Je vous avoue que je n’ai plus envie de me voir avec mes concitoyens scotché aux écrans de télé, à Facebook, ou aux terrasses des cafés. Nous aspirons à mieux et notre pays est plein de richesses humaines pour y parvenir. Tout dépendra de votre créativité pour faire foisonner et encourager cette richesse.

Avant de rendre vos copies …

J’espère que cette série de questions ne vous a posé aucune difficulté… Ce sera le cas si vous avez déjà préparé tout ça depuis un moment (çà s’appelle un ‘Programme Sérieux’). Autrement, je me demande bien pourquoi former un parti politique et présenter des candidats a l’assemblée constituante.

Je renouvelle aussi les recommandations pour réussir cette épreuve, ainsi que quelques rappels :

  • Le travail sérieux de groupe est essentiel pour vous tous, car vous êtes trop nombreux et peu audibles individuellement. Puis le Jury a autres choses à faire que passer une éternité à vous discerner les uns des autres.
  • Toutes les réponses sont obligatoires : omettre de répondre ou esquiver une réponse vous disqualifie.
  • Il ne faut pas prendre les membres du Jury (nous les citoyens Tunisiens) pour des cons et il vaudra mieux miser sur l’intelligence collective des Tunisiens et nos aspirations pour un avenir meilleur que sur notre aliénation.
  • Les idéologies creuses, la démagogie, le populisme, le blabla à outrance ne nous conviennent pas : nous voulons du concret, pour développer nos conditions et vivre sereinement dans un pays uni, prospère et solidaire.
  • Nous serons 11 millions à vous juger, mais aussi pour vous appuyer si vous nous montrez la bonne voie. Le Jury continue à jouer ce rôle même après le vote, car vous continuerez à avoir des comptes à nous rendre, individuellement et collectivement!
  • Le retour en arrière est impossible et contre le cours de l’histoire : personne ne doit compter dessus, sauf les perdants.

En tout cas, je serai ravi d’avoir quelques belles copies entre lesquelles je pourrai choisir, car complètes et sérieuses. Entre-nous, je ne m’attends pas à voir plus de 5 à 7 partis candidats dépasser le cap des ‘disqualifications’, mais on peut toujours rêver, comme me le dit souvent l’un des mes moutons. D’ailleurs, je devrais lui demander de quelle Tunisie il rêve lui aussi, en espérant qu’il ne me réponde pas avec son cynisme et pessimisme habituels: avant ou après le 14 Janvier 2011, pour les moutons, les Aïds finissent toujours pareil!