Cette rubrique en deux parties exposera puis analysera les conditions insoutenables de travail et la bataille quotidienne des médecins du secteur public pour accomplir leur mission. Deux chapitres pour parler de la situation des hospitalo-universitaires, des résidents et des internes en médecine dans un contexte de débrayage.

CHAPITRE DEUXIEME : Les gladiateurs des hôpitaux

 


Depuis quelques années, les sentiments de respect et d’admiration, autrefois exprimés à l’égard des médecins, se sont mués petit à petit en actes de violence verbale et physique, notamment au sein des institutions de soin.

La situation a atteint une telle gravité, que les médecins en sont arrivés à faire la grève afin de sensibiliser l’opinion publique et les autorités et attirer l’attention sur la précarité de leur situation en matière de sécurité.

Rappelons d’abord ce que signifient les termes « interne » et « résident ». Après cinq années d’études médicales théoriques et pratiques, les étudiants passent deux années d’internat en tant qu’employés du ministère de la santé dans les centres sanitaires et hôpitaux étatiques. L’interne est sensé parfaire sa formation de médecin généraliste
Le code déontologique des médecins stipule qu’un interne est tenu d’assurer quarante heures de travail par semaine au minimum. Cette durée est, dans les faits, largement dépassée et atteint facilement les quatre-vingts, voire les quatre-vingt-dix heures, par semaine.

Un interne perçoit un peu plus que sept cents dinars d’émoluments mensuels mais ne touche aucune indemnité pour les gardes qu’il assure. Le nombre de gardes peut aller jusqu’à quinze par mois sans qu’elles soient rétribuées et donc reconnues. Ces gardes de nuit sont durent quarante-huit heures et souvent soixante-douze heures.

Les internes et résidents ne bénéficient pas de repos après leurs gardes et sont obligés d’enchainer directement leur service habituel.

Un « résident » est un interne qui a passé le concours national de résidanat. Il faut qu’il soit classé parmi les cinq cents premiers pour pouvoir accéder à l’apprentissage d’une spécialité. La durée d’une spécialité est de quatre à cinq ans.

Les internes souffrent de l’absence totale de statut. Une situation floue où ils ne sont ni étudiants ni médecins. Il leur est impossible de faire valoir leurs droits faute d’un document officiel spécifiant leur qualité. Ils se retrouvent souvent à faire le travail de la secrétaire médicale, de l’infirmier ou même l’ouvrier. Les plus malchanceux servent de punching ball à leurs supérieurs hiérarchiques qui, eux-mêmes sont débordés et se défoulent sur eux. Rares sont les services qui offrent un enseignement correct à leurs internes. Par manque de temps, dirons certains. Mais la réelle carence est et restera à notre avis l’absence de statut.

A titre d’exemple, avant même d’obtenir leur diplôme les internes se trouvent obligés de rédiger des prescriptions alors que légalement, ils n’ont pas le droit de le faire. Sans internes, aucun hôpital ne fonctionnerait correctement. Le syndicat des internes et résidents de Tunisie a déjà préparé une proposition de statut toujours en cours de discussion.

Outre la pression permanente, la charge de travail, le stress, l’absence totale d’un texte défendant leurs prérogatives, les internes et les résidents toujours en première ligne, souffrent désormais d’agressions et de violences répétées. Plus de 820 médecins ont subi une agression sur leur lieu de travail depuis Mars 2011. Les offensives ont largement dépassé la violence verbale, qui devient tristement habituelle à l’hôpital.

En un mois, deux médecins ont fini au service de réanimation pour traumatisme crânien suite à des attaques perpétrées par des membres de la famille mécontente d’un patient.

Pourquoi autant de violence envers les médecins ? Qu’est ce qui explique ce pic de brutalité depuis 2011 ? Quelles sont les solutions pour y remédier ? Autant de questions auxquels je vais essayer de donner des éléments de réponse.
L’image du médecin, au fil du temps, s’est beaucoup altérée. Les médecins du secteur privé en sont, dans une large mesure, responsables. Certains ont dévié la médecine de sa noblesse pour en faire un commerce.

Un résident assure que : « Les abus de certains chefs de service et agrégés hospitalo-universitaires considèrent les services hospitaliers comme de vastes cliniques où ils hospitalisent leurs patients vus dans les consultations privées. Ces patients chouchoutés, bénéficient évidemment d’un traitement de faveur. L’A.P.C ou Activité Professionnelle Complémentaire accordée aux agrégés des hôpitaux se trouve ainsi complètement déviée de son cadre initial. Mais le commun des malades ne sont pas aveugles et comprennent parfaitement ce qui se trame dans le secteur de la santé publique. »

Le serment d’Hippocrate ainsi que le code déontologique du métier on été maintes fois bafoués par ces médecins, qui, pour parfois dix dinars délivrent un certificat de maladie. L’image d’un médecin fraudeur, sans principe et avide d’argent, s’est ainsi encrée dans la tête de beaucoup de tunisiens. La confiance que les malades mettaient dans leur guérisseur s’est évanouie. De plus en plus de patients mettent en cause le diagnostic du médecin, sa façon de travailler et veulent lui dicter la manière correcte de procéder selon eux. Une interne explique : « les patients viennent avec le préjugé : je suis pauvre donc je suis obligé de venir me faire soigner par un stagiaire ». Je tiens à rappeler avec force, que la formation médicale, malgré ses quelques dérives, reste excellente. Ce manque de confiance est exacerbé par certains hospitalo-universitaires qui trouvent normal de critiquer et parfois même d’insulter l’interne ou le résident sous sa tutelle, devant le patient.

Par ailleurs, la situation politico-sociale a sensiblement aggravé le pic de violence à l’encontre des internes et des résidents hospitaliers. Depuis janvier 2011, les Tunisiens condamnés au silence se sont sentis « libres ». Cette liberté est devenue malheureusement synonyme de chaos pour certains patients qui ont perdu toutes mesures. L’absence d’un état de droits où sévissent encore les figures du régime déchu de Ben Ali qui circulent en toute impunité, exaspère au plus haut point les patients des hôpitaux.

Les agresseurs des médecins, condamnés par la justice, se comptent sur les doigts d’une main. Cette image d’impunité est bien ressentie. Depuis plusieurs mois, les médias ne font que compter les agressions à l’encontre des médecins (sans réelle investigation). Rares ont été les agresseurs poursuivis par la justice. Un interne victime d’agression nous raconte « L’agresseur proférait des menaces de mort explicites à mon encontre, au poste de police, devant les agents, avec la certitude de bénéficier de l’impunité totale »

Devant autant de violences et face à l’absence de réaction de la direction des hôpitaux et des ministères concernés, les internes et résidents ont décidé de faire la grève. Cette grève de trois jours (5, 6 et 7 Juin 2012) avait pour objectif de sensibiliser l’opinion publique et les responsables concernant la précarité de la situation notamment sécuritaire dans les institutions sanitaires. Suite à cette grève, le syndicat de Sfax prit la décision de retirer tous les internes des urgences. Celles-ci sont assurées depuis par des médecins engagés par l’hôpital.

A Tunis, vu l’impossibilité d’engager un grand nombre de médecins urgentistes dans les nombreux hôpitaux de la capitale, le retrait des internes des services des urgences sera déterminé si aucune solution concrète n’est proposée et appliquée par le ministère, d’ici un mois.

Entre temps, les propositions du ministère de la santé se limitent à la correspondance, ci-dessous. Le document remis au SIRT (Syndicat des Internes et Résidents de Tunisie) par le ministère de la santé publique date de janvier 2012 :
– Mise en place d’un système de surveillance par caméra.

– Mise en place d’un système d’identification pour les professionnels de la santé (ce qui ne sert à rien sachant que les entrées des hôpitaux ne sont pas gardées).

– Faire respecter plus efficacement les heures de visite (encore une promesse impossible à appliquer. Les gardes recevant à peine cent trente dinars par mois, laissent entrer les visiteurs à tout moment pour quelques dinars de dessous-de-table).

– Renforcer le système de sécurité interne de l’hôpital.

– Mettre en place une stratégie sécuritaire avec la collaboration du ministère de l’intérieur et de la santé publique (cinq mois sont passés et aucune stratégie n’a été mise en place).

– Former les agents de gardiennage et les doter de tenues distinctives (ce dernier point a été cité plus de trois fois dans le texte original en arabe. Le ministère accorde beaucoup d’importance à la tenue. Ceci dit, les gardiens portent déjà une tenue distinctive)

– Organiser des réunions régulières entre directeurs régionaux et directeurs des hôpitaux (par cet article le ministère écarte le personnel médical et paramédical de la prise de décision)

L’actuel ministère, tel ses prédécesseurs, fait encore la sourde oreille et les agressions sur le personnel soignant continuent. Tels des gladiateurs, les internes et résidents se voient sacrifiés dans l’arène des hôpitaux.
Le syndicat persiste dans sa bataille et n’est pas prêt à faire machine arrière parce que cet engagement est mené autant pour défendre le droit à la sécurité minimale des internes et résidents que celui des patients dont ils ont la responsabilité.

Mise à jour : Il a fallu une énième agression pour que le ministère de la santé publique réagisse. Le 18 juin 2012 Dr Abderazak Elarbi, urgentiste à l’hôpital régional du Kef ; a été agressé par la famille d’un patient pris en charge et décédé à l’âge de 90ans. Cet acte de violence lui a causé une fracture du col du fémur.

Le ministre de la Santé Publique Abdellatif Mekki a condamné cette agression lors d’une interview et l’a qualifié de “barbare”. M. Mekki appelle à infliger à l’agresseur la peine la plus lourde possible. Il a aussi précisé que le ministère allait recruter des agents de sécurité mais a aussi avancé que les services de sécurité étaient déjà en train de faire de leur mieux pour la protection des institutions sanitaires et leurs employés mais que cela n’empêche pas la survenue d’agressions.

D’un autre coté les médecins en fin de spécialité (bac +11) se sont vu refuser leurs diplômes s’ils n’accomplissaient une année de service civil. Une loi datant de février 2010 à l’ére de Mondher Znaidi, a été sorti du placard après avoir fait sujet de litige avec le précédent ministre Dr Habiba Ben Romdhane. Cette loi « injuste » et « discriminatoire » oblige un médecin à l’âge de 30 ans au minimum de tout quitter pour passer un an dans des régions intérieures. Le ministère croit que mettre par exemple un cardiologue dans un hôpital sans aucune ressource pour réellement soigner va résoudre le problème de la santé publique dans le pays et combler le vide créé par la politique catastrophique de santé publique menée jusqu’à ce jour. Les médecins se voient esclaves du ministère n’ayant jamais signé sur pareil compromis quand ils ont commencé leurs études de médecine. Cette loi ne tient compte d’aucune contrainte personnelle, médicale ou familiale.

Je ne trouve plus aucun commentaire à faire devant cette schizophrénie politique.

Lire la première partie : CHAPITRE PREMIER : Les hospitalo-universitaires refusent de se taire