Par Monica

Les deux expressions liées à la Tunisie, les deux horripilantes expressions martelées depuis des décennies, répétées inlassablement jusqu’au lavage complet des cerveaux, serinées par les médias nationaux, reprises en cœur par ceux internationaux, rabâchées jusqu’à l’écœurement par tous : « le miracle de l’économie tunisienne » et «les acquis des femmes tunisiennes », me font littéralement grincer des dents dès que je les entends, et ce, depuis toujours.

Les deux grandes escroqueries “made in Tunisia”

Je ne reviendrai pas sur «le miracle de l’économie tunisienne », si ce n’est pour dire que les plus grands tartuffes, sont les Tunisiens qui ont découvert la misère dans leur pays après le 14 janvier, et ceux qui par mémoire sélective donnent 23 ans à cette misère.
Non, je ne reviendrai pas sur le « miracle de l’économie tunisienne », l’Histoire récente lui a définitivement fait son affaire.

C’est à présent aussi à l’Histoire de régler ses comptes avec «les acquis des femmes tunisiennes ».

Tout d’abord, oui la Tunisie a connu de grands hommes, de ceux dont on peut être fière de bout en bout. Tahar Haddad, entre autres, est l’un d’entre eux. Un véritable visionnaire, courageux dans ses idées et précurseur.
Tahar Haddad, cet homme de courage et de conviction, a été le premier défenseur de la cause des droits des femmes tunisiennes. Un féministe au sens noble du terme.
Ce sont ses idées qui ont été reprises, en partie, pour rédiger le fameux code du statut personnel “de Bourguiba” dont on nous rebat les oreilles. Et en partie seulement, car les idées de Tahar Haddad en 1930 étaient bien plus audacieuses et modernistes que ce qui a été promulgué 30 ans plus tard.

Et nous voilà plus d’un demi-siècle après, avec toujours les mêmes « acquis », sorte de statut spécial pour une « minorité » de plus de 50%, non affranchie. Quelques miettes de plus que les pays hors du temps, de l’histoire et de l’humanité. Ceux où il ne fait vraiment pas bon vivre…

Mais depuis que Bourguiba a offert sur un plateau aux femmes tunisiennes leurs « acquis », considérés certes comme très avancés il y a un demi-siècle, mais injustes et dépassés aujourd’hui, qu’en ont fait les femmes tunisiennes, elles qui étaient les principales concernées ? Ces femmes tunisiennes, qui contrairement à leurs congénères d’autres pays proches, n’ont rien eu à arracher de haute lutte. Ces femmes tunisiennes, ont-elles au moins participé depuis plus d’un demi-siècle à faire évoluer la société, en commençant par le fondement de celle-ci: la famille ?

Ces femmes tunisiennes qui disent tenir à leurs « acquis », ont-elles éduqué leurs garçons, ces futurs citoyens, collègues et maris, à respecter leurs sœurs, leurs cousines, leurs camarades de classe, et à les considérer comme leurs égales? Leur ont-elles appris à mettre la table, à cuisiner, faire la vaisselle, laver le linge, à participer à la bonne marche d’une maison, en devenant autonome au même titre que leurs sœurs, cousines, camarades ou futures épouses. Leur ont-elles fait comprendre qu’un partage équitable des tâches quotidiennes était l’un des garants pour une vie de famille plus harmonieuse et épanouie?
Au vu du triste taux record de la Tunisie en matière de divorce, et souvent pour les mêmes motifs, il semblerait que non.
Ces femmes tunisiennes qui disent tenir à leurs « acquis », ont-elles appris à leurs filles, ces futures citoyennes, collègues et épouses, qu’elles étaient des êtres humains à part entière, les égales de leurs frères, cousins et camarades de classe? Leur ont-elles dit et répété que leur corps leur appartenait, et qu’elles seules avaient le droit d’en disposer, tout comme de leur esprit ? Leur ont-elles expliqué que la seule véritable émancipation ce n’est pas conduire, fumer, ou ponctuer ses phrases de gros mots, tous ces vulgaires artifices d’une émancipation de vitrine, mais l’égalité devant la loi et les institutions. Leur ont-elles dit et répété qu’en Tunisie il restait encore bien du chemin à parcourir, des défis à relever, et que si elles ne se battaient pas elles étaient condamner à régresser. Ces femmes ont-elles expliqué à leurs filles, que la couronne de laurier dont on parait les femmes tunisiennes dans les médias, n’avait pas été gagnée par la lutte, mais juste offerte par « le père de la nation ».
Leur ont-elles appris tout ça à leurs filles? Je ne crois pas. Sinon nous n’en serions pas là, à suivre d’effarants débats, presque un siècle après Tahar Haddad.

Non, les femmes tunisiennes, toutes classes sociales et tous niveaux d’instruction confondus, n’ont dans leur grande majorité pas évolué sur le fond depuis un demi-siècle. Elles n’ont fait que préserver jalousement et perpétuer de génération en génération, une société paternaliste, conservatrice et conformiste. Une société, où, aujourd’hui, une jeunesse déboussolée se cherche une identité et des repères, entre un fond figé et une forme artificielle. Une société schizophrène où les femmes savent plus ou moins consciemment qu’elles n’ont jamais été véritablement émancipées, et qu’au fond elles ont été flouées. Que leurs « acquis » se résument, in fine, à participer par leur travail à la vie économique du pays, tout en restant des citoyennes de seconde catégorie, sous tutelle à vie. Une société où les rapports entre les femmes et les hommes ne sont ni sains, ni sereins, mais empreints de méfiance réciproque, de calcul et de frustration de part et d’autre.

Tahar Haddad, Bourguiba, deux hommes, et pas un seul nom de femme qu’on puisse associer, pour son action, à la cause des femmes tunisiennes. Surtout ne me parlez pas de celles qu’on ressort une fois par ans, lors de cette farce de « journée de la femme », et qui se bornent à répéter, à qui mieux-mieux, depuis un demi-siècle, les mêmes fadaises concernant les « merveilleux acquis » des femmes tunisiennes. Ou encore de celles qui occupent cette ridicule vitrine qu’est le Ministère de la femme. Non, ces femmes ne comptent en rien, ce ne sont que des faire-valoir, des machistes en jupon.

Le proverbe dit : « bien mal acquis ne profite jamais ». Et c’est bien vrai.
C’est maintenant que les femmes tunisiennes ont rendez-vous avec l’Histoire. Et elles n’ont pas le droit de le rater ce rendez-vous, car elles ont une responsabilité vis-à-vis des futures générations de femmes tunisiennes. Il est grand temps qu’elles comprennent que c’est à elles, et à elles seules, de faire leur propre révolution, de lutter par tous les moyens pour obtenir enfin l’E G A L I T E inscrite une bonne fois pour toute dans la nouvelle constitution. Plus un petit code à côté, une demi-mesure pour espèce à protéger. L’égalité, la seule, la vraie. Celle qui va enfin ériger les femmes tunisiennes en citoyennes à part entière, égales en droits et en devoirs devant la loi.

Si, je dis bien si, les femmes tunisiennes ont la volonté d’écrire cette page de l’Histoire, alors elles s’approprieront enfin de cet acquis qui deviendra légitimement leur.