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La polémique autour de la laïcité de l’état et du premier article de la constitution bat son plein en Tunisie après la révolution. Une grande partie des tunisiens considèrent que la laïcité s’oppose à l’islam. Par conséquent, ils s’y opposent systématiquement et la considèrent souvent comme la cause des maux de la Tunisie à l‘époque de Bourguiba et de Ben Ali.

Il y a une autre forme de laïcité moins évidente pour certains mais qui est plus importante et plus dangereuse pour la société, c’est la laïcité des esprits.

La majorité des musulmans aujourd’hui en Tunisie et dans le monde musulman ont une conception laïque de l’islam, même ceux qui s’opposent farouchement à la laïcité de l’état. Ils dissocient et opposent souvent ce qui est religieux à ce qui est profane.

On peut constater ceci dans la vie quotidienne et dans plusieurs domaines.

Dans la dernière décennie, on a vu augmenter de façon très significative le nombre de fidèles dans les mosquées, le nombre de femmes voilées, le nombre de chaines de prédication islamique et la consommation des produits dits islamiques … On parle d’un éveil « Sahwa » islamique dans tous les pays musulmans et même en Occident. Cet éveil et ce retour à l’islam, bien que très visible dans les pratiques cultuelles, reste très peu visible au niveau de la société. Les pratiques anti-islamiques sont toujours très propagées dans les sociétés musulmanes et même dans les cercles des plus pratiquants. La tricherie, la fraude, la violence verbale, la corruption et l’irrespect le l’humain, des créatures de Dieu et de l’environnement, sont acceptées par la conscience individuelle et collective musulmane, alors qu‘ils sont considérés comme des pêchés en islam. Le musulman se trouve déchiré entre deux mondes : le musulman pratiquant qui fait ses prières à la mosquée et sort de là pour devenir le musulman pratique plongé dans un autre univers.

Un autre domaine où se manifeste cette rupture entre le religieux et le profane, c’est celui de la science, qui est la clé de l’évolution des nations.

Pour certains musulmans, apprendre le Coran ou une science religieuse est beaucoup plus important qu’apprendre une science profane ou une langue étrangère. Le musulman pense qu’en lisant un livre « non-islamique », il n’y a pas de récompense ou celle-ci est très faible. C’est pour cela, le monde musulman produit des centaines de milliers de mémorisateurs de Coran chaque année, alors qu’il est incapable de produire la centième de ce nombre en chercheurs. Le nombre de livres produits dans un petit pays comme la Grèce dépasse celui produit par tous les pays arabes. Une étude a révélé que 22% des Tunisiens n’a jamais lu un livre, 70% des Tunisiens n’ont lu aucun livre en 20091.
Les musulmans pensent leur islam aujourd’hui uniquement au niveau cultuel ce qui les empêche d’évoluer et de faire évoluer leurs sociétés.

En islam , un acte d’adoration peut être une prière , un service rendu au gens ou à la société , un travail bien fait , une justice rendue , une science ou une langue acquise ou propagée…La science que l’islam a demandé d’acquérir ne se limite pas aux sciences religieuses mais s’étend à toutes les sciences utiles. D’ailleurs, la science n’est pas un objectif en soi, mais un moyen pour connaitre Dieu et pour accomplir le devoir de l’homme sur terre qui est l’« Istikhlaf». Une science n’acquiert par sa valeur par sa nature religieuse, mais par son intérêt pour l’homme et pour la société.

Je conclus par un conseil à ceux qui mettent toutes leurs énergies dans le débat idéologique et politique afin de lutter contre la laïcité de l‘état, n’oublions pas de combattre la laïcité qui est en nous car elle est plus dangereuse pour notre société et pour notre pays.

En effet, la laïcité intérieure ou individuelle dans un état « islamique » engendre une société anti-islamique, alors que l’inverse (un état laïc et des musulmans non laïques) produit une société de valeurs qui est la caractéristique principale d’une société islamique.

Je n’ai pas peur que le premier article de la constitution soit modifié, mais je crains plus que les valeurs de l’islam soient délaissées par mes concitoyens pour aller chercher la solution miracle dans la politique. L’histoire a démontré que la réforme politique n’a pas beaucoup d’effets si elle ne s’accompagne pas de réforme dans le comportement des individus qui composent la société. « En vérité, Allah ne change pas l’état d’un peuple tant que celui-ci ne change pas ce qui est en lui-même »2.

Référence :

1. Le livre a-t-il encore un avenir en Tunisie ?

2. Saint Coran Sourate 13 – Verset 11.