Vous marchez dans la rue, tranquillement, et une voiture s’arrête à votre hauteur en ouvrant sa fenêtre. Si ça vous est encore arrivé aujourd’hui, vous êtes une femme. Si cette expérience ne vous dit rien, vous êtes un homme.

Le Code du Statut Personnel a beau flirter avec ses 60 ans, rien n’y fait. La femme semble rester marchandise dans l’esprit de beaucoup. Pourtant on a banni la polygamie, mettant ainsi la valeur de la femme à (quasi) égalité de celle de l’homme. On a interdit le mariage coutumier, pour que la femme ne se retrouve pas abandonnée avec les enfants sur les bras… On a légalisé le divorce, l’IVG, la contraception…pour que la femme soit un individu qui choisit. Qu’elle soit autre chose qu’un animal, qu’une propriété. On a pu avoir l’impression que les mentalités évoluées : les filles ont gagné leur place sur les bancs de l’école et de l’université, les femmes continuent d’arracher leur place dans le monde du travail. Mais finalement quelque chose de la régression flotte dans l’air. De manière suffisamment diffuse pour éviter un sursaut général. La faute aux hommes machistes, oui. La faute aussi aux femmes qui continuent la passassion d’usages périmés.

La semaine dernière un fou furieux est venu nous expliquer que découper des clitoris avec des lames de rasoir était bénéfique pour l’humanité. Qu’on découpe, qu’on enlève, qu’il ne reste rien de la joie et de la vie. Femmes soyons objet, soyons utile, il semble que notre fonction s’arrête là. Reculons un peu et soyons niées dans notre humanité. Devenons de simple machine à procréer, devenons monnaie d’échange. Bonnes à marier, bonnes à enfanter, mais interdites de jouissance. L’excision, ou quand la chasse aux libertés s’abat sur le corps de la manière la plus barbare. Ne faut-il pas être fou pour aller aussi loin ?

Ne sommes-nous donc que des corps ?

Marcher dans la rue et être prise pour une prostituée, pour un corps, pour un objet, pour un territoire possédable. Banale. Marcher dans la rue est dealer avec le poids des regards. Banale. Marcher dans la rue et faire comme si on n’entendait rien des remarques obscènes d’hommes frustrés. Banale. Combien de fois par jour peut-on s’énerver, avant d’abandonner et de les laisser gagner ?

Alors quoi ? Les hommes sont-ils des animaux qui ne savent pas gérer leur pulsion ? Les femmes sont-elles des corps qu’on balade et dont on prend possession quand bon nous semble ? Faut-il, pour avoir la paix, se dérober au regard ? Se recouvrir pour marcher tranquillement, sans que les regards dévorent « la géométrie de notre corps » ? Faut-il passer à la burqua ?

Quand j’ai enfin pu discuter avec des jeunes filles en burqua, étudiantes coincées entre leur volonté, celle de la société et celle de l’administration universitaire, je n’ai trouvé que de la peine. Par leur voix elles m’ont offert leur expérience. Je n’ai rien vu de leur visage, je n’ai rien vu de leur corps, absent, étouffé, qui ne pouvait rien dire. Ce sont leur yeux qui m’ont offert leur plus : un regard triste. Il n’y avait ni apaisement, ni sérénité. Pourtant ne plus être proie doit avoir quelque chose de reposant.

C’est que la solution n’est pas là. Je pense que la femme n’est pas à cacher.

A déshabiller alors ? Pas sûr.

C’est mon corps, certes, et j’en fais que je veux. Mais pas au point de me transformer en porte manteau, en femme objet, en accessoire à homme. Lena Gercke nue en Une de GQ et Sami Khedira qui pose la main sur ses seins.
J’imagine la photo en sens inverse. J’imagine Sami Khedira nu et Lena Gercke en robe de soirée, une main de propriétaire posée sur son homme. J’imagine Sami Khedira dans la catégorie : accessoire / sac à main. Pourquoi pas après tout ?

Mais finalement qu’est ce qui est le plus obscène ? Une femme que l’on cache ou une femme que l’on dénude ? Pour moi les deux extrêmes se rejoignent. Ils avilissent la femme et la transforment en objet. Ils lui ôtent son individualité en lui ôtant son visage. En le dissimulant ou en attirant le regard ailleurs.

En burqua ou à poil ? Sans clito ou sans culotte ? Moi je choisis de garder les deux.

Photo sur la page d’accueil par fekaylius