L’espoir né le 14 janvier 2011 chez les classes populaires, notamment chez les jeunes des quartiers déshérités et des régions marginalisées, pour une vie digne, avec un emploi stable, des revenus décents, est aujourd’hui hypothéqué.
L’espoir né le 14 janvier 2011 chez la classe moyenne pour une vie politique où la démocratie et la liberté d’expression seraient garanties durablement commencent à s’effriter à force de percevoir des signes avant coureurs d’une main mise sur les libertés fondamentales, les libertés de conscience et les risques sur le choix républicain de la Tunisie.
L’espoir né chez la bourgeoisie d’affaires, le 14 janvier 2011, de voir une nouvelle règle de jeu s’installer en Tunisie avec plus de transparence et où la justice transitionnelle préserve le droit des personnes, y compris le droit d’entreprendre et la promotion de l’initiative individuelle, cet espoir lui aussi se voit transformé en illusion avec l’épée de Damoclès au dessus de près de 500 chefs d’entreprises tunisiens, avec un système bancaire sourd devant les cris de la PME tunisienne totalement asphyxiée, et la mafia qui se développe près des frontières, plus forte que du temps de l’ancien régime constituant un réel danger économique…
Les trois catégories de la société tunisienne restent, après près d’un an et demi de la date mythique du 14 janvier 2011, sur sa faim… A qui la faute ? Quid de l’action gouvernementale ? Quid du rôle de l’Administration ? Quid de l’apport de l’Assemblée Nationale Constituante pour débloquer la situation ? Quid de l’opposition ? Quid de l’issue de cette situation ?
Aucun problème n’est résolu à ce jour par le Gouvernement
Depuis l’accès au pouvoir de la Troïka ‘Ennahdha-CPR-Ettakatol’, aucun problème économique ou social n’a été résolu en Tunisie, aucun chantier d’envergure n’a été lancé, ni routes, ni tronçons d’autoroutes, ni échangeurs, ni logements sociaux, ni réhabilitation de quartiers populaires, ni zones industrielles, ni hôpitaux régionaux, ni investissement direct étranger de grande échelle, … Il est vrai que le choix de l’équipe dirigeante a obéi davantage à des critères de confiance en une équipe soudée pour des considérations de militantisme basée sur des souffrances communes dans les années de braises et parfois par des liens familiaux et non à des critères de compétence technique et une connaissance approfondie des affaires de l’Etat.
Le paradoxe dans cette situation, est que l’opposition, autoproclamée, réclame sa supériorité au niveau des compétences alors que bientôt on va se retrouver dans une situation où la vraie compétence va changer de camp. Avec l’exercice du pouvoir, un exercice certes douloureux, mais suffisant pour faire des dirigeants de la Troïka les seuls à avoir dirigé le pays dans le processus démocratique, et certains d’entre eux apprennent vite.
Ceci dit, au niveau populaire, les valeurs telles que la probité et la congruence du personnel politique avec les masses sont beaucoup plus porteuses politiquement que la compétence ou l’expertise technique, souvent associées à l’élite, qui subit ces derniers temps une forme de défiance, notamment depuis le 14 janvier 2011. Le nombre pléthorique de Ministres, de Secrétaires d’Etat et de Ministres Conseillers aussi bien auprès de la Présidence de la République et du Gouvernement constitue-t-il un frein ou une entrave à l’efficacité de l’action gouvernementale ?
De toute évidence, la réponse est oui. Le Gouvernement actuel se compose de 29 Ministres et 12 Secrétaires d’Etat, tous les Ministères à vocation économique et ils sont au nombre de quatre, devrait être regroupés en un seul, de même pour Ministères liés à la transition démocratique, quatre aussi à regrouper dans un seul super Ministère de la transition démocratique.
Les hauts fonctionnaires à la recherche de la nouvelle règle de jeu
Il est vrai aussi que l’administration avec ses énarques et ses ingénieurs généraux n’a pas collaboré assez avec les différents ministres sur des dossiers clé. Cette attitude passive de la part des administrateurs est due notamment au fait qu’ils attendent une main tendue de la part du gouvernement, une nouvelle règle de jeu où ils se retrouveraient, une proposition de valeurs claires, car ils savent ce qu’ils ont perdu avec le régime ancien mais ne savent pas ce qu’ils gagneraient s’ils collaboraient pleinement avec les nouveaux locataires des différents ministères et à leur tête la Présidence du Gouvernement.
Cette clarification s’avère nécessaire même pour les administrés, citoyensclients de l’administration. Un nouveau contrat républicain est à inventer… Mais il est vrai aussi que ce blocage aurait pu être évité si la légitimé électorale conférée aux nouveaux dirigeants est mieux véhiculée auprès de ces administrateurs. Cette sensibilisation permettrait ainsi leur adhésion franche et massive aux projets gouvernementaux.
Traitement social au détriment de mesures concrètes et durables
La conséquence de ce blocage est qu’on a assisté depuis près de six mois à une absence de priorisation dans le traitement des dossiers au sein du nouveau gouvernement, avec des ministres qui passent d’un dossier à l’autre en fonction des urgences sociales sans pouvoir apporter des solutions concrètes et durables.
A cela se rajoute l’absence d’arbitrage efficace entre les ministères et au sein même des départements ministériels sur les projets les plus importants : la création d’emplois, l’impulsion de l’investissement, la justice transitionnelle, le pouvoir d’achat des ménages et la sécurité. La sous exploitation de l’Assemblée Nationale Constituante, engluée dans des commissions constitutionnelles, pour légiférer sur des thématiques économiques cruciales et urgentes telles que l’aménagement d’articles obsolètes du code d’incitation aux investissements. Car le pays a besoin de lois urgentes pour dégripper la machine à fabriquer des chômeurs et l’insécurité.
Au contraire, la situation va en s’aggravant avec une Loi de Finance Complémentaire 2012 qui arrive relativement tard, trop ambitieuse et sans mécanismes de mise en œuvre sur le terrain avec peu de mesures concrètes, et qui par-dessus tout n’arrive pas à satisfaire les différents opérateurs économiques, voire les partenaires politiques puisqu’une très large partie de la Troïka notamment dans le camp présidentiel n’est pas convaincu par cette LFC 2012.
Les marchés publics représentent près de 20% du PIB, un budget considérable à absorber par l’économie nationale alors que l’Etat commence à peine au mois de mai à dépenser et à collecter ce qui devrait être théoriquement fait en 12 mois : le dispositif législatif actuel permet-il l’attribution de marchés publics avec la célérité requise ? Le dispositif fiscal permet-il de collecter les fonds nécessaires pour financer les grands travaux prévus ?
La confiscation des biens mal acquis se fera-t-elle dans des conditions d’équité et de célérité pour atteindre les 1.2 milliards de dinars à collecter pour équilibrer le budget de l’Etat 2012 ? Par ailleurs, l’élaboration du budget et la loi de finance 2013 devrait être mise sur les rails dès à présent afin d’être soumis à l’ANC en pré-projet pour le mois de juin, discutés, amendés et votés en novembre-décembre 2012 et opérationnels en janvier 2013.
Les membres de l’ANC pourront-ils assurer le challenge de livrer une Constitution avant le 23 octobre 2012 comme cela a été promis par le Président Ben Jaafar et offrir en même temps au pays un budget et une loi de finance 2013 répondant aux exigences de la population, mais aussi voter des lois proposés par l’actuel gouvernement tentant à impulser l’activité économique et débloquer la situation sociale dans le pays.
L’erreur stratégique de l’opposition
Une opposition est faite pour s’opposer. Encore faut-il que le cadre de l’acte de s’opposer soit bien défini, assimilé et compris par l’ensemble des partenaires politiques y compris les électeurs, les masses populaires. Or, en Tunisie post 14 janvier, ce cadre n’a pas fait l’objet d’un débat national, il n’a pas été bien négocié par les différentes forces en compétition, il n’a pas muri, le processus démocratique n’est qu’à son début. Ce qui n’a pas empêché l’opposition actuelle de se lancer dans une attitude qui s’apparente davantage à ce qu’elle sait faire le mieux, à savoir militer, résister au risque de voir son intégrité physique atteinte, et c’est là où réside son erreur historique. Car le moment que le pays est en train de vivre est non pas à la résistance contre l’adversaire politique au pouvoir, mais à la proposition politique, à la fédération des forces représentant le spectre le plus large possible et le rassemblement des personnes autour de valeurs communes pour se faire élire, pour offrir une alternative. Le peuple attend en effet une compétition politique positive, sans coups bas, ayant pour finalité le citoyen Tunisien et son bien-être absolu plutôt qu’une lutte acharnée pour s’accaparer le pouvoir. Cela nécessite une conduite du changement, de la manière de penser la politique, la compétition politique, voire le changement des hommes et des femmes politiques qui ne s’inscrivent pas dans cette vision, même s’ils ont incarné des luttes contre la dictature et qui ont été touchés dans leur chair dans les années de plomb… Cela est tout aussi valable pour la junte au pouvoir, qui devrait être sélectionnée parmi les compétences avérées plutôt que leur histoire personnelle sous la dictature de Ben Ali. L’opposition a une responsabilité historique car la démocratie est, avant tout, la perspective effective d’alternance. Actuellement l’opposition perd beaucoup trop de temps dans les détails. Elle doit défendre l’essentiel. Une opposition divisée, apportant peu de plus value au débat socio-économique du pays et agissant le plus souvent en réaction, souvent incapable de prendre l’initiative ou de constituer une force de proposition autonome, sans se référer à la majorité gouvernementale.
Islamiser la modernité tunisienne ou moderniser l’islam ?
Au-delà du besoin du Tunisien d’accéder à une vie économiquement meilleure, deux visions antagonistes, deux projets de société s’opposent en Tunisie. C’est là où réside le nœud de la vie politique en Tunisie, car sur le plan de l’économie et du mode de distribution des richesses, il y a un quasi consensus sur le modèle de croissance, l’économie de marché est un choix irréversible, sa régulation est acceptée par la majorité des acteurs et partenaires sociaux.
Mais en politique, la polarisation demeure vivace. D’un côté il y a ceux qui veulent « islamiser » la modernité tunisienne et de l’autre côté il y a ceux qui veulent « moderniser » l’islam. La modernité tunisienne repose sur cinq piliers : La République, l’Article 1 de la Constitution de 1959 avec un Islam de l’Etat et non un Islam d’Etat, le Code du Statut Personnel promulgué en 1956 véritable socle de la société tunisienne, la souveraineté du peuple et enfin le droit syndical. Pour chacun de ces piliers, les conservateurs d’Ennahdha ont une alternative avec une rhétorique bien huilée facilitée par l’ancrage religieux des Tunisiens et un système éducatif favorisant l’assimilation plutôt que le questionnement, l’ouverture, l’imagination, l’émancipation intellectuelle, le relativisme, …
Le parti Ennahdha, le gagnant des élections du 23 octobre 2011, se trouve aujourd’hui à l’épreuve du gouvernement. Pourra-t-il tenir toutes ses promesses ? Combien de temps mettra-t-il les valeurs comme la patience, la piété, la spiritualité, le culte quotidien et ses manifestations vestimentaires, voire capillaires, … au devant de la scène en occultant le quotidien très difficile des Tunisiens sur le plan économique, sécuritaire et émotionnel.
Si le dur quotidien des ménages tunisiens ne s’améliore pas, l’alternance serait elle possible ? Oui, mais par qui ? Un centre-gauche ou une gauche désunie, certainement pas, en tout cas pas dans l’immédiat ! Une force patriotique nationale destourienne soucieuse du prestige de l’Etat ? C’est possible, mais elle ne pourra pas gouverner seule ! Est-elle compatible avec Ennahdha ? Difficile, tant le contentieux historique est lourd et tant la conception de l’idée de République est éloignée ! Est-elle compatible avec les courants qui se sont érigés en « démocrates » ? Oui, probablement, mais la majorité n’est pas assurée… Les prochaines échéances électorales sont prévues dans un an. L’économie va actuellement doucement, en roue libre.
La situation sociale va en s’empirant. La politique va prendre le dessus très vite. Le projet de société qui garantit la cohésion sociale, l’unité des citoyens autour de valeurs communes durables et consensuelles est un impératif pour réussir le processus démocratique tunisien. Oui c’est possible. Et dire que certains mettent en cause la fameuse singularité tunisienne !
Totalement irresponsable,aussi bien les gouvernants que l opposition .
Des amateurs sans aucun sens des responsabilites .
Si ghanouchi aimait plus la tunisie que le pouvoir,il n aurait jamais accepter le pouvoir.Notre pays vie essentiellement du tourisme et des echanges commerciaux ,et lui en prenant le pouvoir il envoie le pire signal aux investisseurs et aux touristes.
Nidaa Tounes ou l’alternative providence…
La Tunisie passe par une sacrée période de son histoire contemporaine… Affaiblie, malmenée et meurtrie par des politiques mystérieuses et étrangères aux tunisiens qui appréhendent voire redoutent l’avenir.
Au cours des dernières élections, l’immense majorité des tunisiens ne s’est pas reconnue dans les partis qui ont participé à ce scrutin, pourtant la palette fut très large. Et pour cause, les discours et les comportements des politiciens-candidats ne «ressemblaient» véritablement pas au tunisien et encore moins à son mode et sa perception de la vie… Le tunisien a besoin d’entendre le langage qu’il comprend, qu’il reçoit sans peine. Et, voilà que Béji Caïd Essebsi, un homme du terroir tunisien, ayant servi son pays pendant des décennies surgisse de nouveau et mène à bon port les destinées de la Tunisie pendant les moments les plus cruciaux de son histoire. Bien qu’on ait le droit d’évaluer différemment l’œuvre de BCE, cela ne permettrait à personne de douter de sa stature d’homme d’État. Et c’est justement ce dont la Tunisie a besoin, car son Initiative «Nidaa Tounes» tombe à pic et elle est en passe de devenir la première force politique dans le pays dont certains n’ont pas cessé de critiquer et de minimiser la portée…
Mais pourquoi donc tant de critique et de mise en garde s’il n’en est rien, et si on continue de le vouer, lui et sa démarche, aux gémonies c’est que celle-ci dérange, et elle dérange parce qu’elle est susceptible de devenir une redoutable force politique face à la troïka. Car, en définissant son mouvement comme centriste, républicain et moderniste, BCE le place d’emblée très haut en s’érigeant comme la véritable alternative crédible à la désastreuse politique menée depuis les élections d’un certain 23 octobre 2011…
Depuis cette annonce, les qualificatifs ne cessent de fuser, les agacements, les amalgames, les augures d’échec, les manœuvres politico-juridiques, et plus sinistre encore, les injures et les menaces depuis quelque temps, s’expliquent par la nervosité face à la naissance d’une vaste fédération républicaine où cohabiteront démocrates, libéraux, destouriens, travaillistes, progressistes de gauche et toutes sensibilités politiques ne se reconnaissant pas dans la troïka ou qui s’en sont scindées. Soit beaucoup de monde, soit près des trois-quarts de l’électorat national.
Un tel mouvement politique ne sera pas seulement une formidable force de frappe électorale, il sera surtout, et ceci est le plus important, mieux à porter les véritables aspirations révolutionnaires auxquelles le pouvoir tourne aujourd’hui le dos.
On ne le répétera jamais assez : la révolution du 14 janvier est libérale, démocrate et républicaine. Ses objectifs, connus de tous, sont la liberté, la justice, la démocratie, la dignité (par le travail et l’égalité des chances). Or, que voyons-nous, à cette révolution dans la culture politique, la troïka poursuit la politique d’une révolution culturelle qui éloigne la nation chaque jour un peu plus de ce pourquoi elle s’est insurgée. Le marasme moral, économique et politique, les libertés malmenées, la justice desservie, le retour des velléités hégémoniques, l’obscurantisme rampant et l’intolérance, sont attribuables à cette méprise. La troïka et en particulier Ennahdha a pris l’État d’assaut et la plupart des fonctionnaires se sentent envahis par des intrus voire des colonisateurs, assoiffés par le pouvoir et ayant un agenda bien établi de transformer toute l’administration tunisienne.
Par leur incompétence et leur amateurisme, les nouveaux gouvernants de la Tunisie sont en train de chambarder le mode de vie des tunisiens mais aussi affaiblissent gravement les structures et les institutions de l’État.
C’est justement la perception de cette erreur de gouvernance de la Tunisie qui a motivé, à mon sens, la démarche de BCE et qui lui donne sa pertinence. Tout laisse à penser que le vaste mouvement politique qu’il ambitionne de mettre en place s’inscrit dans la persistance des valeurs républicaines, mais purifiées du césarisme bourguibien et de l’autoritarisme de Ben Ali.
Par son charisme et son expérience politique, BCE et son mouvement représentent une vraie chance à la Tunisie et une force politique (peut-être la seule) capable de sauver la révolution avant qu’elle ne soit définitivement confisquée.
Et contrairement à la troïka qui a grandement décrédibilisé l’État, Nidda Tounes promet d’ores et déjà de lui restituer l’autorité morale et politique pour réaliser les objectifs de la révolution, la seule question qui compte enfin aujourd’hui.