Photo prise de facebook. Manifestation Islamistes vs artistes

Le ministère de l’intérieur a publié un communiqué stipulant l’interdiction de toute manifestation à l’av. H.Bourguiba, artère principale de la capitale de la Tunisie. Suite aux heurts qui ont eu lieu le 25 mars entre islamistes et artistes, il y a un constat simple et évident à faire : le ministère a donné deux autorisations à deux camps antagonistes et ce au même endroit et dans la même journée.

Les islamistes qui étaient à l’avenue le 25 mars étaient composés de deux associations : celle de « Abi Zayd Alkairaouani » et celle de « Saheb Ettabaâ pour la culture islamique ». Selon le ministère de l’intérieur, ils devaient manifester entre la station TGM et la place du 14 janvier. Cependant à quelques mètres, une autre manifestation culturelle, préparée durant plus de trois mois par des artistes devait avoir lieu également de 10 jusqu’à 17 heures sur l’allée de l’avenue, notamment entre l’hôtel Africa et le théâtre municipal.

Bien entendu, on aurait du mal à imaginer un comportement civilisé de la part de personnes qui essayent de casser pour la énième fois une marche pour la liberté, l’art ou la laïcité. Notons que c’est toujours les islamistes qui étaient là pour entraver le bon déroulement de ce genre de manifestations jugées « mécréantes ».

En effet, dimanche dernier les artistes qui devaient célébrer le démarrage de la Journée Mondiale du Théâtre ont été agressés physiquement et verbalement par des islamistes appelant à l’application de la charia. Le ministère de la culture condamnera d’ailleurs cela le lendemain même des heurts dans un communiqué rendu public.

Ce genre d’heurts qui ne cesse de se produire nuit absolument aux commerçants de l’av.H.Bourguiba mais la question qui se pose est : à qui la faute ? Aux artistes ou aux islamistes qui ont eu l’autorisation de manifester le même jour et au même endroit-à quelques mètres les séparant ?

Que cela soit avec ou sans mauvaise intention, le mal est là : le ministère de l’intérieur vient de rendre son verdict : Interdiction pour quiconque de manifester à l’av.H.Bourguiba. Il a crée par sa mauvaise gestion la discorde et a été la cause de ces heurts puisqu’il a donné deux autorisations à deux camps antagonistes. Serait-ce un stratagème préparé visant à interdire l’avenue aux manifestations ?

Nawel Skandrani, chorégraphe artiste exprime son inquiétude quant à cette décision

Selon moi, cela est absolument illégal et c’est, de ce fait, une régression du droit à manifester et de nos droits en général. Je suis convaincue que le MI a poussé au grabuge en délivrant deux autorisations pour pouvoir justifier de cette interdiction. C’est une décision qui n’a pas été prise par hasard, elle était dans leur plan et fait partie d’un projet plus large de restrictions progressives des libertés pour pouvoir mettre en place une dictature théocratique planifiée depuis le début.

Par ailleurs, cette nouvelle d’interdiction est irrévocablement une régression vers une ère liberticide. A cause de la mauvaise gestion du ministère de l’intérieur la place publique commence à devenir de plus en plus privée pour des raisons de « sécurité ».

Triste nouvelle si on considérait toute la portée historique et affective de cette avenue devenue l’agora par excellence pour les Tunisiens qui se sont rassemblés un certain 14 janvier 2011 pour crier leur soif de liberté, de justice et de travail. Certes les fils de fer barbelés continuent à « protéger » le ministère et à amputer une partie de cette agora dans laquelle s’est implanté les fourgons de police depuis le mois de mars 2011 mais cela est acceptable dans la mesure où on comprend pertinemment le problème d’insécurité que vivent les policiers et “leur ministère” car la haine que porte les Tunisiens envers vers cette antre de l’horreur qu’est le ministère de l’intérieur est toujours présente. Néanmoins cette interdiction totale de l’avenue H.Bourguiba aux manifestants ne passera pas ; des voix d’activistes, de militants des droits de l’homme, et des artistes commencent à s‘élever en la contestant. Moncef Dhouib, l’un des éminents artistes tunisiens qu’on a interrogé quant à cette décision dira

Cet espace n’appartient pas au ministère de l’intérieur c’est un espace public … le rôle du ministère n’est pas d’interdire mais de réguler les autorisations de manifester en apportant la sécurité nécessaire… Interdire les rassemblements dans l’avenue Bourguiba c’est comme interdire la Bastille aux Français !!! Les régimes totalitaires dans le passé n’aimaient pas les rassemblements et mettaient des ronds-points partout dans les jardins publics … de la pelouse partout pour gommer les grands espaces de rassemblement… A mon avis et je suppose que le ministère a ses raisons pour décréter cette interdiction, qu’il faudrait revoir cette décision dans le sens des libertés signe distinctif de notre avenir…

Entre temps, les refus de manifestations par le ministère de l’intérieur commencent déjà à tomber, notamment avec celle du théâtre El Hamra prévue pour le 30 mars à l’occasion du Jour de la Terre.

Cependant, on l’oublie souvent mais la Tunisie est encore sous état d’urgence. Cette situation signifie qu’en aucun cas les manifestations sont permises, qu’elles soient celles des islamistes ou autre. L’ambiguïté de ce statu quo dépendant du bon vouloir du ministère de l’intérieur qui peut sortir cet argument d’interdiction conforme en bonne et due forme à la loi à tout moment ne laisse pas d’arguments aux manifestants avec ou sans autorisation. Cette décision du ministère aurait-elle pris en considération l’expiration du délai de l’état d’urgence qui aura lieu demain ? On ne peut le savoir puisqu’il est devenu presque impossible d’avoir un responsable ayant une réponse à nos questions au sein de cette institution.

Le droit de se réunir et le droit de s’exprimer sont les acquis les plus notables de la Révolution tunisienne. Certes, l’organisation des manifestations n’a pas été toujours au rendez-vous mais est-ce une raison pour faire appel aux raccourcis simplistes des dictateurs et ce en interdisant tout court le droit à la manifestation à l’avenue ?

Les Tunisiens n’attendront pas la réponse, car celui qui a interdit auparavant cette place publique se trouve depuis un an au pays de la charia, en Arabie Saoudite. « Liberté, justice et travail », tels sont les mots en or de la Révolution tunisienne et personne ne pourra les arracher des feuilles de l’Histoire. L’avenue est aux Tunisiens et le ministère n’a qu’à gérer l’agenda des manifestations tant qu’elles respectent la loi, car telle est sa fonction. L’avenue est à nous et elle le restera car elle est le berceau des révolutions arabes et plus rien ne pourra nous empêcher de respirer l’air de la liberté auquel on en a été privé pendant si longtemps…