Alors que la critique va bon train concernant le professionnalisme des journalistes tunisiens, critiques émanants même de correspondants de presse travaillant en Tunisie, il suffit de se pencher sur le travail de la presse française pour se rendre compte qu’elle aussi a tendance à avoir un regard biaisé.

Les journaux français semblent avoir une grande tendance à se focaliser sur certains sujets, quitte à rapporter une réalité tronquée. En les lisant on peut avoir l’impression qu’une vague verte déferle sur la Tunisie et que seule la politique fournit de quoi remplir les pages d’actualité. Focus sur la couverture de l’actualité tunisienne des sites Internet de Libération, du Monde et du Figaro, du 23 octobre 2011, date des élections, au 10 avril, lendemain de la commémoration de la fête des Martyrs, réprimée par les forces de l’ordre.

A travers une analyse des titres, des articles et des mots les plus utilisés dans les articles, nous avons tenter d’appréhender les thématiques mises en avant par ces journaux.

Analyse des Articles :

Une première lecture des titres et des articles permet de voir que certaines thématiques ressortent plus que d’autres et qu’un certain portrait du pays est brossé : mise en avant de la vie politique, concentration d’articles sur Ennahdha, absence de couverture de l’action de la société civile et des associations, du travail de l’opposition ou de la réalité de la vie des Tunisiens, absence également de couverture de la vie et des attentes de la jeunesse, des régions ou des problématiques liées à l’économie alors même que ces questions étaient à l’origine du soulèvement de 2010 et restent, un an et demi après le début de la Révolution, au cœur des préoccupations des Tunisiens.

Libération.fr

Quotidien français considéré de gauche. 31 d’articles.

On pourrait s’attendre à une couverture axée sur les problèmes sociaux et sur le quotidien des Tunisiens. En réalité le journal se concentre sur les élections et la politique avec une dizaine d’articles publiés pour chaque thématique.

Mais toute la vie politique n’est pas mise en avant de manière équitable. Une grande visibilité est faite au parti Ennahdha : sur les 31 articles parus 10 le concernent. A l’inverse on ne trouve qu’un article sur Moncef Marzouki « Moncef Marzouki, de l’opposition radicale à la présidence de la Tunisie » et un autre sur le parti Al-Aridha. « Al-Aridha, surprise parti de Hechmi Hamdi ».

La couverture de la vie politique est donc très restreinte : aucune place n’est faite aux deux autres partis de la Troïka, à leurs idées ou leurs actions. Les autres partis présents dans la Constituante n’ont aucune visibilité à travers les titres des articles. Ettakatol n’a pas le droit de citer dans les titres du moins. Mustapha Ben Jaafar, opposant historique au même titre que Hamadi Jebali ou Moncef Marzouki, ne se voit pas accordé de traitement spécifique, alors même qu’il est à la tête de l’ANC, assemblée dont les élections ont monopolisé le champ médiatique. Les rares fois où Mustapha Ben Jaafar est cité il s’agit en fait d’articles parlant de l’ANC, avec quelques déclarations sur sa mise en place ou encore suite aux résultats des élections, quand des tractations ont lieu autour du poste de président par intérim ou président de l’ANC. Quoi qu’il en soit il ne bénéficie pas d’un article relatant son parcours ou son combat.

Les partis qui ne participent pas à la Troïka ne sont pas mentionnés, à croire qu’Ennahdha est le seul parti présent dans le pays. Seul l’article « A Tunis, laïques et islamistes se tiennent tête » permet de comprendre que d’autres points de vue existent. Toutefois cet article est assez caricatural et réduit le débat politique à une confrontation entre laïques et islamistes, comme-ci le débat ne tournait qu’autour de la question de la religion.

Pour ce qui est du champ des Relations Internationales le traitement est décevant et se résume à la publication de deux dépêches AFP sur la visite d’Alain Juppé, ministre des Affaires Etrangères « Alain Juppé passe l’oral de rattrapage en Tunisie » et les déclarations de François Fillon, premier ministre français : « Fillon attend de la Tunisie qu’elle reste un «modèle pour les transitions» arabes ».

Rien sur l’Union du Maghreb ou sur l’espace méditerranéen. Rien sur les relations de la Tunisie avec ses voisins. A croire que seules les relations avec la France ont un intérêt.

Libération se concentre sur Tunis et ne déroge à la règle que pour parler d’un fait divers : un homme qui tente de s’immoler à Gafsa ; pour écrire un article approximatif sur la ville de Sejnane « A Sejnane, laissée aux mains des salafistes » ou encore un article sur la situation à Kasserine « A Kasserine, on fait «carrière dans le chômage» ». Ce dernier article est d’ailleurs le seul à s’intéresser à la question primordiale du chômage.

L’Assemblée Constituante a beau être composée de 27% de femmes, chiffre dépassant la participation française, le seul titre parlant d’une femme tunisienne est un portait de la jeune fille en une de Libération du 14 janvier 2011 « La Marianne de Tunisie ». Rien sur la bataille des associations ou sur les femmes candidates par exemple ou encore sur le Code du Statut Personnel…

Le premier article de la sélection parle des files d’attente devant les bureaux de vote et s’ouvre sur une description d’une jeune fille « Lunettes Gucci et décolleté ravageur » c’est qu’en banlieue nord : « les femmes sont grandes et minces, parlent un français sans accent ».

La thématique favorite associée à la femme semble être celle de la peur : peur pour le statut juridique, peur de devoir porter la burqa, peur de ne plus vivre avec la mixité.

De la même façon, à part l’article sur Kasserine, aucun article ne parle de la jeunesse, qui est pourtant à l’origine de la Révolution. Quand la jeunesse est citée, Libération parle d’elle quand elle est impliquée dans des manifestations ou des événements, mais on ne trouve pas d’article qui la concerne directement, qui parlerai des études sans débouché ou de leur vie quotidienne.

Les questions de société sont traitées dans un tchat live où des internautes posent des questions à Vincent Geisser, chercheur à l’Institut de recherches et d’études sur le monde arabe et musulman et à l’Institut français du Proche-Orient, qui parle, en autre, de la débâcle des différents partis progressistes. Encore une fois c’est un regard extérieur, même s’il s’agit d’un regard d’expert, sur la Tunisie. Ce tchat est vraiment représentatif des préoccupations françaises puisque les questions concernent principalement le parti Ennahdha, son possible extrémisme, la chariâa, la laïcité…

Pas de traitement de la question économique, du tourisme, des possibles investisseurs, des plans à mettre en place pour redresser le pays. On trouve simplement dans les articles l’idée que le pays traverse une crise économique mais il n’y a pas de chiffre explicatif de la réalité de la situation, des origines de cette crise, des solutions a mettre en œuvre ou des aides et prêts accordés par les pays étrangers. Et quand il est question des chômeurs c’est pour parler des sit-in qu’ils organisent.

Rien sur l’éducation et la culture.

Sur la question fondamentale des médias et de la liberté d’expression, Libération s’est contenté de suivre l’affaire du quotidien Ettounsia, avec en une la photo du joueur de football tunisien et de sa petite amie torse nu : « Tunisie: trois journalistes arrêtés pour une couv’ osée. » Un article parle de la télévision tunisienne « La télé tunisienne, sans transition » pour expliquer que les changements attendus non pas lieu. Quid de toutes les formations, remaniements et nouveaux nés dans le monde des médias tunisiens ?

Libération se concentre principalement sur la politique en consacrant une large couverture au parti Ennahdha, sans faire de place aux autres forces politiques ou encore à la société civile. Pas de place non plus pour les associations, ONG, syndicats, étudiants, femmes… dans les articles. A croire que rien ne se passe dans le pays et que la Tunisie vit sous la coupe d’un parti unique, conservateur et liberticide. Les peurs et préoccupations françaises sont appliquées à l’actualité tunisienne alors que c’est une autre lecture qui doit avoir lieu.

Le Monde :

Quotidien français, considéré centre gauche. 72 articles.

La grille de lecture du Monde est principalement axée sur la politique et sur la thématique société. On trouve également des articles sur quelques procès en cours.

D’un point de vue politique une place est faite aux représentants des trois partis de la Troïka : Jebali, Ben Jafaar et Marzouki. Marzouki se retrouve même mis en avant à travers un article qui relate sa rencontre avec le caricaturiste du journal : Plantu. Par contre le travail de l’ANC n’est pas mis en avant, ni le travail des partis ne participant pas à la Troïka.

On ne lit des informations sur M. Ben Jaafar qu’à propose de tractations, discussion, accord… tout tourne autour des postes à prendre suite aux élections. Un mini portrait de Mustapha Ben Jaafar tout de même, 3 lignes en fait. Décidément une fois encore le Président de l’ANC ne suscite pas la curiosité !

Les partis d’opposition sont simplement listés avec leur score respectif suite aux élections. L’opposition n’a pas de traitement particulier, tellement le focus est fait sur les partis de la Troïka. Un paragraphe est dédié au parti PDP au cour duquel Nejib Chebbi explique qu’il accepte la défaite de son parti aux élections. Même réaction au PDM qui ajoute tout de même que le parti restera vigilant. Leur action pendant les mois qui ont suivi les elections n’est pas mise en avant. Sauf dans l’article « Les partis laïcs tunisiens font alliance pour contrer Ennahdha » mais il s’agit en fait d’une dépêche AFP. Il y a d’ailleurs dans ce traitement quelque chose d’erroné. A lire Le Monde on peut avoir l’impression que les partis d’opposition sont tous des partis laïcs et que c’est la seule différence entre eux et les partis de la Troïka. Or le CPR comme Ettakatol, membre de la Troïka, sont des partis avec une philosophie de laïcité, argument que le PDP, par exemple, ne revendique pas. On sent ici une lecture française de la scène politique tunisienne, une lecture qui veut absolument plaquer cette dichotomie religieux versus laïc, là où les lignes sont en faites bien moins nettes.

Le Monde ne traite pas de la question de la diplomatie tunisienne ou de ses relations avec ses voisins : aucun titre ne parle de l’espace méditerranéen. Pas de papier non plus sur la visite d’Alain Juppé ou les déclarations de François Fillon ce qui est assez étonnant car on pourrait tout de même s’attendre à un traitement qui positionnerait la Tunisie sur la scène internationale. Un seul article « La Tunisie remet la « construction maghrébine » au goût du jour » aborde cet aspect de la politique tunisienne. Il y est question de la volonté de Moncef Marzouki de remettre sur pied un Maghreb uni. Mais on ne trouve rien sur l’espace méditerranéen en général, sur les relations avec l’Europe ou le reste du monde.

Dans les titres rien ne parle de l’économie ou du tourisme, du niveau de vie des Tunisiens, des travailleurs et de leurs attentes, ou encore de celles des jeunes. Il y a une absence totale de traitement des thématiques au cœur du mécontentement de la population. Un article « Tension sociale à son comble dans le bassin minier de Gafsa en Tunisie » parle de la situation d’une partie de la population, mais il s’agit d’une depêche AFP.

Les femmes, par contre, sont bien mises en avant. Ainsi il est question du 8 mars, de la ministre de la famille et de la femme, du statut de la femme ou de Souheyr Belhassen de la FIDH. Mais c’est tout de même un point de vue négatif qui est appliqué puisque les articles parlent des peurs des femmes quant à la conservation de leurs droits, par exemple et non pas des initiatives positives : « Notre combat pour l’universalité des droits et des libertés » ou encore « Les « cauchemars » d’Amel Jaïdi, enseignant de la Manouba ».

Lorsque Le Monde parle des jeunes dans ses articles c’est parce qu’ils sont impliqués dans des sit-in ou des actes de dégradation. On comprend que la jeunesse est en colère, qu’elle n’est pas satisfaite, qu’elle veut du travail. Mais peut-être aurait-il été plus judicieux de faire le portrait d’un de ces milliers de jeune diplômé chômeur par exemple, afin d’appréhender la réalité de la crise sociale, de la matérialiser.

Pour les régions on trouve plusieurs articles sur Sidi Bouzid ainsi que des articles sur Gafsa. Mais comme pour Libération il est en fait question, à Gafsa, d’une immolation : « Tunisie : l’homme qui s’est immolé à Gafsa est mort », mais il s’agit en fait d’une depêche AFP. Le choix se tourne donc vers un traitement « fait divers » plutôt qu’un papier de fond qui expliquerait, par exemple, la signification d’un tel geste dans la société tunisienne. Pour Sidi Bouzid la couverture se fait suite à des heurts. On peut donc se demander si, en l’absence d’incidents, Le Monde se serait intéressé à l’intérieur du pays.

Pour ce qui est des médias Le Monde choisit de mettre en avant le fait que 6 journalistes tunisiens sont venus faire un stage au sein de sa rédaction. L’article explique que sous le régime de Ben Ali la presse était muselée et que les techniques de travail sont à réapprendre.

Un article parle également d’un colloque sur les médias organisé, entre autre par Canal France International, en partenariat avec des associations tunisiennes. Les initiatives tunisiennes ne sont pas mise en avant, rien sur la naissance de magazines, radios et chaînes de télévision. En fait les seuls evenements mis en avant sont ceux en lien avec la France.

Un aspect que Le Monde met en avant est le monde judiciaire : on trouve ainsi un article sur le procès de Nessma, un autre sur les biens du clan Ben Ali saisis, un autre sur un procés de Ben Ali par contumace ou encore sur un de ces neveu qui a été arrêté.

La question des martyrs qui occupe une grande place dans la vie tunisienne, elle, n’est pas traitée.

L’action et la place de la société civile n’est pas vraiment traitée. On a une vague idée des préoccupations de la population à travers la couverture de manifestations, mais cela concerne la population tunisoise avant tout, et, encore une fois, la dichotomie est faite entre les « salafistes » et les autres.

Finalement ce qui se dégage de la lecture des titres et des articles, est, encore une fois, une vision à travers des filtres français. Il n’y a pas d’action positive mise en avant, la société tunisienne ne semble être appréhendée qu’à travers les fantasmes et peurs françaises : développement de l’islamisme et droits des femmes en danger. Une vision empreinte d’un filtre de méfiance et de crainte : il n’y a pas une lecture qui se mette au niveau de la population tunisienne et parle de son quotidien par exemple.

Le Figaro

Quotidien considéré de droite. 56 articles.


Ce journal se penche sur la Tunisie via l’actualité politique principalement. On trouve un article sur Hamadi Jebali du parti Ennahdha et un portrait de Moncef Marzouki, mais pas de titre sur le 3éme parti membre de la Troïka Ettakatol. Encore une fois, Mustapha Ben Jaafar n’a qu’un rôle secondaire puisqu’il n’est question de lui que lorsque les articles traitent des élections et des tractations autour des postes à pourvoir. Il est cité comme président de l’ANC, mais le traitement s’arrête là.

Pas de titre ou d’article non plus sur l’Assemblée Constituante en elle-même, et finalement on ne trouve aucun article à propos de son travail ou de son mode de fonctionnement.

L’opposition n’est pas prise en compte : le PDP n’est cité qu’une fois. Il s’agit du témoignage d’un électeur. Le PDM lui n’apparaît pas du tout.

Le Figaro appréhende plus largement que les autres journaux le côté Relations internationales, en parlant de l’Union du Maghreb ou encore de l’espace méditerranéen, mais aussi de l’Egypte et des relations avec la Libye : « Coopération régionale : Le Maghreb a-t-il le choix ? », « Ouvrir l’espace méditerranéen de l’Europe » et « La Tunisie veut relancer l’Union du Maghreb »

On trouve également un article sur le passage d’Alain Juppé en Tunisie et les déclarations de François Fillon. Le traitement du Figaro positionne la Tunisie dans un ensemble régional et donc comme un pays avec une dynamique et une place sur la scène internationale, finalement comme un pays en marche et non comme un pays « convalescent ».

D’un point de vue des régions la couverture reste minimale : on trouve deux articles sur Sidi Bouzid : « Berceau du printemps arabe » et un autre sur le retour au calme après des heurts, survenus suite à la proclamation des résultats des élections, ainsi qu’un article sur « A Sejnane, les salafistes tunisiens font la loi». Il est également question de Kasserine «Le désenchantement des jeunes de Kasserine ».

Cet article est d’ailleurs le seul du panel à s’intéresser au problème à l’origine de la Révolution en traitant du chômage des jeunes et de l’économie parallèle. Le Figaro se penche d’ailleurs réellement sur la question économique à travers quatre articles abordant la question du tourisme et de l’emploi.

Aucun titre du Figaro ne parle des femmes, que ce soit en politique, du côté des associations ou dans la société civile. En fait comme pour les autres médias la thématique femme est abordée en se focalisant sur les peurs et les inquiétudes autour de son statut et de sa place dans la société.

Finalement dans les colonnes du Figaro comme dans celles des autres journaux il est question de femmes en niqab, mais pas de femmes à l’assemblée par exemple ou de femmes engagées en politique, militante, syndicaliste…

Pour ce qui est de la jeunesse on ne trouve rien à part l’article déjà cité : «Le désenchantement des jeunes de Kasserine »

Le Figaro, comme les autres journaux, ne traite pas vraiment la question des citoyens. Le clivage appliqué à la scène politique est appliqué à la population : ainsi on trouve un article relatant le sit-in d’un groupe « salafiste » au sein de l’université de la Manouba, un article sur la manifestation du Bardo « Tunisie : heurts entre salafistes et laïques ». Il y a également un article pour « l’anniversaire » du départ de Ben Ali : « Premier anniversaire de la révolution tunisienne » précédé d’un papier : «Tunisie : les déçus de l’an I » qui parle de l’islamisme rampant et de la volonté d’une partie de la population de porter le niqab, alors que ces phénomènes sont minoritaires dans la société tunisienne.

Pour ce qui est des médias Le Figaro a un traitement assez étonnant. Ainsi il reprend un article de Courrier International : « Le regard biaisé des médias français » édito paru dans La Presse, qui critiquait vivement les commentateurs français pour leur manque d’objectivité. On trouve également une dépêche AFP « Charlie hebdo se rebaptise Charia hebdo » consacré à un numéro spéciale de l’hebdomadaire satirique fêtant l’arrivée d’Ennahdha au pouvoir.

Le Figaro fait même le choix d’inclure dans le dossier Tunisie un article sur le match Ghana-Tunisie de la Coupe d’Afrique des Nations.

Il faut noter que Le Figaro a également publié plusieurs articles d’analyse et de mise en perspective de la situation tunisienne comme la chronique de M. Slama « La Tunisie, enjeu vital entre l’Islam et l’Occident ». Le chroniquer commence son analyse en parlant de la Tunisie comme un pays : « réputé pour la douceur de ses mœurs et la sagesse de ses élites » une description dont on peut s’étonner qu’elle soit toujours utilisée.

On a ici une analyse froide et dépassionnée, qui relate de loin la réalité de la vie tunisienne, mais qui semble être, entre les trois journaux, la couverture la plus équitable, puisque différentes thématiques sont abordées. Comme les autres publications Le Figaro se concentre beaucoup sur le parti Ennahdha mais le fait que de nombreux articles traitent d’autres sujets finit par diluer le positionnement politique.

Conclusion :

En survolant les titres et en s’intéressant aux articles on est surpris de l’image générale qui ressort. Beaucoup de politique avec une large place pour le parti Ennahdha. Moncef Marzouki le président de la république est une figure qui retient l’attention, à l’opposé de Mustapha Ben Jaafar dont on parle peu.

Le sentiment général est que le parti Ennahdha tient le pays et qu’il n’y a pas d’autre actualité. Tout semble tourner autour des islamistes.

Il n’y a pas de couverture réelle de l’économie, du chômage, de la vie des jeunes, de l’éducation, des associations, de la société civile en générale. Rien non plus sur la justice transitionnelle, les changements au sein de l’administration, des ministères, pas de bilan des 100 jours du gouvernement, rien sur le travail de l’Assemblée Constituante, sur le travail de l’opposition ou simplement sur les attentes des Tunisiens.

Analyse des mots les plus utilisés :

En réalisant une étude sémantique des articles publiés sur les sites internet des journaux Libération, Le Monde et Le Figaro entre le 23 octobre 2011 et le 10 avril 2012, on se rend compte que les journaux français ont du mal à sortir de leur grille de lecture et continuent à se focaliser sur la question de l’islamisme.

Le trio de tête des mots les plus utilisés dans les articles est : Ennahdha, Parti(s) et Islamistes. Ce résultat donne une idée des thématiques sur lesquelles les journalistes français se focalisent. Ainsi sur les 31 articles produits pendant cette période Libération a utilisé l’occurrence Ennahdha 157 fois, quasiment autant de fois que Le Monde, qui l’a utilisé 165, mais avec plus du double d’article publié : 72 articles sur la même période. Le Figaro lui a parlé 136 fois du parti Ennahdha sur les 56 articles produits.

Cette occurrence arrive en tête dans ce quotidien, juste devant le terme Parti(s) 127 fois et le terme Islamiste(s) 115 fois. On retrouve le même classement pour Libération Ennahdha : 157 fois, Parti(s) 153 fois et Islamiste(s) 97 fois.

Le quotidien Le Monde a un autre classement : Parti(s) arrive en tête des occurrences les plus usitées : 197, suivi du mot Ennahdha 165 fois et c’est le terme Femme(s) qui occupe la troisième place : 140 fois.

Les noms des autres partis politiques ne sont pas dans les 10 termes les plus utilisés, loin de là. Pour Libération on compte 17 utilisation du nom CPR et 22 du nom Ettakatol ; pour Le Monde 18 CPR et 21 Ettakatol ; pour Le Figaro 16 CPR et 14 Ettakatol. Comparés à la centaine d’utilisation du nom Ennahdha ont voit clairement la différence de place accordée aux partis.

La différence est beaucoup moins marquée par contre quant aux chefs des partis. Le nom de Moncef Marzouki, président de la République apparaît 32 fois chez Libération, 42 fois chez Le Monde et 35 fois chez Le Figaro. Hamadi Jebali, premier ministre, voit son nom utilisé 20 fois par Libération, 31 fois par Le Monde et 33 fois par Le Figaro. Le président de l’ANC a moins de visibilité. Mustapha Ben Jaafar est cité 13 fois par Libération et Le Figaro, 21 fois par Le Monde, alors que le nom de Ghannouchi, fondateur du parti Ennahdha apparaît 25 fois dans Libération, 31 fois dans Le Monde et 20 fois dans Le Figaro. Encore une fois ici on voit qu’un large place est accordé au parti Ennahdha et à ses membres.

D’autres termes sont intéressants à mettre en corrélation : salafiste(s) et chariâa versus femme(s) et jeune(s). Ainsi dans le journal Libération on trouve 26 utilisations du terme salafiste et 34 du terme chariâa, contre 13 utilisations du mot femme et 50 du mot jeune(s). Soit 60 contre 63, une quasi égalité pour des populations et une thématique qui ne se valent pas numériquement au sein de la société tunisienne.

Le Monde utilise le terme chariâa 37 fois, celui de salafistes 42 fois contre 140 pour le terme femme(s) et 20 pour le terme jeunes. Soit 79 contre 160. Toutefois ce résultat est à pondéré du fait que les articles sur les femmes ne parlent pas d’initiative positive et sont généralement axés sur le danger de l’islamisme ou du parti Ennahdha pour les femmes en Tunisie.

Le Figaro utilise le terme chariâa 35 fois, celui salafistes 50 fois, le terme femme(s) 44 fois et jeunes 25. Soit 85 versus 69. Le côté conservateur prend le pas de manière évidente.

L’impression générale qui ressort de la lecture de ces articles est celle d’un pays paralysé, aux mains d’un parti unique et conservateur. Un pays dans lequel les femmes sont en danger et où la jeunesse semble absente de cette phase de transition.

Même si la situation de la Tunisie n’est pas idyllique, le fait de brosser un tel portrait de la situation nous amène à nous poser des questions : pourquoi une telle concentration d’articles sur la politique? Est-ce un choix ou est-ce par manque de recul ? Les Tunisiens qui ont pris l’habitude pendant les années de plomb de lire les journaux français pour s’informer sur la situation du pays se retrouvent aujourd’hui devant un traitement orienté et imprégné des peurs françaises face à un pays en pleine mutation.